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De l’hospice à la maison de retraite, destins de vieux, par BRUNO POUCET

Les vieux des classes populaires, tel est l’univers en pleine transformation que nous fait découvrir ce livre. (a/s de Mathilde Rossigneux-Méheust, Vieillesses irrégulières, La Découverte, 2022, 288 p, 20€)

L’autrice, maîtresse de conférences à Lyon 2, a déjà publié un livre sur la vie en hospice au XIXe siècle. Dans son nouvel ouvrage, elle soulève un peu le voile de ce qu’était la vie dans un hospice devenu maison de retraite à Villers-Cotterêts, en Picardie entre 1956 et 1980. Ce livre est aussi un lieu de mémoire, d’une certaine manière : en effet, la maison de retraite était installée dans le château de François Ier : or, ce bâtiment historique est devenue la Cité internationale de la langue française, ouverte en 2022. La raison ? C’est là qu’a été signée en 1539 l’ordonnance royale qui impose l’usage du français dans les textes officiels, au lieu du latin. Mais est oublié dans le projet de Cité de rappeler que cette résidence royale a eu ultérieurement d’autres fonctions : dépôt de mendicité, puis hospice, enfin maison de retraite entre 1889 et 2014, date de sa fermeture, elle était gérée par diverses institutions publiques. C’est de cet aspect que traite l’ouvrage très agréable à lire et qui est loin du jargon qu’affectionnent certains universitaires. Comment décrypter l’action de l’État social vis-à-vis des plus vulnérables ?

Une découverte inattendue
Le travail de l’historien n’est pas d’accumuler des archives pour en rendre compte en les résumant, il est d’inventer les archives en les questionnant, en essayant de leur donner un sens et de les mettre en relation avec d’autres sources pour en faire un récit solidement argumenté. C’est précisément l’objet de ce livre. En effet, à l’occasion du déménagement des 50 mètres linéaires d’archives de la maison de retraite, une découverte fort intéressante a été faite. Dans cette masse d’archives administratives (bulletin de paie, bons de commande, dossiers de personnels et de résidents, correspondance, etc.) apparait un document étonnant : 307 fiches cartonnées de résidents ayant quitté l’établissement, la plupart du temps de façon non volontaire. Ces fiches contiennent des indications succinctes sur les motifs du départ, sur les rapports faits sur elles et souvent un commentaire laconique (« à ne pas reprendre »). Les dossiers des résidents, des enquêtes dans les autres maisons où ils ont séjourné permettent de compléter l’information. Comment interpréter cette masse documentaire ? Quel est le sens de cette pratique de fichage d’un certain nombre de résidents stigmatisés et disons-le discriminés ? Comment redonner vie à ces gens de peu ?

Des récits de vies cabossées
Les résidents de Villers-Cotterêts sont des hommes et des femmes, pour l’essentiel de milieux populaires, ayant de faibles revenus, ayant traversé une, voire deux guerres – une ancienne déportée en fait partie. Beaucoup sont âgés, mais quelques-uns sont entrés relativement jeune dans ce qui était un hospice : autour de la cinquantaine. Beaucoup d’entre eux ont des problèmes d’alcool et aussi parfois de comportements qui peuvent témoigner d’une certaine violence vis-à-vis des autres pensionnaires ou même parfois du personnel. Certains également souffrent de troubles psychiques et ont fait un séjour plus ou moins long dans un hôpital psychiatrique. On découvre ainsi que nombre d’entre eux n’ont jamais été antérieurement pris en charge par des psychologues ou tout simplement écoutés. Leur enfance a souvent été difficile, peu stable. Or l’accueil se fait dans des conditions qui renvoient davantage à ce qu’était un hospice : dortoirs communs – chaque lit étant séparé par des box, salle à manger commune, locaux certes historiques mais en mauvais état, vétustes et de moins en moins adaptés à la fonction qui était devenue la leur.

La fabrique des indésirables
Ces récits de vie montrent ainsi comment on peut fabriquer des indésirables. Le fichier sert justement à cela : faire le tri entre celles et ceux qui acceptent les règles d’une vie monotone et sans grande signification et ceux qui d’une certaine manière s’y opposent de façon souvent peu orthodoxe et peu constructive pour eux-mêmes : quand on les change d’établissement, c’est pour les mettre ou remettre dans un hôpital psychiatrique ou dans un hospice plus sévère encore, tel celui de Nanterre. Or, le directeur qui met en place le fichier se montre ainsi plein de zèle pour faire le tri entre les bons et les mauvais résidents. Cela lui permettra, d’ailleurs, d’obtenir ultérieurement de flatteuses promotions. On peut en effet souligner que les résidents sont un peu livrés à eux-mêmes sans réelle occupation. Certains se laissent aller y compris en matière d’hygiène, d’autres deviennent des individus peu gérables : ils sont de grands alcooliques et souvent violents, tiennent des propos obscènes, fuguent. Ces indésirables, il faut donc les éliminer pour sauver la réputation de l’établissement. Or, elle n’est pas bonne : de 1 000 pensionnaires en 1945, on est passé à 169 en 1983. 

La fin d’un monde
On voit ainsi, au fil de ces vies, la fin d’un monde – celui des hospices – et la création encore balbutiante d’une maison de retraite au confort très sommaire et à la discipline qui se cherche. On voit ainsi comment on passe d’une approche purement répressive à une médicalisation de la vieillesse : c’est particulièrement le cas pour le traitement de l’alcoolisme. L’intérêt de ce livre est ainsi de nous aider à approcher une réalité désormais disparue en le faisant, c’est sa grande originalité, à partir du récit de la vie d’individus qui n’ont habituellement pas la parole et essaient de la prendre, à leur manière. 

Bruno Poucet
Article paru dans L’OURS 525, février 2023

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