AccueilActualité1984-1988 : les alternances vues d’en haut, par RAYMOND KRAKOVITCH

1984-1988 : les alternances vues d’en haut, par RAYMOND KRAKOVITCH

Ce gros ouvrage constitue une somme sur la politique française de 1984 Ă  1988. Il rĂ©sulte d’un travail de recherche approfondi achevĂ© par un colloque organisĂ© par l’Institut François Mitterrand Ă  l’AssemblĂ©e nationale les 21 et 22 janvier 2016. Son objet principal Ă©tait de faire l’inventaire des Ă©lĂ©ments qui subsistèrent du changement opĂ©rĂ© en 1981 au cours des annĂ©es Ă©tudiĂ©es. L’accès dĂ©rogatoire aux archives prĂ©sidentielles a permis d’enrichir les travaux de documents inĂ©dits. Georges Saunier (dir.), Mitterrand, les annĂ©es d’alternance 1984-1986 et 1986-1988, Nouveau monde Ă©ditions, 2019, 879p, 27€) (article paru dans L’OURS 490, juillet-aoĂ»t 2019)Les bonnes analyses sont lĂ©gion. On citera celle d’Anne-Laure Ollivier sur le gouvernement Fabius, celles de Didier Maus et Bernard Lachaise sur la cohabitation, l’article d’Agnès Tachin sur Mitterrand et les mĂ©dias. L’étude de Michel Margairaz sur les privatisations et le libĂ©ralisme est Ă©clairante, de mĂªme que le passage en revue de la politique culturelle (Laurent Martin), de la protection sociale (Michel Dreyfus) et de l’évolution du Parti socialiste (Alain Bergounioux). Presque toutes les contributions seraient Ă  citer.

Passage Ă  la cohabitation
Le passage à la cohabitation pour la première fois sous la VeRépublique est central dans la plupart des études. On croyait l’usage du terme dû à Balladur mais selon Didier Maus, François Mitterrand a été le premier à l’employer en mars 1978, dans la perspective d’une victoire de la gauche aux élections législatives qui paraissait imminente.

La partie intitulée « La France et le monde » montre que le président de la République a constamment affirmé sa prééminence sur Jacques Chirac en politique étrangère, ce qu’on savait à peu près. Mais celle sur les transformations économiques se conclut par l’absence d’un tournant néo-libéral en 1986. Il y eut certes une vague de privatisations mais, en matière de politique du travail et de l’emploi, les inflexions n’ont pas bouleversé en profondeur les politiques publiques du secteur, selon Matthieu Tracol.

La politique de modernisation constatĂ©e lorsque Laurent Fabius est devenu Premier ministre en 1984 Ă©tait dĂ©jĂ  en germe dès 1981 selon LĂ©onard Laborie, qui a ressorti plusieurs interventions de François Mitterrand et de Pierre Mauroy exposant leur souci de se prĂ©parer Ă  l’évolution technologique, Ă  la troisième rĂ©volution industrielle, mettant en avant les vertus de l’innovation. Certes une naĂ¯vetĂ© subsistait en 1980 chez celui qui s’apprĂªtait Ă  affronter Giscard d’Estaing. Il affirmait que le socialisme serait « seul capable d’organiser, dans chaque champ du savoir, l’action de rĂ©sistance qui inflĂ©chira la technique du cĂ´tĂ© de la liberté ». L’exercice du pouvoir a montrĂ© que la rĂ©alitĂ© Ă©tait plus compliquĂ©e mais, rapidement, le nouveau prĂ©sident a renouvelĂ© son langage et insistĂ© pour une action volontariste auprès de ses Premiers ministres successifs.

PCF et FN : le croisement
Les partis situĂ©s aux extrĂ©mitĂ©s du champ politique ne sont pas oubliĂ©s. Il rĂ©sulte de l’étude très dĂ©taillĂ©e de Nonna Mayer que l’ascension du Front national a Ă©tĂ© mĂ©diatique avant dâ€™Ăªtre politique. Elle attache une grande importance Ă  la lettre adressĂ©e par Mitterrand Ă  Le Pen, en juin 1982, dans laquelle il jugeait anormal que la radio-tĂ©lĂ©vision ignore le congrès de son mouvement, alors que celui-ci avait pesĂ© moins de 1 % aux scrutins prĂ©cĂ©dents. Le chef de l’Etat a effectivement demandĂ© Ă  Georges Fillioud, ministre de la Communication, d’appeler l’attention des chaĂ®nes sur leur « manquement » Ă  cet Ă©gard. Une semaine plus tard Le Pen est invitĂ© au journal de TF1 et neuf invitations en huit mois vont suivre. La montĂ©e du Front national dès 1983-84 a forcĂ©ment bĂ©nĂ©ficiĂ© de ses interventions mĂ©diatiques et la volontĂ© de Mitterrand d’affaiblir ainsi la droite classique Ă  son profit est indiscutable.

En revanche, estimer que l’introduction de la proportionnelle en 1986 a eu pour but prioritaire de favoriser le parti extrémiste n’est pas fondé. Ce mode de scrutin était destiné à limiter la défaite électorale prévisible du PS et il a parfaitement rempli son rôle à cet égard.

La contribution de Jean Vigreux sur le déclin du PCF est également instructive. L’ouverture de ses archives démontre que sa direction souhaitait en 1981 le maintien de VGE plutôt que la victoire du candidat socialiste… mais qu’il n’a pu parvenir à en convaincre ses militants. On constate aussi l’évolution de son appréciation sur le gouvernement Mauroy, loué sur le moment (bilan estimé supérieur au Front populaire) alors qu’il sera ensuite qualifié de « trahison socialiste » ! Ces palinodies n’ont pas freiné une chute vertigineuse qui s’est traduite par la perte des deux tiers de ses voix entre 1978 et 1988 et son doublement par le Front national.

On passera sur l’article traitant des écologistes, décourageant en raison de leurs divisions continuelles. Un regret : l’absence de mention de la négociation Mauroy-Thatcher qui a permis la construction du tunnel sous la Manche. Mais, tel quel, l’ouvrage fournit une documentation considérable sur une période charnière de l’histoire de France. Une récapitulation chronologique aurait aidé à la mieux situer.

Raymond Krakovitch

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