Christophe Gomart est militaire, saint-cyrien, parachutiste. Il a commandé le 13e régiment de dragons parachutistes (« le 13 »), a été à la tête du Commandement des opérations spéciales (COS, créé en juin 1992) à l’été 2011 puis, deux ans plus tard, à celle de la Direction du renseignement militaire (DRM, créée le même mois), un des six services spécialisés de renseignement chargé de recueillir les éléments stratégiques et tactiques pouvant être utiles aux forces armées lors d’opérations. À propos du livre du général Christophe Gomart, avec Jean Guisnel, Soldat de l’ombre. Au cœur des forces spéciales, Tallandier, 2020, 381 p, 19,90€
Pour les amateurs de séries télévisées, indiquons que ces forces spéciales sont bien distinctes du service action (SA) du SDECE puis de la DGSE, un service dont l’auteur estime, arguments à l’appui, qu’il serait pertinent de le rattacher au COS, quand bien même « l’opérateur des forces spéciales ressemble à s’y méprendre au clandestin du SA ». Il termine avec les quatre étoiles d’un général de corps d’armée et, au moment où François Hollande, quitte l’Élysée une carrière militaire qu’il avait commencée lorsque François Mitterrand s’y installait.
Citant abondamment les présidents de la République, ainsi que les Premiers ministres dans une moindre mesure, il n’évoque que deux ministres de la Défense, ce qui en dit long sur leurs rôles respectifs dans le domaine qui fut le sien. N’insistons pas sur les anecdotes, croustillantes ou révoltantes, qui sont le lot d’un tel livre. Mais il serait frustrant de ne pas mentionner l’évocation de détachements du SA de la DGSE (« ces clandestins étaient visibles comme le nez au milieu de la figure ») dans le Sahel : « Leur but était souvent de redécouvrir des points d’eau que les cartes de l’époque coloniale, toujours disponibles, mentionnaient déjà avec précision ! »
Moyens humains
La lecture de cet ouvrage est – comment pourrait-elle ne pas l’être ? – instructive. Après un petit rappel historique, c’est une autobiographie professionnelle qui nous est livrée avec l’aide de Jean Guisnel, un des fondateurs de Libération avant d’être, depuis la fin du siècle dernier, journaliste au Point, spécialiste très informé en questions militaires et renseignement. S’il est aussi un plaidoyer pour que davantage de moyens, « surtout humains », soient accordés aux forces spéciales afin de leur permettre d’ « agir plus efficacement à l’avenir », l’ouvrage se veut surtout un hommage aux militaires qu’il a commandés, « des personnes œuvrant en pleine conscience pour la liberté, la sécurité collective et le bien de tous ». Mais, comme il le précise, « trente ans plus tard, il est temps de l’écrire », quand bien même il est évident qu’il n’écrit pas tout, et pas toujours tout à fait.
Les guerres de l’ex-Yougoslavie (avec quelques lignes désopilantes sur Jean-François Deniau, Philippe Douste-Blazy et Bernard Henry Lévy) et les traques des criminels, l’opération Turquoise au Rwanda, des interventions pas toujours très médiatisées au Tchad, en Libye, en Syrie (avec l’éloquente lettre d’une femme officier des forces spéciales après l’abandon des Kurdes – une « trahison » – en octobre 2019), au Mali, au Niger, en Mauritanie, en Afghanistan sont abordées par un acteur attentif, qui avait été formé pour une confrontation avec le pacte de Varsovie et qui doit affronter un tout autre ennemi. On sait quel rôle ont joué les services secrets britanniques dans la mise en place du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) de la France libre1, et la coopération avec les services et forces spéciales étrangers est abordée par Christophe Gomart, le SAS anglais bien sûr, mais aussi les services suédois, canadiens, tchèques, américains surtout, sans oublier, dans la traque des criminels de guerre, les Allemands. Signalons aussi, entre autres, son mea culpa et sa réflexion sur la place des femmes dans les forces spéciales (« la moitié du monde », un titre de chapitre qui évoque « la moitié du ciel » chère à Mao-Ze-Dong), ainsi qu’un chapitre que l’on aurait aimé voir développé sur « le COS et les autres… », la proximité avec « nos amis du GIGN » et « les cousins du RAID ».
Peu langue de bois
« Personne ne m’a jamais demandé mon avis […], ce qui n’est certes pas suffisant pour que je ne le donne pas », explique l’auteur, dont ce texte est peu en langue de bois et en rien décevant, contrairement à nombre d’ouvrages de ses semblables qui donnent l’impression de « jou[er] dans un film américain ». C’est toute l’histoire politique, diplomatique et militaire des quatre dernières décennies qu’il nous est possible ici d’appréhender, en une lecture qui en vaut la peine.
Christian Chevandier
1 - Voir bien sûr la thèse de Sébastien Albertelli, Les services secrets du général de Gaulle. Le BCRA (1940-1944), Paris, Perrin, 2009.