AccueilActualitĂ©Le mal-ĂȘtre des doctorants, un mal français, par JAHLYS DENIS

Le mal-ĂȘtre des doctorants, un mal français, par JAHLYS DENIS

Un chiffre suffit pour comprendre l’ampleur du phĂ©nomĂšne mis en lumiĂšre par AdĂšle B. Combes, docteure en neurobiologie dans le privĂ© : 89%. C’est la part de jeunes chercheur.e.s dont la santĂ© mentale s’est dĂ©gradĂ©e durant leur doctorat. Avec son projet de recherche « Vie de thĂšse » menĂ© aupĂšs de 2000 thĂ©sard.e.s entre 2013 et 2019, la chercheuse rompt le silence sur un mal profond. (a/s de AdĂšle B. Combes, Comment l’universitĂ© broie les jeunes chercheurs. PrĂ©caritĂ©, harcĂšlement, loi du silence, Autrement, 2022, 336p, 19,90€)

L’omerta que subit le mal-ĂȘtre Ă©tudiant a pourtant dĂ©jĂ  Ă©tĂ© renversĂ©e mais, le plus souvent, cela se paye au prix d’un drame. L’immolation d’Anas en 2020 devant le Crous de Lyon en est un bon exemple. Dans un autre registre, la crise du Covid n’a fait que mettre en exergue une fracture numĂ©rique, gĂ©ographique et sociale dĂ©noncĂ©e depuis longtemps par de nombreuses associations sans que le gouvernement ne soit Ă  mĂȘme de proposer une solution efficace. Ainsi, comme une litanie, le parcours des chercheurs interrogĂ©s fut marquĂ© par un burn-out ou une dĂ©pression. Mais la singularitĂ© de chaque cas n’efface en rien le caractĂšre systĂ©mique des violences subies. Cela Ă©tant renforcĂ© par un presque monopole du domaine des sciences dans leur dĂ©nonciation et ce, peu important la situation des facultĂ©s visĂ©es. 

Domination
Tout commence par une relation de domination maĂźtre-Ă©lĂšve qui se rĂ©percute dans chaque instance et Ă©tape de la thĂšse. Cette hiĂ©rarchie offre en quelque sorte une toute puissance qui laisse un espace suffisant pour du harcĂšlement. L’enjeu Ă©tant une insertion professionnelle Ă  la suite de la soutenance, le chantage donne lieu Ă  des faits d’agressions sexuelles, un temps de travail indĂ©cent proche de l’exploitation voire le vol de son propre travail.

Le doctorant Ă©tant considĂ©rĂ© comme de la main-d’Ɠuvre Ă  moindre coĂ»t, le milieu de la recherche offre un panorama rĂ©vĂ©lateur des violences subies au sein de notre sociĂ©tĂ©. La transcription de trois tĂ©moignages poignants le montre bien : les premiĂšres victimes sont les femmes, les personnes issues de milieux populaires et celles souffrant d’un handicap. Un constat s’impose : le sort des Ă©tudiant.e.s est dĂ©jĂ  scellĂ© dĂšs l’entrĂ©e Ă  la fac. Cette derniĂšre Ă©choue Ă  instituer un cadre d’étude sain en mettant en exergue des dynamiques de domination. Mais comment de tels agissements ont-ils pu passer outre la vigilance de l’universitĂ© d’abord, et, dans les cas les plus graves, de la justice ? 

En rĂ©alitĂ©, des mĂ©canismes complexes s’expriment avec une auto-soumission Ă  un travail acharnĂ©. L’ancienne gĂ©nĂ©ration de chercheurs Ă©tant un fervent soutien du « si on ne souffre pas en thĂšse ce n’est pas une bonne thĂšse Â», le statut de travailleur isolĂ© et des dizaines d’heures de travail ne sont pas dĂ©clarĂ©s. Mais, en rĂ©alitĂ©, c’est surtout la pression mise par les directeurs, Ă©rigĂ©e en rite de passage, qui entraĂźne autant de souffrances. L’universalitĂ© de cette pratique lui donne une dimension presque culturelle qui fait des doctorants faisant le choix d’abandonner les victimes d’une sĂ©lection naturelle implacable. Pourtant, des comitĂ©s de suivis existent : mais lorsque la totalitĂ© des membres sont choisis par le directeur, et donc sont des proches, comment espĂ©rer entendre gain de cause quand le ou la jeune doctorant.e ne pratique pas une autocensure ? 

