Cinéma : Voyage au bout de la guerre par JEAN-LOUIS COY (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle de Arthur Harari, coproduction, 2019 (sortie en 2021), 2 h 45
En 1942, le soldat Hiro Onoda est chargé de diriger un commando d’élite. En 1944, ils sont envoyés sur l’île de Lubang. Leur mission : résister aux Américains et ne pas mourir. Le Japon capitule en août 1945. Le lieutenant Onoda continuera sa guerre jusqu’en1974.
La première image du film saisit le spectateur : un randonneur suit le cours d’une rivière, installe un petit magnétophone sur une pierre, le son s’échappe, remonte à peine le cours de l’eau ; derrière un rideau végétal, une sorte de forme humaine ébouriffée, un paon qui nous tourne le dos, visiblement camouflé sous un feuillage pour écouter, un homme sculpté dans la jungle.
Le cinéaste Arthur Harari (déjà auteur de Diamant noir en 2016) maîtrise l’espace mental et physiologique des personnages, le huis clos en plein air (!) où les soldats survivent, la régression cognitive et l’affectivité ? Ainsi, sans jamais appuyer les détails dévoile-t-il les images de la décomposition humaine et la perte de l’harmonie, enfin la réduction du jugement, la folie aussi envahissant que la jungle. Celle-ci se dissimule, le montage épure la mise en scène, pas de brillance, de lyrisme, nous sommes immergés dans la double image, l’action et le guet. L’éclairage oscille entre la lumière des couleurs et l’ombre de la nature, la terre, la rivière, la forêt face à la solitude des hommes figés dans la monotonie de leurs gestes inutiles que la caméra rend tout d’un coup captivants comme si le statisme d’une image était d’abord l’éclosion d’un mouvement.
À un seul moment du récit, Onoda et son second se baignent dans la mer, s’amusent à la plage, se protègent de la pluie presque sous un parasol, est-ce le retour à la joie, à la simple humanité ?
Au-delà du temps les uns ne savent rien, les autres ne veulent rien savoir, d’une mémoire marmoréenne on ne raconte rien, il faut que les choses s’arrêtent. Onoda, on connaît l’histoire, sera le dernier, peut-être le premier à estimer le prix qu’il a payé après son échec d’être un kamikaze, lorsque son instructeur lui a impérativement ordonné de ne pas mourir durant la mission qu’il lui confie. Ne s’agit-il pas de l’obligation à se surmonter lui-même sans le soutien d’une mort parfois salutaire au milieu du chaos où le Japon humilié risque d’être laminé ?
Pendant trente années Onoda apprendra à reconnaître les formes diverses de la vie, la violence le crime, la justice, le mensonge mais aussi le bruit des arbres, la douleur, la fuite, la peur, ce que la caméra de Arthur Harari ne cesse d’illustrer dans ce très grand film français (en coproduction). L’humanité revient-elle au fil de la rivière lorsque le randonneur prend enfin la parole ? Dès lors, strictement selon le code impérial militaire représenté par l’instructeur jailli du passé, le lieutenant Onoda s’arrache-t-il à une pénitence qui lui a fourni la force secrète, l’illumination de recouvrer la paix ?
Jean-Louis Coy
Hiro Onoda, Au nom du Japon, La Manufacture des livres, 2020, 317 p., 20,90 euros).
En 1945, quelques soldats japonais basés dans une ile des Philippines continuent « leur » guerre, isolés du reste du monde, le dernier d’entre eux ne se rend qu’en 1974… fiction bâtie par un écrivain imaginatif ? Non, c’est l’histoire réelle de Hiro Onoda. Pendant 30 ans, il a poursuivi avec ses camarades une sorte de guérilla. Ils avaient des informations, mais ne pouvaient croire à ces fake news : le Japon éternel n’avait pas pu perdre la guerre ! Dernier survivant, Hiro Onoda s’est finalement rendu en 1974, devenu héros national. Il est mort en 2014 après avoir publié ces Mémoires éditées en France en 2020, témoignage ahurissant sur sa vie quotidienne dans la jungle et sur la construction d’une folie.
Denis Lefebvre