A l’occasion des 40 ans du 10 mai 1981 et de l’arrivée de la gauche au pouvoir, les groupes parlementaires socialistes (Assemblée nationale et Sénat), en partenariat avec l’OURS, ont souhaité publier une série de discours parlementaires symboliques des grandes avancées en termes de droits nouveaux des deux septennats de François Mitterrand.
Retrouvez en avant-première ci-dessous les préfaces de Patrick Kanner et Valérie Rabault, présidents des deux groupes parlementaires.
Préface de Patrick Kanner
sénateur du Nord président du groupe socialiste et apparentés du Sénat
Transformer le rêve en réalité, abolir la peine de mort, autoriser les radios « libres », accorder la retraite à 60 ou la cinquième semaine de congés payés, augmenter le SMIC, donner de nouvelles libertés aux collectivités locales… Oui l’enga- gement pour de nouvelles libertés et la promesse de nouveaux droits auront été le moteur de mon adhésion au Parti socialiste en 1975, en écho à la campagne de François Mitterrand l’année précédente et son échec de peu face àValéry Giscard d’Estaing.
Le lycéen de 16 ans en sciences économiques que j’étais a encore en mémoire ce premier contact avec la puissante fédération du Nord, sonnant à la porte du 2 rue Watteau à Lille pour demander aux bé- névoles de permanence et en particulier à celle que tout le monde appelait affectueusement « la vieille Hélène » des affiches de François Mitterrand que j’allais coller en cachette sur les murs du Lycée Gaston Berger. Coller pour cette gauche écartée du pouvoir depuis 16 ans, pour ce parti, pour cet homme, aura été mon premier acte de militant socialiste.
Il aura fallu sept nouvelles années de militantisme et d’engagement sans failles pour que ces idées nouvelles, résultats d’un mélange entre les valeurs traditionnelles du socialisme et la soif de libertés née dans le creuset de mai 68, triomphent. Le talisman de la victoire avait trois facettes : un projet, une stratégie, une incarnation. Cette formule qui n’a rien de magique reste la clé pour l’échéance majeure de 2022 à laquelle nous devons nous préparer dans un délai d’à peine un an alors que la victoire de 1981 s’était forgée en 10 ans. Tel est le défi à relever et pour lequel l’inspiration des réussites des années 80 est plus que jamais utile.
J’étais persuadé que c’était au Parti socialiste et à son premier secrétaire de transformer la société. Malgré les difficultés inhérentes à l’exercice du pouvoir, force est de constater qu’ils y sont parvenus. En premier lieu, en agissant sur ce qui a toujours été au cœur de l’ADN du socialisme, la justice sociale. Dans son discours de poli- tique générale, Pierre Mauroy disait que les Français « voulait que l’effort soit autrement distribué, qu’il ne pèse plus si lourd sur les épaules des faibles ». Cette espérance ils l’ont incarné alors que la vague néolibérale commençait à déferler sur le monde. La France elle, mettait en œuvre une des politiques les plus avancées en termes de lutte pour contre les inégalités et de répartition des richesses. En découvrant ou en redécouvrant certaines de ces interventions nous ne pouvons qu’être frappés par la puissance de la volonté qui a été mise au service de l’amélioration de notre modèle social.
40 ans plus tard, alors que la crise sanitaire, et ses conséquences économiques et sociales ont touché l’ensemble des Français et que le gouvernement actuel souhaite poursuivre sa politique libérale malgré l’aggravation des inégalités, il nous appartient de nous sou- venir et d’agir.
Se souvenir, c’est défendre les acquis laissés par nos prédécesseurs en héritage et reconquérir ce qui a été détruit par l’idée fausse qui est de dire que ce qui profite aux plus aisés finit par ruisseler vers les plus précaires. Agir, c’est partir de cette base, de cette histoire, pour montrer qu’il existe des alternatives crédibles à une pensée que tout un pan du champ politique voudrait unique.
Le socialisme c’est aussi la capacité d’innovation et le fait de pen- ser en dehors des cadres existants. Cela a été mis en application dès 1982 avec l’examen par le parlement de la première grande loi sur la décentralisation qui devait permettre aux Français « d’être consi- dérés comme capables d’être responsables de leur sort, de travailler au bien commun » comme le défendait Gaston Deferre. Décloisonner l’exercice d’un pouvoir trop parisien, donner aux territoires, aux élus locaux, aux échelons les plus proches des citoyens de nouveaux droits et de nouvelles libertés c’était réaliser ce que disait François Mitterrand pendant sa campagne : « la liberté appartient à tous ».
À nous parlementaires d’être les continuateurs de cette ambition en adaptant la décentralisation aux mutations de la société. En re- mettant au cœur des enjeux les citoyens, le territoire vécu, la notion d’équité et l’aspect coopératif au détriment de la concurrence ter- ritoriale nous relèverons les défis sanitaires, environnementaux et démocratiques qui sont déjà là.