Le problĂšme vient Ă©galement du fait que lorsque le silence tente d’ĂȘtre rompu, la seule rĂ©ponse donnĂ©e est l’impunitĂ©, faisant passer un message d’immunitĂ© pour les bourreaux, et une absence de prise en compte de leur mal-ĂȘtre pour les victimes. Ce qui est frappant dans les tĂ©moignages partagĂ©s, c’est que tout est – plus ou moins bien – gĂ©rĂ© en interne. Et c’est lĂ  que la responsabilitĂ© de l’universitĂ© dans la destruction des Ă©tudiants prend tout son sens. Que ce soit au niveau des instances dirigeantes ou de l’administration, personne ne rĂ©agit. Les premiers par la connivence qui les unis aux fautifs, les seconds par un burn-out latent. Le bilan est sans appel : absence d’orientation vers un suivi psychologique et, dans les cas les plus graves, pas de soutien pour le dĂ©pĂŽt d’une plainte. La gestion interne empĂȘche Ă©galement que soient rendues publiques ces affaires, ce qui maintient les universitaires dans le silence. Cela Ă©vite essentiellement que la renommĂ©e de la fac soit entachĂ©e par de tels scandales et par consĂ©quent que l’attribution de financement cesse. 

Une logique Ă©conomique
On ne peut le nier, tout cela est sous-tendu par un paradigme connu et reconnu : la recherche, elle aussi, est soumise Ă  une logique Ă©conomique. Donc, devant l’excellence et le respect, la rĂ©putation prime. 

Un des stigmates de cette Ă©volution tient dans le fonctionnement par projet. La dure loi du « publie ou pĂ©rit Â» pousse davantage Ă  travailler Ă  la construction d’un rĂ©seau que sur la pĂ©dagogie Ă  employer avec des doctorants. Cette logique de rentabilitĂ© est pourtant dĂ©jĂ  dĂ©criĂ©e par les chercheurs, ceux-ci passant plus de temps Ă  courir aprĂšs de l’argent qu’à travailler. 

Rationaliser la recherche française pour Ă©viter la fuite des cerveaux et la rendre compĂ©titive est louable, mais compte tenu de l’état de fait dressĂ© par AdĂšle B. Combes, les rĂ©formes mises en place sont insuffisantes. En effet, la grĂšve des Ă©crans noirs survenue en novembre 2020 a davantage montrĂ© un consensus dans le rejet que dans l’acceptation de la loi de programmation de la recherche (LPPR). Les chercheurs voyaient dĂ©jĂ  dans la place croissante du privĂ© une atteinte Ă  leur libertĂ© avec la soumission des projets Ă  une recherche de rentabilitĂ© financiĂšre. Mais, au-delĂ , comment justifier le dĂ©mantĂšlement d’un maillage territorial harmonisĂ© ? Comment justifier la prĂ©carisation des professeurs par des contrats de courte durĂ©e quand ils se trouvent dĂ©jĂ  dans une situation particuliĂšrement instable ? 

Les universitĂ©s et les politiques publiques apparaissent incapables de saisir les enjeux actuels et les rĂ©ponses Ă  y apporter. Or, loin d’un pessimisme dĂ©faitiste, AdĂšle B. Combes propose un certain nombre de solutions pratiques, pouvant ĂȘtre mises en Ɠuvre par un volontarisme de tous les acteurs du milieu universitaire. Ainsi, elle donne l’espoir que la recherche redevienne une vocation mue par la passion et non plus un sacerdoce pouvant mener aux pires extrĂ©mitĂ©s. 

Jahlys Denis
Etudiante en M1 Droit public général à la Sorbonne

RELATED ARTICLES

Most Popular

Recent Comments