A mi-chemin entre l’essai critique et l’analyse des parcours d’engageÂment en politique, Chloé Morin livre dans son nouvel opus une vision à rebours de la défiance actuelle envers le politique et la politique. (a/s de Chloé Morin, On a les Politiques qu’on mérite, Fayard, 2022, 317p, 19€)
L’ouvrage, divisé en trois parties (Ce monde politique que nous adorons détester ; Vis ma vis d’élu ; et Comment en sommes-nous arrivés là ?) a le grand mérite de prendre le contrepied d’un discours ambiant tendant à désigner « les politiques » comme étant les coupables de tous les maux de notre société.
La politique, un vrai travail
Impuissants, inefficaces, traîtres, déconnectés, méprisants, corrompus… La première partie démonte un à un les préjugés communs qui font de plus en plus souvent les titres de presse ou agitent la polémique sur les plateaux Télé. Les élus sont avant tout des citoyens comme les autres, avec un engagement dévorant qui les pousse à renoncer à ce qu’on pourrait qualifier de vie « normale » et les oblige à un devoir d’exemÂplarité. Cela n’en fait pas pour autant des surhommes, et certains peuvent se laisser aller à des faiblesses qui leur sont rapidement reprochées lorsqu’elles ne font pas l’objet d’un débat d’ampleur nationale. Un des exemples évoqués dans ce livre : l’aller-retour de Manuel Valls le soir du congrès de Poitiers pour se rendre à un match du FC Barcelone à Berlin.
Cette analyse a une vertu. Celle de l’indisÂpensable déconstruction de la défiance parfois infondée envers les hommes et femmes politiques. Entre jugements à l’emporte-pièce, clichés de l’élu s’enrichissant sur le dos du contribuable ou simple désintérêt pour la chose publique, on sait gré à Chloé Morin de rétablir l’équilibre de la balance et de nous montrer, par l’expérience qu’elle a eue en tant que conseillère de Manuel Valls à Matignon, l’envers du décor.
La construction de l’ouvrage peut néanmoins conduire à un sentiment de dépolitisation avec la juxtaposition des parcours des élus qu’elle interroge tour à tour, presque mis sur le même plan : Xavier Bertrand, Isabelle Balkany, Myriam El Khomri ou encore Emmanuel Macron lui-même. Les élus passent dans ce petit confessionnal et il semble parfois difficile de tirer une analyse politique générale de cette accumulation de ressentis, ce que tente de faire l’autrice.
La défiance et ses raisons… 
Fallait-il cependant détacher l’orientation politique des interlocuteurs de leur vécu politique ? Manuel Valls ou Myriam El Khomri ont avant tout déçu les militants socialistes et les électeurs de gauche parce que la politique économique et sociale qu’ils défendaient n’était pas celle initialement prévue par le projet des socialistes porté aux urnes le 6 mai 2012. Faire abstraction de cette donnée pour mettre leur sortie de route politique sur le compte d’une défiance injustifiée des citoyens due à leur mauvaise image est une explication un peu trop rapide.
Cette analyse – constituée d’une succession de témoignages – peut parfois conduire le lecteur à se sentir déboussolé. Tous les entretiens ne peuvent pourtant pas être mis sur une pied d’égalité, tant les expériences sont variées et parfois peu communes, entre l’élue locale témoignant anonymement et Isabelle Balkany à visage découvert et dont on peut douter de la sincérité des propos eu égard à son propre agenda politique. L’autrice narre parfois sa propre expérience entre deux entretiens. On peine donc parfois à saisir l’angle analytique adopté (récit « de l’extérieur »? récit d’insider ?) et donc à éprouver la juste distance, souhaitable, face à de tels entretiens.
L’un des principaux messages de ce livre qui entend être un essai « sur la démocratie » est de renvoyer l’ascenseur aux citoyens déçus, colériques ou indifférents et de leur dire : arrêtez d’attendre l’homme providentiel, reprenez la vie publique en main et faites de la politique. Un message – pas si subliminal – que l’autrice souhaite sans aucun doute transmettre au lecteur ? Reste à choisir son camp.
Sarah Kerrich-Bernard