Militant syndicaliste havrais de la Confédération générale du travail, Charles Marck (1867-1951) avait rédigé ses mémoires, consultables au Musée social. Michel Pigenet qui en signe la préface en a découvert l’existence grâce à la véritable érudition et à la connaissance qu’Anthony Lorry avait des fonds du Musée. (À propos de Charles Marck, Les routes que j’ai parcourues, présenté par Michel Pigenet, col. Archives du travail, Classiques Garnier, 2021, 264p, 26€)
Les souvenirs couvrent la période de la CGT au temps du syndicalisme révolutionnaire dans l’un des hauts lieux des luttes syndicales, Le Havre. Michel Pigenet note avec raison que l’écriture du texte est assez traditionnelle pour les milieux militants même si l’itinéraire et le parcours militant le sont moins.
Charles Marck est le fils d’un journalier lorrain et d’une Alsacienne tous deux installés au Havre. Sa mère meurt deux ans après sa naissance alors que son père a déjà sombré dans l’alcoolisme. Il est confié à sa tante, une employée, qui travaillant jusqu’à 16 heures par jour ne peut s’occuper de lui. Fréquentant peu l’école, il devient mousse à 15 ans, en 1882. Il retourne s’installer au Havre où il travaille comme scribe, avant de devenir docker. Le jeune homme passionné par le théâtre ne rate pas une pièce. Après son service militaire, il redevient docker et se syndique.
Marck expose longuement dans ses mémoires les périodes de chômage et de travail et laisse aussi entendre plus ou moins explicitement sa débrouille pour survivre. Devenu secrétaire du syndicat des ouvriers du port en 1894, il écrit avec franchise et réalisme que le nombre de syndiqués n’était que de 32 à 35 ce qui n’empêchait pas cette minorité active d’être très efficace obtenant, par exemple, rapidement la journée de huit heures de travail. Après la création de la Bourse du travail, il en devient le secrétaire et en fait le centre névralgique de la contestation sociale, racontant la violence de la répression, les charges, alors à cheval, et les heures passées au poste.
Animateur hors pair, Charles Marck sait jouer des équilibres pour obtenir des avantages dans les négociations. Il possède un incontestable talent de conteur, lorsqu’il narre, par exemple, sa cuite lors de la venue de Félix Faure, et de mémorialiste, lorsqu’il évoque ses relations avec Louise Michel.
Responsable de la CGT
Après de multiples pérégrinations, il est arrêté à Nantes en 1907 où il est emprisonné pour un an. Il relate non sans humour ses conditions de détention, devenu à la fois cuistot en chef et couturier, alors que le secrétaire de la CGT, Yvetot, arrêté avec lui, passe son temps à lire et écrire.
À sa libération, il devient trésorier de la CGT. Comme responsable confédéral, il se rend aux quatre coins du pays pour suivre et aider les grévistes, détaillant son action lors de chacune de ces grèves. Sa vie se confond alors avec l’histoire de la centrale. Fatigué par et de l’action militante, un temps favorable à l’Union sacrée durant la guerre, il devient vite critique et abandonne ses fonctions pour devenir contremaître au Havre. S’il reste syndiqué, on peut penser que le cœur n’y est plus. Après avoir rallié la CGTU, il la quitte en 1924, sans que l’on en connaisse les raisons : grèves du Havre, ou bien mise à l’écart des libertaires suite aux événements de la Grange aux Belles du 11 février 1924, ou simplement l’envie de tourner la page ?
À la fin de sa vie, il fait partie de l’amicale des vieux militants CGT, se rapproche de la mouvance communiste, même si la première version du texte de ses mémoires a été publiée dans Le Peuple alors dirigé par les minoritaires de la future centrale CGT FO.
Sylvain Boulouque