Les militants ont déserté les partis politiques (moins de 1% des électeurs en France). Pourtant, les politistes s’y intéressent toujours, avec des approches renouvelées, comme le montrent deux ouvrages récents et stimulants qui portent sur les militants écologistes, communistes, de droite ou du RN. À propos de livres de Vanessa Jérome, Militer chez les Verts, Presses de sciences PO, 2021, 306p, 22€ et Raphaël Challier, Simples militants. Comment les partis démobilisent les classes populaires, PUF, 2021, 367p, 21€
L’analyse du militantisme dans les partis a longtemps été essentiellement quantitative et sociographique (qui sont-ils ? sont-ils à l’image des groupes sociaux que les partis sont censés représenter ?). Les approches dominantes sont aujourd’hui plus qualitatives, centrées sur les trajectoires des engagés, les conditions de possibilités biographiques, sociales et institutionnelles de l’adhésion et du maintien de l’engagement, le « façonnage organisationnel » (comment les partis fabriquent les militants ?) ou sur le travail militant (que font les militants ?).
Les militants « écolos »
Vanessa Jérome s’attache dans un livre issu de sa thèse et d’enquêtes postérieures à explorer la société militante d’un parti appelé sans doute à jouer un rôle de premier plan dans les prochaines années avec la transition écologique. « Mi-phénix, mi-caméléon, le parti Vert se ressource sans cesse » mais se définit par une sociologie militante assez spécifique que scrute l’ouvrage. Les militants « écolos » sont peu nombreux (entre 8000 et 10 000 avec un pic en 2011 à 16 500), très diplômés, à 60 % des hommes et instables (le turn over atteint 30 % parfois certaines années, 50 % sur certains groupes locaux). Mais la sociologue s’attache surtout avec précision à leurs trajectoires. Elle développe une approche sociologique très fine articulant les notions d’habitus, d’institution et de carrière (« une sociologie interactionniste des carrières militantes et de l’institution partisane »), appuyé sur de beaux portraits. L’engagement est, on le sait, la rencontre entre un individu défini par ses dispositions acquises, ses propriétés sociales, ses croyances et une offre de militantisme portée par une organisation et définie par des règles et des routines sédimentées. Il y a une congruence entre certains habitus (catholique, soixante-huitard, ascétique, nés dans le monde associatif…) et le parti vert.
Vanessa Jérome différencie trois figures et trajectoires de militants : les « altruistes » (chez qui la socialisation catholique est souvent centrale), les « insoumis » (arrivés à l’action collective par les études et des contextes de politisation), les « spécialistes » (professionnels des sciences du vivant ou de la terre). Elle montre aussi que ce qui fait tenir le collectif partisan c’est un « habitus minoritaire » que le parti produit et entretient. Les militants se vivent à la fois comme une avant-garde (ils sont dessillés et éclairés précocement sur les enjeux écologiques) et comme minoritaires (ils sont isolés dans les coalitions, pèsent peu…). Ils développent en ce sens une capacité à prendre à revers le stigmate et à faire de l’assignation identitaire une fierté politique. L’ouvrage éclaire aussi loin des clichés (« la firme ») la semi-professionnalisation des Verts. Alors qu’ils prônent la « politique autrement », ils ont dû intégrer les logiques de la politique professionnelle tout en cherchant à maintenir leurs styles politiques.
Les militants de base
L’étude de Raphaël Challier est à la fois plus large et plus ciblée. Issu d’une thèse récente, l’ouvrage propose une ethnographie multisituée de militants subalternes dans des milieux populaires. Les militants dits « de base » ou « de terrain » qui fréquentent peu les congrès mais beaucoup les marchés sont l’objet de l’attention du politiste dans les sections de base de trois partis (UMP, l’organisation de jeunesse du PC et le FN). Les analyses localisées comparatives et denses proposées font toute la richesse d’un travail méticuleux et précis. Il est difficile de résumer le livre, très riche, même s’il ne fait parfois que confirmer des travaux existants. L’intérêt du travail est son attention aux variables de classe sociale. Au sein des collectifs militants, les rapports de pouvoir recoupent et redoublent souvent les rapports de classes. Les acteurs dominés restent assignés à la base. « Les partis apparaissent comme des petites sociétés composites et stratifiées où des militants unis pour une cause sont aussi divisés par la classe ». La marque UMP attire des profils de militants ancrés à droite de l’espace social et en haut des classes populaires. Une des rétributions symboliques du militantisme est de fréquenter « des gens bien ».
Au RN, la dédiabolisation attire de nouveaux profils de militants en abaissant les coûts symboliques de l’engagement frontiste, souvent attirés par les postes aussi car la concurrence y est plus faible que dans d’autres partis. L’analyse confirme un acquis de la sociologie des partis : les militants sont rarement des idéologues. Ils sont assez sceptiques à l’égard des « grands discours » et se situent dans un entre-deux entre « profanes » et « spécialistes ». Mais l’auteur montre, de manière plus originale, que leur conscience est sociale plus qu’idéologique. Cette conscience sociale est légitimiste à l’UMP (respect des dominants), triangulaire dans le parti d’extrême droite (les militants se situent entre les dominants et les pauvres peu méritants, « assistés »…) et protestataire au PC. Le militantisme est un laboratoire pertinent de l’analyse des partis et de leurs transformations.
Rémi Lefebvre
article paru dans L’ours 513, décembre 2021