Prenant sa retraite de journaliste, Gérard Courtois, chroniqueur politique au Monde, a éprouvé le besoin de publier une centaine de ses chroniques qui s’échelonnent de décembre 2007 à décembre 2018. En une douzaine d’années se sont succédé trois quinquennats avec Sarkozy, Hollande et Macron, le dernier étant encore en cours. Observateur pointilleux d’une vie politique surdéterminée par le système présidentiel, Gérard Courtois a constaté, dit-il, « la fin d’un monde ». Son livre est donc une sorte de cérémonie funèbre où l’historien pourra retrouver les signes de plus en plus évidents d’un dépérissement démocratique dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. À propos du livre de Gérard Courtois,La fin d’un monde. Chroniques politiques, Tempus-Le Monde, 2019, 544p, 10€ (article paru dans L’OURS 490, juillet-août 2019).
C’est d’abord le quinquennat Sarkozy après la défaite de Ségolène Royal. Une agitation permanente pour masquer le décalage entre les promesses et les réalités de l’action. En face, un PS sans boussole, tandis que le PC s’effondre. Les intellectuels sont tenus à distance et l’on pressent que les « affaires » vont lourdement plomber la fin du quinquennat. Le 30 novembre 2010, Courtois intitule sa chronique « la fin du sarkozysme ». La gauche saura-t-elle saisir ses chances ? C’est alors qu’éclate, à New York, le 15 mai 2011, « l’affaire Strauss-Kahn » : DSK est hors course. Au PS, Hollande a mené une campagne opiniâtre qui finit par payer. La primaire lui réussit, Aubry et Montebourg doivent se rallier. Saura-t-il prendre la dimension présidentielle ? On en doute d’abord, puis c’est le discours du Bourget. Le 2 mai 2012, Courtois conclut sa chronique en constatant que « François Hollande s’est donné tous les moyens de gagner cette élection, Nicolas Sarkozy aura tout fait pour la perdre ». Hollande, « l’anti-héros » l’emporte, mais l’extrême droite a encore progressé.
Nouveaux clivages
De nouveaux clivages apparaissent :« l’Europe et la mondialisation constituent deux failles puissantes qui fragilisent la droite comme la gauche, réactivent des réflexes nationalistes ou protectionnistes et érodent les partis de gouvernement » (5 décembre 2012). Le quinquennat Hollande s’engage dans un contexte difficile : une promesse hasardeuse sur le chômage qui ne cesse d’augmenter, l’affaire Leonarda, les bonnets rouges, la mobilisation de la droite contre le mariage pour tous. Attaqué sur sa droite et sur sa gauche, Hollande fait le dos rond. L’intervention au Mali le rend plus carré, mais la confiance s’est érodée. 2013-2014 : crise politique ou crise du régime ? Derrière la façade réformiste, on voit bien « l’impuissance du pouvoir, la déliquescence de l’opposition, l’évanescence des règles du jeu politique ». « La gauche peut mourir, la droite aussi » (27 août 2014). Survient alors l’attentat contre Charlie : le 11 janvier 2015, le peuple de France se lève contre le crime et pour la liberté d’expression. Hollande mobilise le monde entier. Avec Manuel Valls, il fait face au terrorisme.
Les divisions de la gauche
Un moment exceptionnel, mais la gauche ne cesse de se diviser avec Mélenchon et les frondeurs. La droite se déchire dans la perspective de la présidentielle : Juppé en tire profit, mais jusqu’à quand ? 2016 est marqué par le débat calamiteux sur la déchéance de nationalité. Hollande est dans les cordes, Sarkozy aussi. Les primaires de gauche et de droite créent une nouvelle donne : Fillon à droite et Hamon à gauche. Ce dernier l’a emporté sur Valls après la défection de Hollande qui a décidé de ne pas se représenter. Depuis avril, « Macron l’enchanteur » fait bande à part, mais il paraît bien frêle pour une compétition où il faudra compter avec les extrêmes, Marine Le Pen et Mélenchon. « À un an du scrutin de 2017, chacun pressent que l’élection se jouera entre la droite et l’extrême droite » (13 avril 2016). Un président ne devrait pas dire ça, le livre des journalistes duMonde, avait démontré la sincérité et l’esprit d’indépendance de Hollande, mais noirci son bilan de telle sorte que la gauche était elle-même dévalorisée. Mais Fillon à son tour est atteint par une campagne de presse. En maintenant sa candidature contre vents et marées, il dévalorise à son tour la droite toute entière.
Macron à quitte ou double ?
Ces mésaventures donnent de l’éclat à la campagne de Macron auquel s’est rallié Bayrou. Au premier tour, il est qualifié face à Marine Le Pen. Courtois le reconnaît : « le chemin parcouru oblige à admettre que l’on s’est trompé sur toute la ligne » (25 avril 2017). La concurrence entre Mélenchon et Le Pen s’est conclue en faveur de cette dernière, mais le second tour lui sera fatal : Emmanuel Macron triomphe. Il dit s’inscrire dans les pas de Rocard : est-ce vraiment le cas ? Courtois en doute, mais en laisse le bénéfice au nouveau président. Dès janvier 2018, c’est pourtant « la fin de l’état d’indulgence ».
Après un été pourri, les réformes sont-elles encore possibles face à un front du refus ? Hollande se reprend d’ailleurs à espérer. Au-delà de la crise des Gilets jaunes, la majorité des Français éprouve de la méfiance ou du dégoût pour les responsables politiques. « C’est dire la profondeur de la crise de la représentation politique, condition essentielle, sinon exclusive de la démocratie » (5 décembre 2018). Par la vertu de la VeRépublique, le président garde la légitimité du pouvoir, mais Macron pourra-t-il faire face ? 2019, ce sera « quitte ou double » (19 décembre 2018).
Ainsi s’achèvent les chroniques de Gérard Courtois, dont l’honnêteté scrupuleuse va jusqu’à l’autocritique. Ce regard sur un passé observé au fil de l’actualité est utile à un moment où il faut inventer un nouvel avenir, on dit même un nouveau monde. Les dérapages n’ont pas manqué et nous en payons le prix. Ceux qui nous gouvernent sauront-ils en tirer les leçons ? Et nous, saurons-nous changer ?
Robert Chapuis