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L’État providence plébiscité par ROBERT CHAPUIS

En 1981, l’OCDE publiait un rapport sur « La crise de l’État protecteur ». Depuis cette date, de multiples enquêtes ont tenté de percevoir la nature et l’évolution des attentes de l’opinion publique à l’égard de l’État providence. Enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble, Frédéric Gonthier a voulu en produire les résultats et en tirer de premières conclusions. Ce travail est évidemment particulièrement utile à l’heure où l’on s’interroge sur l’avenir des politiques sociales en France et en Europe, avec les conséquences politiques qui en découlent.
A propos du livre de Frédéric Gonthier, L’État providence face aux opinions publiques, Presses Universitaires de Grenoble, 2017, 260p, 27€

Article paru dans L’OURS 472, novembre 2017, p. 3

On attribue à l’Anglais Beveridge l’idée que, dans les sociétés industrielles marquées par le capitalisme, il revient à l’État d’assurer la protection des travailleurs et des plus fragiles pour compenser les inégalités dues au fonctionnement du marché (celui du travail comme des biens et des services). Dans la seconde moitié du XXe siècle, la social-démocratie s’est définie autour de cette notion d’État providence et l’a mise au centre de son action gouvernementale. Cependant, depuis les années 90, cette politique s’est heurtée à des difficultés qui ont contribué à sa mise en cause. On s’est interrogé sur la solvabilité de l’État (compte tenu de l’affaiblissement de la croissance), de son efficacité (complexité des procédures, dispersion des aides), et même de sa légitimité, quand on se demande si l’État ne doit pas s’en tenir aux seules fonctions régaliennes. La globalisation ne modifie-t-elle pas le rôle de l’État ? Faut-il tenir compte de l’évolution des modes de vie ? Certains se demandent si, en ces temps d’austérité, il ne faudrait pas limiter le rôle de l’État à des fonctions de contrôle plutôt que de redistribution. Dans de nombreux pays, l’État providence est mis en question, d’où l’intérêt de connaître l’état de l’opinion publique à son égard.

Frédéric Gonthier note que « le développement de l’État providence et l’extension des droits sociaux ont créé une clientèle de bénéficiaires très attachés au maintien de leurs acquis sociaux ». Elle recrute dans toutes les couches de la société « mue par ses intérêts et l’idée d’un contrat social implicite entre gouvernants et gouvernés ». Malheur à ceux qui voudraient le remettre en cause ! Bien plus les intérêts se conjuguent avec des valeurs qui imprègnent la société : solidarité, justice, respect de la dignité de chacun… D’où des attentes sociales élevées dans tous les pays européens, mais « ils divergent sur la manière de concrétiser ces attentes ».

L’appétence pour un État social
Dans une première partie, l’auteur s’attache à « mesurer et décrire les attitudes à l’égard de l’État providence ». S’appuyant notamment sur une enquête de 1990 sur « les valeurs en Europe », il constate que la tendance au libéralisme économique n’a pas diminué l’appétence pour un État social, au-delà des critiques qui traversent l’opinion. Les formes institutionnelles varient cependant d’un pays à l’autre. C’est l’objet de la seconde partie. Deux grandes tendances se dégagent : d’une part, les pays du Nord (en particulier Danemark, Norvège, Pays-Bas) se distinguent des pays du Sud, moins soucieux d’égalité. D’autre part, dans les pays de l’Ouest européen, on se montre plus attaché aux droits sociaux que dans les pays de l’Est où priment les valeurs individuelles et familiales. Finalement, la France conjugue les différentes tendances car l’opinion adhère fortement aux principes de l’État providence, mais se montre facilement critique à l’égard des résultats obtenus. D’où la difficulté pour les élites politiques de trouver un bon équilibre dans la gestion des institutions concernées.

En conclusion, Frédéric Gonthier admet que « le soutien de l’État providence semble profondément enraciné dans l’opinion publique européenne » et il prévient – c’est sa dernière phrase – qu’un « État providence fort peut donc être un filet de sécurité social pour les citoyens ordinaires mais aussi un filet de sécurité électoral pour les gouvernants ». On sait que ce conseil a été largement suivi, au point que toute modification prend une tonalité révolutionnaire. Le problème, c’est que la société change et que, du même coup, les enjeux de la sécurité ne sont plus les mêmes. Il apparaît d’ailleurs à travers les enquêtes que partout deux risques deviennent dominants et appellent une intervention de l’État : le chômage et le vieillissement. Autrement dit, la sécurité sociale professionnelle et la prise en charge de la dépendance, c’est donc que de nouveaux équilibres doivent être trouvés, avec les prises de risque que cela comporte. S’y ajoute la dimension européenne qui pose la question de l’État et de la place des États-nations dans un ensemble qui ne se limite pas à un marché et nécessite une protection sociale à sa dimension. La question des « travailleurs détachés » en est à la fois un bon exemple et un symptôme. C’est de toute évidence un long combat qui commence : à l’exigence démocratique, l’Europe devra ajouter l’exigence sociale. Inexorablement, l’État providence, en se limitant aux frontières de la nation, peut aboutir à freiner les évolutions indispensables. Conflits d’intérêt mais aussi conflits de valeurs. On aura bien besoin d’enquêtes pour affiner le regard et trouver les solutions. Aux 30 pages de bibliographie de cet ouvrage, il faudra en ajouter bien d’autres pour essayer de saisir les évolutions de l’opinion et trouver la meilleure façon d’agir.

Robert Chapuis

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