Les élections de 2017 invitent à se tourner vers l’avenir. Pour autant le passé peut nous éclairer : qui allons-nous donc détester durant les mois prochains ?….
À propos du livre de Emiliano Grossman et Nicolas Sauger, Pourquoi détestons-nous autant nos politiques ?, Presses de Sciences Po, 2017, 176 p, 13 €Article paru dans L’OURS 468, mai 2017, page 1
Les faits sont là : les Français n’ont plus confiance dans les hommes (ou les femmes) qui sont censés les représenter et/ou les diriger. La montée des abstentions et la poussée des partis populistes se conjuguent pour le prouver. Deux professeurs associés à Sciences Po ont tenté d’en rechercher les causes. Ils l’ont fait à l’aide de comparaisons internationales qui montrent que la France est plutôt dans la moyenne européenne, qu’il s’agisse du niveau de notre démocratie, de la qualité de nos politiques publiques ou de la valeur du personnel politique.
Des données intéressantes sont fournies dans ces domaines : on n’insistera pas ici. La spécificité française renvoie plutôt à deux types de questions : la France est-elle plus difficile à gouverner que d’autres ? Nos institutions expliquent-elles méfiance et désamour ?
Un peuple frondeur
Sur la première question, on connaît la réponse habituelle : nous serions toujours des « Gaulois » indisciplinés, râleurs et coléreux. Il est vrai que les Français descendent plus facilement que d’autres manifester dans les rues pour le meilleur (après les attentats contre Charlie) ou pour le pire (ad libitum…). Les partis se sont affaiblis et leur financement public – paradoxalement – conduit à les mettre tous dans le même (pardon !) « panier de crabes ». La multiplication des élections intermédiaires avec le retour fréquent des mêmes personnes crée une certaine « fatigue démocratique » qui pousse au retrait ou au vote pour les extrêmes. Mais les Français manifestent aussi des capacités d’initiative et d’engagement civique incontestables. Ils survivent à leurs colères ! Finalement la France n’est pas très différentes de pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.
Une Ve République à bout de souffle ?
La seconde question, celle de nos institutions, mérite un examen approfondi. En effet 16 constitutions depuis 1789, 24 réformes constitutionnelles depuis 1958 montrent une insatisfaction chronique assez particulière. L’usage qui a été fait de la Ve République après de Gaulle aboutit à un système politique assez baroque, une véritable « machine à décevoir ». Il est fondé sur l’élection d’un président dont on attend qu’il résolve la quasi-totalité des problèmes du pays. Il en fera d’ailleurs la promesse lors de sa candidature… Les législatives sont censées lui donner une majorité : celle-ci n’existe donc que par lui et sa capacité de représentation du pays en est sérieusement amoindrie.
Depuis les dernières décennies, les processus de délégation (vers de multiples agences notamment), de décentralisation et d’internationalisation (à l’échelle européenne principalement) ont fortement limité les pouvoirs de celui qui est au centre du système. « La promesse d’une figure politique puissante et décisive est ainsi déçue par des processus de politiques publiques en complète contradiction ».
Que faire ?
Cette déception s’ajoute à la susdite fatigue démocratique pour provoquer une détestation des « politiques » qui s’inscrivent dans ce système. Les auteurs ont ainsi répondu à la question initiale, mais ils n’ont pas voulu s’arrêter là. Ils concluent par quelques propositions qui n’amèneront pas à changer de République, mais peuvent introduire de nouveaux comportements et « un meilleur climat de confiance politique ». Pour l’essentiel, il s’agirait d’organiser le même jour présidentielle et législatives avec, pour celles-ci , une dose de proportionnelle, de définir un mandat de cinq ans pour tous les élus à tous niveaux, de synchroniser les élections locales deux ans après les élections nationales, de réguler l’accès à la candidature et de créer un statut du parti, de l’élu, du financement politique avec le contrôle de cours judiciaires et constitutionnelles réellement indépendantes.
De toute évidence, ces idées méritent d’être débattues et si possible mises en pratique. Trop tard pour 2017. Mais il y a 2022 ! Peut-on encore d’ici là détester nos politiques au point de leur interdire de nous remettre en confiance ?
Robert Chapuis