Longtemps, le rôle des socialistes dans la Résistance ou à la Libération a paru minoré, coincé entre les deux fortes mémoires, constamment vivifiées et entretenues, des communistes et des gaullistes. La situation a évolué au cours des années 1990, même si aujourd’hui le regard historiographique semble à nouveau fraîchir. De toute façon, le travail de recherche et d’interprétation est inlassablement repris comme en témoigne ce colloque organisé en novembre 2014 par l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS) et l’Université Paris-I : une vingtaine de communications et une table ronde qui bénéficient d’une édition soignée, avec introduction, conclusions et index. Le colloque s’est bien transformé en livre. Sa perspective ne se limite pas à la France, mais embrasse la dimension européenne, avec notamment l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. De même, les socialistes ne sont pas artificiellement isolés, mais pris dans leurs relations de voisinage complexe avec les communistes et les démocrates-chrétiens, les syndicalistes et les coopérateurs. Ils sont scrutés dans des domaines spécifiques (l’économie, les institutions, la justice et la police, l’information, l’agriculture et le ravitaillement, l’éducation, les débuts de la sécurité sociale) et davantage encore avec des études sur les femmes ou la jeunesse. Les focales sont variées et du particulier au général, l’étude est précise, documentée et informée.
En fait, le débat tourne autour de la fameuse formule de Léon Blum : « le socialisme maître de l’heure ». Comme l’indique Gilles Vergnon, la citation doit être replacée dans son contexte (le congrès de la SFIO d’août 1945) et il faut souligner que Blum distingue « le socialisme » du « Parti socialiste » appelé à se montrer « digne du socialisme ». En ce sens, il apparaît difficile encore aujourd’hui de contester la pertinence de son appréciation : sous les formes et les acceptions les plus diverses, en gros de Roosevelt à Staline en passant par la plupart des chefs d’État occidentaux et des dirigeants autonomistes ou indépendantistes des colonies, le socialisme est une référence obligée du « moment 1945 » et des décennies suivantes. En revanche, pour ce qui est du Parti socialiste SFIO lui-même, l’expression « rendez-vous manqué » que propose de retenir Nicolas Roussellier dans ses conclusions convient certainement mieux. Les socialistes ont participé à la Résistance, mais ils ne l’incarnent pas. Ils contribuent à de vastes réformes structurelles, mais celles-ci ne conduisent pas à une marche irréversible vers le socialisme. Ils agissent pour la construction européenne, mais celle-ci ne peut pas s’appuyer sur une relance de l’internationalisme, devenu bien poussif après les affrontements de la guerre, alors que commence à s’imposer une décolonisation peu ou mal assumée. La république est restaurée, mais sous une forme vite décevante. Les socialistes ne bénéficient pas d’un appui populaire massif et sont bientôt ramenés à des scores modestes (15 % des suffrages dès 1951, pas beaucoup plus qu’en 1906 ou en 1910). Cela, soit dit en passant, pourrait conduire à réévaluer leurs mérites : avec des moyens limités, ils font au moins un peu ! L’inventaire reste ouvert, sachant qu’il ne faut pas « juger toujours, juger tout le temps » comme Jaurès le recommandait aux historiens.
Gilles Candar
Pour citer cet article : « Librairie », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2017/4 (N° 136), p. 183-206. DOI 10.3917/ving.136.0183
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