Quatre ouvrages qui montrent la richesse et la complexité des débats sur luttes collectives et individus, d’hier à aujourd’hui, des États-Unis à l’Amérique latine. A propos de :
Daniel Bernabé Le piège identitaire, L’échappée, 2022, 306 p, 20 €
Howard Zinn Combattre le racisme. Essais sur l’émancipation des Afro-Américains Lux Montréal, 278 , 22 €
Angelas David, Femmes, race et classe Zulma, 300 p, 2022, 10,95 €
Yásnaya Elena Aguilar Gil, Nous sans l’État Ici bas, 2022, 140 p, 15 €
Daniel Barbané est une figure de la gauche espagnole. Il propose une réflexion à livre ouvert sur les débats qui traversent cette famille politique en revenant sur les notions de genre, d’identité.
Pour l’auteur, l’opération de lutte pour l’identité est la conséquence du néo-libéralisme qui depuis les années 1980 empêche la globalisation des luttes sociales et politiques en plaçant prioritairement les conflits individuels au-devant de la scène les substituant à la lutte des classes. En huit chapitres, il entend démontrer que la promotion de l’individu tout puissant a remplacé le collectif et la volonté d’émancipation collective, y compris dans les luttes dites sectorielles comme les combats pour l’émancipation des femmes, l’égalité raciale ou la reconnaissance des différences sexuelles.
Un des exemples choisis dans le premier chapitre illustre à merveille cette inversion des tendances, et le brouillage. Lors d’un congrès des Torries, Theresa May, la Première ministre britannique, arborait à son poignet droit un portrait de Frida Khalo, manifestation d’une consommation identitaire totalement décalée de la réalité historique, puisque l’artiste peintre a accueilli Trotski avant devenir une indéfectible stalinienne ! Il enchaîne sur l’évolution de la modernité. Il prend l’exemple de Pruitt-Igoe, un grand quartier d’habitat social construit dans les années 1950 à Saint-Louis dans le Missouri, pensé comme une construction collective, devenu à la faveur des lois abolissant la ségrégation un nouveau ghetto urbain, avant d’être détruit. Les nouveaux bâtiments construits à la place ne pensent plus le collectif, mais le bien-être individuel. Il insiste particulièrement sur le rôle des nouveaux philosophes, utilisés par la bourgeoisie pour déconstruire les rapports de classes incarnés par la projection dans l’URSS. Mais, surtout, la déconstruction des rapports sociaux vient de la mise en avant des styles de vie et des modèles individuels marquant la fin des espoirs collectifs et favorisant l’éclosion de la diversité en remplaçant l’unité de classe, chacun se reconnaissant dans son propre modèle élaboré par les grandes entreprises de la tech américaine. Piège identitaire qui empêche de reprendre l’esprit des luttes collectives.
Le raisonnement est implacable, il contient cependant à une limite : Daniel Barbané, figure proche du Parti communiste espagnol, continue à voir dans le mythe soviétique une force de progrès ou a minima d’interposition face au libéralisme, même s’il reconnaît, souvent du bout des lèvres, les atteintes aux droits humains et le système concentrationnaire des Partis-État communistes.
Deux ouvrages viennent compléter ce débat proposant un retour de l’évolution des discours et des luttes pour la conquête des droits des Afro-Américains.
Howard Zinn, historien et figure de la gauche radicale américaine, décédé en 2010, voit ses articles sur les combats des noirs américains rassemblés dans le présent volume. Ils portent principalement sur les années 1960-1970. L’historien montre que la volonté était d’une émancipation commune, souvent associée à une progression des droits collectifs, des protestations individuelles aux marches collectives en passant par les réformes de Kennedy. Zinn insistait particulièrement sur la nécessaire dimension interraciale de combats. L’essai est particulièrement important sur un plan historique montrant justement l’inscription de l’égalité.
Angela Davis, figure centrale du communisme américain depuis les années 1970, voit ses articles repris dans une édition de poche. Classique du discours marxiste-léniniste, ils mêlent intentionnellement tous les aspects des luttes sociales, raciales, féministes qui ne pourront être résolus que par la disparition du capitalisme.
Enfin, le bref livre de Yásnaya Elena Aguilar Gil est une réflexion de l’une des figures du mouvement indigène mexicain qui reflète les préoccupations des communautés autonomes du sud du pays, fondamentalement différents des processus centralisateurs existant dans les pays occidentaux. Elle montre l’importance des langues locales et des dialectes dans la confrontation avec le pouvoir mexicain. Fortement inspirée par le communalisme et le localisme chers à Murray Boockhin, elle résume ce que l’on appelle la pensée décoloniale et intersectionnelle qui prend un sens différent que son analyse européenne dans la mesure où la conquête par le Mexique des communautés indigènes du pays s’est représente cette triple oppression, même si l’autrice, par militantisme, appliquant également aux pays occidentaux cette grille de lecture. Elle souligne parallèlement un attachement particulièrement fort à l’universalisme, né quelque part, mais appartenant à la terre. Ces premières nations aujourd’hui appellent à former au Mexique et parfois ailleurs des confédérations remplaçant le cadre existant. La partie consacrée aux formes de résistance à l’État mexicain est particulièrement intéressante, pouvant aller du rejet complet à l’inclusion dans la société pour y porter le combat des peuples autochtones, même si elle se montre particulièrement critique face à cette tendance. L’ouvrage est certes un plaidoyer, mais il comporte plusieurs points qui invitent à voir autrement ces conflits.
Sylvain Boulouque