L’Assemblée allait être fondamentalement différente. La majorité « macroniste » n’existerait plus et le gouvernement allait devoir composer. Le pays serait potentiellement ingouvernable. La Nupes allait exploser de ses divisions. Tels étaient les prédictions des voyants extra-lucides du Parlement. La réalité est autre.
La nouvelle composition de l’Assemblée nationale issue des élections législatives de juin 2022 est certes inédite car à la majorité relative s’ajoutent des oppositions hétéroclites dont la coalition n’est pas organisable. La NUPES ne pourra s’allier avec aucun autre acteur que ses propres membres. Il en va de même pour le RN dont l’isolement est réel même si certaines ambiguïtés de la République en Marche ont pu être dénoncées lorsque des députés de la majorité ont déposé un bulletin RN pour l’élection à la vice-présidence, alors que rien ne les y contraignait.
La majorité peut donc chercher à nouer des accords, ponctuels ou durables, ce qu’elle fait le plus souvent avec la droite (mais jamais avec la gauche) sans qu’une majorité alternative ne soit véritablement possible. Elle dispose par ailleurs des outils du parlementarisme rationalisé qui permettent au gouvernement de disposer des moyens de faire passer ses réformes comme le vote bloqué, ou alors la possibilité de demander une nouvelle délibération. C’est ce qui est d’ailleurs arrivé cet été lorsque des votes n’avaient pas convenu au gouvernement: il avait demandé le lendemain un nouveau vote, après s’être assuré du revirement de certains parlementaires et du retour de quelques dormeurs. Mais cela n’est pas nouveau. Le 49-3, les différentes procédures pour « forcer » le parlement, la limitation des temps de parole dans les débats (renforcée par la réforme du Règlement intérieur de l’Assemblée votée sous la précédente législature) y sont pour beaucoup.
Ce qui a changé
L’Assemblée, si elle a vu arriver de nouveaux visages, n’est donc pas fondamentalement différente par rapport à 2017 dans les politiques qu’elle vote (elles sont un peu plus « droitières ») ou dans sa manière de fonctionner.
Est-ce alors le climat – ou le micro-climat qui change ? On a beaucoup parlé de la prétendue « virulence » des insoumis, mais beaucoup moins des claquement de pupitre que seul le RN (et très rarement une partie de la droite) produisent (ou produit ?). Le bruit plutôt que l’échange, même animé et passionné.
Dans l’hémicycle, les noms d’oiseau ne sont pas nouveaux — un ouvrage y a d’ailleurs été consacré –, ils volent peut-être un peu plus vite. Mais ce que l’on constate surtout, c’est que l’opposition entre les élus des différents groupes de la NUPES (qui apprennent à travailler ensemble au sein de l’intergroupe) et la majorité est d’abord une opposition d’ordre philosophique tant les projets de loi présentés sont radicalement aux antipodes des valeurs portées par la gauche. Aux salaires la majorité préfère les primes défiscalisées et dé-socialisées, à la protection des chômeurs leur préconisation. Mais le grand public s’arrête souvent sur une première impression.
La véritable nouveauté, c’est peut-être alors l’attention nouvelle, ou à tout le moins celle des citoyens concernés et des journalistes qui regardent de nouveau l’hémicycle comme un lieu où il se passe quelque chose. Les SMS commentant une prise de parole sont nombreux. Peut-être était-ce parce que la torpeur de l’été prêtait à se brancher sur LCP ? Peut-être cela sera-t-il au contraire plus durable car certains ont pris goût à cet espace animé qu’est désormais le Parlement, où tout pourrait arriver (la loi de règlement a par exemple été rejetée pour la première fois depuis les années 1830 mais cela n’a pas d’incidence sur la suite du débat budgétaire) ?
Pour l’instant, l’essentiel se concentre d’abord dans la manifestation des oppositions des uns – et en premier lieu de la NUPES tant l’ambiguïté des autres peut rendre leur attitude peu lisible – aux lois des autres. L’équilibre des choses n’est pas renversé.
Les strapontins, même s’ils ont été rembourrés pendant la période des élections, restent du même rouge, vif. Pour autant, et comme il est d’usage de le dire, « la séance est ouverte » et les yeux des citoyens pourront voir si, par la suite, les voyants extra-lucides le sont effectivement.
Arthur Delaporte, député du Calvados