Le premier numéro de Front Populaire, La revue de Michel Onfray – comme il figure dans le titre même – a été précédé de tout un débat dans la presse sur son objectif, tel qu’il a été exposé dans les médias par son concepteur. Rassembler tous les « souverainistes » – l’autre nom des nationalistes – de l’extrême droite à l’extrême gauche éveille, évidemment, des interrogations légitimes. Car les expériences historiques passées montrent que les équilibres ne sont jamais maintenus et que les idéologies d’extrême droite l’emportent rapidement sur les autres. Cela dit, il vaut mieux juger sur pièces pour éviter la critique – que ne manque pas de faire Michel Onfray – de mener un procès a priori. (« Souverainisme ! », Front Populaire, « La revue de Michel Onfray », n°1, juin 2020, Editions du Plénître, 2020, 158 p, 14,90€)
Détournement de sens
Disons-le d’emblée, le texte liminaire du directeur de la revue procure un bref soulagement (cela sera bien le seul !). Il ne tente pas, en effet, de revendiquer une filiation avec le Front populaire historique. L’utilisation du terme se révèle un simple détournement de sens. Car le contenu de cette revue est tout autre que celui donné par l’alliance des partis de gauche, en 1936, comme de la CGT réunifiée et de nombreuses associations qui appartenaient au Comité du rassemblement populaire, qui entendait, avant tout, combattre le fascisme et ne se reconnaissait pas dans l’idée d’un « socialisme national ». Michel Onfray rejette les notions mêmes de gauche et de droite, pour leur préférer une opposition entre le « peuple » – jamais vraiment défini d’ailleurs – et les « élites ». Il aurait été difficile de vouloir tenir un parallèle entre les deux époques sans tomber dans des contre-vérités flagrantes. La lecture des articles qui composent ce numéro permet de voir clairement les trois axes qui structurent son projet politique actuel.
Haro sur l’hydre néo-libérale
Il y a, d’abord, une dénonciation globalisante du néo-libéralisme qui est tenu pour responsable de tous les maux présents de la planète, la désindustrialisation, le chômage, le démantèlement de la protection sociale, l’ubérisation, le réchauffement climatique etc. Mais en s’en tenant à des généralités qui, reconnaissons-le, sont l’antienne de la critique du capitalisme aujourd’hui, on ne fait pas les différences entre les différentes politiques nationales (la France à un taux de prélèvement obligatoire autour de 54 % du PIB par exemple), on fait comme s’il n’existait pas un « modèle social » européen, pourtant bien identifiable dans la crise actuelle, on ignore volontairement le poids des politiques de puissance dans les problèmes du monde… A construire une hydre néo-libérale toute puissante, on nourrit, de fait, un fatalisme qui conduit à l’impuissance concrète, mais donne de grandes facilités idéologiques et polémiques.
Haro sur l’Union européenne
Le deuxième axe de la revue – et c’est sans nul doute l’axe dominant – est plus que la critique attendue de l’Union Européenne, on peut parler d’une véritable haine qui s’en prend aux politiques, aux idées, aux hommes mêmes. Ce qui est présenté comme un projet « impérialiste », contre les nations, porté par des élites dénaturées, entend détruire jusqu’à l’âme des peuples. Michel Onfray, dans sa présentation, n’hésite pas à écrire que l’Union Européenne veut « en finir avec les cathédrales et les bibliothèques au profit des super marchés et des MacDo » ! Presque tous les articles attribuent, pour les problèmes qu’ils traitent, tout une part du mal –sinon tout le mal – à l’Europe. Ainsi l’essayiste Barbara Lefebvre insiste sur la responsabilité de « l’Europe post-maastrichtienne » dans « l’effondrement de l’école » en France, sans s’interroger une seconde sur la différence des performances entre les dits « États maastrichtiens »… Il n’est donc pas étonnant que l’économiste Jacques Sapir, qui a pris partie depuis des années pour la sortie de L’Euro, soit mis en vedette dans ce numéro.
Quel redressement national ?
Le troisième axe structurant est l’importance donnée au combat culturel dans le « redressement national » à opérer. L’expression « guerre des civilisations » est utilisée en bonne part. L’éditorial marque même clairement : « Nous souhaitons installer le combat de Front Populaire sur le registre des civilisations. Peut-être même plus précisément sur celui de la défense de la civilisation judéo-chrétienne. » Plusieurs auteurs prennent parti pour une politique vigoureuse d’assimilation pour faire face aux périls que fait courir l’islamisme, peu différencié de l’Islam lui-même. La revue défend, par la même, une conception universaliste de la laïcité – comme le développe Henri Pena Ruiz. Ce qui s’entend, évidemment, mais demanderait au moins de ne pas esquiver l’articulation nécessaire entre le respect de l’unité commune et la liberté des croyances – ce que savaient les concepteurs de la loi de 1905 qui a posé les fondements de la laïcité française.
Un front composite
La lecture, enfin, des textes présente un autre intérêt. Elle permet de mesurer les oppositions déjà présentes entre les différents auteurs et les composantes de ce qui veut être le creuset d’un rassemblement idéologique. La notion de « souverainisme » est faussement unificatrice. Pour ne prendre que les deux entretiens du numéro, le plus en évidence, celui entre Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers, et celui entre deux cadres dissidents de La France Insoumise, Georges Kuzmanovic, à la tête actuellement d’un petit parti souverainiste, et Andréa Kotorac, passé au Rassemblement national, les contradictions apparaissent nettement. Philippe de Villiers envisage un « Frexit », Jean Pierre Chevènement une monnaie commune, le premier fait l’éloge des Gilets jaunes, le second s’en tient à son discours républicain. Les deux souverainistes issus de La France Insoumise sont séparés par toute l’étendue de la question stratégique : Le Rassemblement national constitue-t-il la seule issue réelle pour le souverainisme ou y a-t-il une autre perspective ? Andréa Kotarac plaide pour son nouveau parti, Georges Kuzmanovic demeure flou. L’on peut, dès lors, comprendre que le projet que porte ce mal nommé Front Populaire ne puisse s’en tenir, le plus souvent, qu’à des généralités idéologiques et n’affronte pas la complexité du réel en ne voulant pas penser les conséquences des positions claironnées.
Alain Bergounioux