Ainsi, 40 ans après la victoire du 10 mai 1981 qui a vu le premier socialiste devenir Président de la cinquième République, les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont tenu à mettre en lumière les moments clés qui ont vu les idées se transformer en réalisations concrètes. En sélectionnant une série de grands discours qui ont marqué les deux septennats de François Mitterrand nous ne sommes pas animés par la nostalgie mais nous tenons à rappeler que c’est l’action qui permet aux idéaux socialistes d’atteindre leur but : changer concrètement la vie des Français.
Préface de Valérie Rabault
députée de Tarn-et-Garonne, présidente du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale
De mai 1981, je n’ai en mémoire que quelques images, entre autres celle d’une joie teintée de surprise à la découverte du visage de François Mitterrand apparaissant sur les écrans de télévision. Il avait gagné ! J’avais 8 ans, j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire, mais sans trop savoir quoi.
Je n’ai jamais rencontré François Mitterrand, je ne l’ai jamais vu, et c’est un regret éternel. Et pour autant, c’est lui qui a suscité mon enga- gement politique ; c’est lui qui a contribué à nourrir le goût pour l’his- toire sans lequel on ne peut enraciner son action politique ; c’est lui qui m’a fait comprendre la grandeur de la politique, à condition de la faire vivre avec des idées et de la soutenir avec un brin de stratégie pour évi- ter les écueils ; c’est avec lui que j’ai compris l’importance et la beauté du mot juste. Je fais partie de celles et ceux qui se régalaient à écouter ses discours à la télévision, à apprécier son côté espiègle lorsqu’il est descendu dans l’arène pour défendre l’Europe, à être en admiration lorsqu’il s’est envolé à Sarajevo pour ouvrir un pont sanitaire.
Les années passant, j’ai compris ce que j’aimais chez François Mitterrand : j’ai aimé sa capacité à garder un cap intellectuel. Tout au long de sa vie politique et de ses deux septennats, il a eu à cœur de faire vivre la conviction que la gauche n’est vraiment forte que lorsqu’elle conquiert le monde avec des idées, face à une droite qui cherche, par tous les moyens, à conserver l’ordre établi, qu’il soit social, économique, sociétal ou écologique. Parmi les exemples les plus emblématiques, il y a bien sûr l’arrêt de la peine de mort, qui a donné un vrai tempo au reste du monde ; il y a évidemment l’Europe. Mais il y a aussi la défense de la planète que François Mitterrand évoquait dès 1988 dans sa « lettre aux Français », avec « ce rendez-vous de la nature et de la science ».
Littéraire affirmé, François Mitterrand était également un incroyable ambassadeur pour les sciences. Toujours dans sa lettre de 1988 aux Français, il écrivait : « J’entendais, lors d’une conversation amicale, quelqu’un dire :“si la France veut réussir, la recherche doit devenir l’enfant chéri de la République”. La formule m’a fait sou- rire. Mais elle m’a plus par sa simplicité. La recherche est la marque même de l’esprit de l’homme. » En écrivant cela, François Mitterrand liait le génie humain à sa capacité de créer, et de ne jamais arrêter de créer. Cette démarche créatrice a été la sienne, dans sa vie politique mais aussi à la Présidence de la République. Les années 1981-1984 révèlent un foisonnement d’initiatives, relayées par des projets de loi qui pour beaucoup ont été écrits en langage simple et compréhensible, qui tranche avec le charabia technocratique dont nous abreuve le gouvernement actuel.
Faire vivre et avancer des idées, oui, mais ne jamais perdre de vue que quand on préside la France, on doit la protéger de tout déclas- sement dans une compétition mondiale d’une grande rudesse. Là aussi, sa vision était très claire et doit nous inspirer : « il est temps, en effet, de prendre la mesure de l’enjeu. Considérons l’économie mondiale : on n’y voit qu’un champ de bataille où les entreprises se livrent une guerre sans merci. On n’y fait pas de prisonnier. Qui tombe, meurt. […]. La meilleure préparation conduit à disposer d’un plus grand nombre d’hommes et de femmes hautement qualifiés (la formation) et d’un armement industriel et scientifique supérieur à celui d’en face (la recherche). L’économie a besoin de savants. Les mouvements les plus rapides s’obtiennent par une créativité incessante ». Lier la puissance de la France à sa créativité est un objectif que nous devons continuer à défendre. La période actuelle voudrait faire l’apologie de la start-up nation et du low cost. On voit où cela nous conduit : au déclassement de notre pays. Revenir à notre modèle et à nos fondamentaux, avec une exigence de créativité et des efforts à fournir en ce sens, me paraît constituer une bonne boussole pour nos combats à venir.
L’héritage de François Mitterrand constitue pour nous une force : faire avancer nos droits et libertés, faire avancer le progrès qu’il soit social, économique et écologique.Toujours le faire avec une haute exigence, ne jamais le faire au rabais. Cela exige évidemment des efforts, mais c’est à ce prix que nous pourrons à nouveau changer la vie.
François Mitterrand voulait changer la vie. Il a changé nos vies, il a changé celle de millions de Françaises et de Français, d’Européens et d’Européennes. Il a changé la vie.