« Les échelons locaux interviennent dans le quotidien des citoyens et il est important de trouver le moyen de les inciter à voter. »
Aurélia Troupel, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Montpellier, est membre du CEPEL (Centre comparatif des politiques publiques et des espaces locaux »). Elle a participé au Vote au village et à La fusion des régions, le laboratoire d’Occitanie, deux des ouvrages présentés dans notre dossier du mois. (TQA paru dans L’OURS 507, avril 2021)
Quels sont les principaux enjeux des élections régionales et départementales futures ? Et pourquoi sont-elles essentielles ?
Aurélia Troupel : Les élections régionales et départementales de 2021 sont importantes dans la mesure où ce sont les dernières avant la présidentielle de 2022. Elles joueront donc un rôle classique de scrutin intermédiaire à un an de la présidentielle. Mais au-delà, leur importance vient de ce que la présidentielle de 2022 succèdera, ou plutôt répondra, à celle de 2017, événement majeur de la vie politique française qui avait vu l’explosion de la droite, le Parti socialiste laminé et l’émergence d’une nouvelle force politique, La République En Marche. Toutes les cartes avaient donc été rebattues et, face à une telle perte de repères, les élections régionales et départementales auront également pour rôle le rattachement de différents acteurs aux partis politiques, l’identification des alliances qui fonctionnent et même, potentiellement, elles pourraient permettre, dans la perspective de ce scrutin présidentiel, de départager des candidats ou d’éventuels meneurs pour leur parti.
Pourtant, rien n’est encore arrêté et il est question d’un éventuel report de ces élections, initialement prévues en mars et déjà été reportées en juin. Or, chaque report génère une suspicion et la crainte d’un « bidouillage » électoral où la date serait fixée de manière à avantager un parti politique ; cela se traduit donc par un forme de « démobilisation » des électeurs et de « désenchantement ». Cela se traduit également par le fait que la campagne électorale ne peut pas démarrer : comment organiser tractages et meetings sans calendrier précis ? Cela n’est guère mobilisateur. Enfin, cela a aussi pour conséquence une couverture médiatique quasiment inexistante.
Enfin, ces élections sont importantes en elles-même car on retrouve des élections régionales et départementales qui se dérouleront simultanément, avec des départements qui devaient disparaître en 2021 et qui ont été ressuscités, des grandes régions dont les capacité d’action ont été renforcées et des collectivités territoriales qui se sont efforcés de prendre la main dans la gestion de la crise COVID. Ce sont donc des échelons qui interviennent dans le quotidien des citoyens et il est important de trouver le moyen de les inciter à voter. Enfin, dernier point, le local peut potentiellement servir de contre-pouvoir au pouvoir central. Pour toutes ces raisons, l’enjeu de ces élections est donc très important.
Quelles sont les principales conséquences des modifications introduites en 2015, tant sur les modes de scrutin, que sur ces collectivités territoriales elles-mêmes et sur leurs rôles ?
Pour le niveau départemental, la première conséquence, c’est bien évidemment la mise en place du scrutin binominal. Il s’agit d’un scrutin très atypique et créé pour l’occasion, instaurant un binôme homme-femme ; il vise à introduire la parité, tout en conservant le scrutin majoritaire. Mais, au-delà, il s’agit d’une réforme de grande ampleur visant à modifier en profondeur le fonctionnement des élections départementales, qui s’est traduite par un renouvellement intégral et un redécoupage de tous les cantons. Il s’agit d’un complet bouleversement. Pour les régions, le fait marquant est, pour la plupart d’entre elles, la mise en place de « super régions », c’est-à-dire le regroupement de plusieurs régions entre elles.
Quel bilan en termes de représentativité peut-on en tirer ?
Pour les régions, le bilan en termes de représentativité des élus est difficile à établir. En revanche, au niveau départemental l’évolution sociologique est manifeste. La première tendance la plus massive, c’est évidemment la féminisation des conseils départementaux qui est passée à 50 % en 2015 contre 13,8 % en 2011. Il s’agissait du dernier échelon qui résistait à la féminisation. C’est désormais chose faite. Lorsqu’on se penche un peu plus sur le profil sociologique, on constate un léger rajeunissement ; il est souvent lié à la féminisation dans la mesure où les femmes sont souvent un peu plus jeunes. On observe aussi une petite ouverture vers le secteur privé et, là encore, cela vient des femmes. Toutefois, en dehors de ces évolutions, les mêmes logiques continuent à s’exercer, s’agissant des candidats et surtout des élus. On retrouve notamment la prime de reconduction au sortant. Pour les femmes d’ailleurs, la plupart de celles qui ont été élues avaient en réalité déjà été remplaçantes en 2011, selon la logique du « galop d’essai ». La notoriété locale des candidats est toujours essentielle.
Les critères d’éligibilité n’ont donc pas fondamentalement changé, si ce n’est via l’imposition de la parité pour les conseils départementaux. Reste désormais à savoir si en 2021 le pourcentage de femmes sortantes sera plus élevé qu’en 2015 et au même niveau que pour les hommes. Il faudra également observer combien de binômes de candidats se représenteront à l’identique en 2021.
Même si la féminisation est extrêmement massive et constitue désormais une caractéristique essentielle des assemblées départementales, le nombre de femmes présidentes de ces assemblées reste dérisoire. Il faudra donc observer attentivement cet élément. La féminisation s’est traduite par une modification forte du fonctionnement des assemblées départementales, autour de ces binômes ; la plupart des retours d’enquêtes laissent apparaître un partage du travail, une répartition et un travail souvent de concert entre le conseiller départemental homme et femme. Cela aussi devra faire l’objet d’analyse plus poussées.
Propos recueillis par Isabelle This-Saint-Jean