AccueilActualitéChristian Chevandier et ses curiosités, par BRUNO POUCET

Christian Chevandier et ses curiosités, par BRUNO POUCET

On le sait, quand un universitaire reconnu décide de cesser ses fonctions, il est de coutume que ses pairs lui offrent un volume d’hommage qui retrace les éléments de sa carrière, qui donne la plupart du temps une bibliographie du chercheur concerné et offre une série d’articles en lien avec ses recherches : cela s’appelle des mélanges. Les textes proposés sont toujours variés : l’unité se trouve autour du chercheur concerné non d’un projet scientifique organisé. Néanmoins, tous les critères scientifiques habituels sont ici réunis ainsi qu’une bibliographie substantielle, présentée par Jean-Louis Robert, et un utile index. Il faut considérer un tel volume non comme un point final d’une recherche, mais comme une manière de bilan, avant la plupart du temps la poursuite d’une activité intellectuelle délestée des charges administratives et d’enseignement souvent chronophages. C’est aussi un volume qui tombe juste l’année de ses 70 ans : un beau cadeau d’anniversaire !

Un itinéraire atypique
Christian Chevandier méritait bien qu’on lui offre de tels mélanges pour un parcours atypique, notamment en histoire, discipline fort attachée aux traditions que représentent le passage par l’École normale supérieure (Ulm, si possible) et l’agrégation. Or, Christian Chevandier a commencé par être ouvrier, postier, aide-soignant, puis infirmier ce qui l’a amené à faire des études de psychologie… Et, dans ses temps libres, il s’est mis aux études universitaires d’histoire. Après sa maîtrise en 1986, il a obtenu le CAPES d’histoire-géographie, a enseigné en collège et a été élu maître de conférences à Paris I, au Centre d’histoire sociale alors dirigé par Antoine Prost. Ce dernier rappelle, d’ailleurs, dans sa préface, qu’il a osé transgresser les règles universitaires du recrutement puisqu’il a auditionné pendant une heure chacun des six candidats retenus : heureusement, cela n’a pas eu de conséquences sur ce recrutement atypique grâce aux soutiens des maîtres de conférences qui avaient eux aussi compris qu’ils tenaient là un chercheur prometteur. Christian Chevandier sera ensuite élu professeur d’histoire contemporaine à l’université du Havre où il est désormais émérite.

Il avait en effet soutenu sa thèse en 1990 avec Yves Lequin, Cheminots en usine. Les ouvriers des ateliers d’Oullins au temps de la vapeur, publiée en 1993 aux Presses universitaires de Lyon. Mais, pour autant, s’il est un spécialiste reconnu des cheminots, il n’a pas enfermé sa recherche dans cet univers : l’hôpital, les infirmières, les policiers et, plus étonnant, les pompes funèbres, ont été l’objet de ses investigations. On le voit, il s’intéresse de façon multidimensionnelle à l’histoire des professions, en les replaçant dans la longue durée, en essayant de comprendre et d’expliquer comment hommes et femmes placées dans telle ou telle situation réagissent : cela explique pourquoi il s’est aussi penché sur les attentats du 13 novembre 2015 – une curiosité soulignée en introduction par Philippe Corcuff. Cela permet de comprendre également pourquoi il s’est intéressé aux grèves des cheminots. Bref, ce n’est pas un historien monomaniaque, tué définitivement par le contenu de sa thèse de doctorat, mais quelqu’un qui a su ouvrir des champs de recherche nouveaux en fonction de sa curiosité de chercheur et des réalités de la société, un peu comme Antoine Prost ; qui ne s’est pas enfermé dans les Anciens combattants de 1914-1918. Cela explique aussi qu’il ait pu faire une incursion dans le monde du cinéma comme figurant dans le film de Dominique Cabrera, Nadia et les hippopotames (1999), qu’il ait rédigé la biographie d’un postier militant, Georges Valero, symbole d’une génération où C. Chevandier souligne que dimension personnelle et logiques sociales s’interpénètrent. L’ensemble de ses recherches, quels que soient les objets concernés, articule, en effet, individu et collectif, sans s’enfermer dans l’un ou l’autre.

Une œuvre et des lieux
Pas moins de 14 ouvrages en propre sont à son actif, entre 1993 et 2022, chez des éditeurs variés : universitaires (Lyon, Sorbonne, Le Havre) ou non (Belin, Gallimard, Laffont, La Découverte, Hatier, Vendémiaire). Il a également dirigé six ouvrages collectifs, ainsi que sept numéros de revue, notamment dans la Revue d’histoire des chemins de fer, et 140 articles ou chapitres d’ouvrages entre 1987 et 2020 dont certains dans L’ours, en 2019 sur les Gilets jaunes par exemple (L’ours, hors-série Recherche socialiste, n° 86-87).

Le présent ouvrage est ainsi scandé en trois parties1, la première, très courte, est consacrée à une histoire des lieux. Lyon où a vécu, travaillé et étudié Christian Chevandier s’est politiquement construite par un anti-parisianisme foncier jusqu’à l’avènement du maire Victor Augagneur, puis d’Édouard Herriot. Un pas de côté est proposé par un chapitre sur Raymond Queneau qui propose une topographie spécifique de la ville de Paris. Quant aux friches de Görlitz, ville frontière avec la Pologne en ex-RDA, elles représentent un terrain d’exploration, mais aussi des lieux qui permettent de se réapproprier une histoire disparue, l’archéologie urbaine rejoignant ainsi l’histoire.

Histoire des travailleurs
La partie la plus substantielle est consacrée à des hommes et des femmes qui ont exercé des professions qu’a étudiées pour l’essentiel Christian Chevandier : les cheminots, les infirmières, les policiers et les croque-morts. Les auteurs dans le cas des mélanges doivent s’essayer à l’exercice sans répéter celui à qui l’on rend hommage : certains ont labouré le même terrain, d’autres ont exploré d’autres directions : le haut-fourneau dans le Haut-Dauphiné, les dockers du Havre, un marin-pêcheur, bref un inconnu, comme l’avait fait en son temps Alain Corbin, et Christian Chevandier plus tard.

La troisième et dernière partie est consacrée aux engagement, pour le moins divers et variés : syndicalistes, anarchistes collaborateurs, infirmières, avec l’exemple d’un militant CFDT internationaliste, Gérard Espéret.

Comment conclure un tel ouvrage ? Par l’humour, l’une des nombreuses qualités de Christian Chevandier, lui qui a su donner de la chair aux travaux qu’il a menés.

Bruno Poucet
Article paru dans L’ours 538, novembre-décembre 2024

1. Par ordre d’entrée en scène, les articles des trois parties sont signés de ses collègues et ami·es Bruno Benoît, Olaf Mueller, Nicolas Offenstadt, Pierre Judet, Guy Brunet, John Barzman, Michel Poisson, Colin Marais, Jean-Noël Castorio, Bruno Bertherat, Georges Ribeill, Nicolas Vabre, Gilles Morin, Gilles Vergnon, Claude Roccati, Rémy Cazals.

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