La France sort d’une séquence électorale intense et agitée, avec des résultats contrastés. La Ve République est-elle affaiblie ? Les pratiques politiques vont-elles changer, alors que c’est en fini du président « jupitérien » ?
Le président n’est plus « le maître des horloges », ayant récolté ce qu’il avait semé, son flou idéologique, et il est bel et bien responsable de cette situation, le principal si ce n’est l’unique. La présidentielle n’avait tranché aucun problème, les questions n’avaient pas été posées : elles l’ont été par les législatives. Une première depuis des années, mais le problème est ancien.
S’il fallait trouver une date, il faudrait avancer l’année 2000, qui a vu le passage du septennat au quinquennat, adopté dans l’indifférence générale, mais aux conséquences immédiates : désormais le scrutin présidentiel est devenu dominant, alors que jusque-là les législatives pouvaient apporter une soupape démocratique.
Le rĂ©sultat des Ă©lections connu, GĂ©rard Grunberg a pu Ă©crire fort justement, dans le n°98-99 de notre revue Recherche socialiste : « le temps de la Ve prĂ©sidentialiste semble rĂ©volu », après avoir noté… « Les rĂ©sultats de ces Ă©lections lĂ©gislatives nous rappellent que le rĂ©gime de la Ve RĂ©publique est un rĂ©gime parlementaire. » On l’avait constatĂ© dans les pĂ©riodes de cohabitation, sous François Mitterrand et Jacques Chirac : la France avait Ă©tĂ© dirigĂ©e, les gouvernements avaient agi, dans un sens ou dans un autre, mais ils avaient pris leurs responsabilitĂ©s. Une diffĂ©rence doit bien sĂ»r Ăªtre signalĂ©e par rapport Ă la situation actuelle… Certes, le mode de scrutin de type majoritaire n’a pas changĂ© depuis les premières cohabitations, mais l’ensemble du système a pu fonctionner avec et grĂ¢ce Ă quelques partis centraux forts, bien organisĂ©s, structurĂ©s. En juin de cette annĂ©e, les Ă©lecteurs ont en quelque sorte proportionnalisĂ© le scrutin majoritaire, une majoritĂ© claire ne s’est pas dĂ©gagĂ©e. Sans parler d’une abstention très forte, de nombreux votes blancs et nuls signalant ce que certains appellent une « fatigue dĂ©mocratique ». Et que dire de l’éclatement des forces politiques, avec trois blocs qui peuvent tout paralyser. Le spectre d’une dissolution est une rĂ©alitĂ©.
Renouer le dialogue démocratique
Une époque est révolue. Depuis des années, l’Assemblée nationale était un lieu vide de pouvoir. Va-t-elle le redevenir ? Faute de majorité, la France est aujourd’hui considérée comme ingouvernable. À longueur d’interviews, les macronistes déclarent qu’ils composeront avec tous ceux qui veulent faire avancer le pays… c’est-à -dire nouer des alliances ponctuelles, textes par textes, bien sûr au prix de débauchages. Mais, au vu de leurs premiers actes, ils ne semblent pas adeptes des compromis généraux, pas davantage que la gauche de la Nupes d’ailleurs, qui est convaincue que derrière le mot de compromis se cache celui de compromission : une gauche qui campe sur son accord électoral et n’entend pas en sortir.
Mais il n’y a pas que l’AssemblĂ©e, la crise est plus large, et lĂ aussi Emmanuel Macron est responsable. Par sa personnalisation extrĂªme de l’action politique, il a largement abaissĂ© les corps institutionnels intermĂ©diaires (mĂªme s’il a fait marche arrière aux marges pendant la crise de la COVID) et favorisĂ© l’expression des intĂ©rĂªts catĂ©goriels, au dĂ©triment de l’intĂ©rĂªt gĂ©nĂ©ral incarnĂ© par les assemblĂ©es. Ă€ ce niveau, que dire du Conseil Ă©conomique social et environnemental, pourtant bien reprĂ©sentatif par sa composition, et du SĂ©nat !
On prĂªte au prĂ©sident le dĂ©sir de reprendre Ă l’automne son projet de rĂ©forme constitutionnelle interrompu en 2017… Jusqu’oĂ¹ irait-il… pouvoir des assemblĂ©es, mode de scrutin, en passant par le gadget du nombre de parlementaires… ? Jouera-t-il pour faire passer cette rĂ©forme Ă©ventuelle la rue contre les assemblĂ©es, en ayant recours au rĂ©fĂ©rendum ? Il est vrai qu’un de ses prĂ©dĂ©cesseurs, en 1962, a utilisĂ© le mĂªme procĂ©dĂ©.
Jusqu’oĂ¹ irait-il et surtout pour quoi faire ?
Denis Lefebvre (article paru dans L’Ours 521, septembre-octobre 2022)