Pour les chrétiens, le baptême est le premier des sacrements. Pour les historiens, il exprime parfaitement l’évolution des rapports entre l’Église et la société. Vincent Gourdon, directeur de recherche au CNRS, en a fait son objet d’étude, avec l’appui d’un réseau international qui regroupe une centaine de chercheurs.(a/s de Vincent Gourdon, Histoire du baptême. Du Moyen Âge à nos jours, Passés/Composés, 2024, 400p, 23€)
Le sujet comporte plusieurs dimensions : thé́ologique, bien sûr, mais aussi sociologique, démographique, anthropologique (avec la question du parrainage), d’où un foisonnement d’archives et de documents. L’auteur utilise nombre de statistiques, mais il prend des exemples précis ̀à des époques différentes, en ville comme en zone rurale. La partie proprement historique se découpe en quatre époques : l’époque médiévale, l’Ancien Régime, la Révolution, l’époque moderne.
Enfants de Dieu
Si le baptême est à l’origine plutôt une affaire d’adultes, il devient au Moyen Âge une obligation pour les enfants. Pour éviter les conséquences infernales du péché originel, il faut les faire « enfants de Dieu » dès leur naissance. C’est d’autant plus nécessaire que beaucoup ne survivent pas longtemps. C’est aussi assurer un contrôle clérical sur les diverses classes de la société. S’y ajoute un certain revenu pour les officiants. En outre, le baptême permet d’associer à la famille des protecteurs plus ou moins fortunés comme parrains ou marraines. Jeanne d’Arc avait douze parrains si l’on en croit les minutes de son procès ! Au milieu du XVIe siècle, en réaction contre les abus festifs, Calvin va engager une profonde réforme du baptême, en en faisant une manifestation de foi de la famille, plutôt que d’une entrée en Église. L’Église catholique engage à son tour une réforme avec le concile de Trente : renforcement du rôle du curé de la paroisse, gratuité de la cérémonie, limitation des festivités. Le parrain continue de soutenir la famille au nom de l’intérêt de l’enfant. Dans tous les cas, le baptême doit se faire sans retard.
Avec le XVIIe siècle, sous l’Ancien Régime, l’important est l’enregistrement du baptême dans la paroisse. Il signifie l’entrée en Église, mais aussi dans la société civile. Des règles précises sont édictées : baptême dans les trois jours après la naissance (8 au maximum), priorité à la paroisse de la famille, limitation de la fête locale, octroi du prénom par le parrain ou la marraine, garants de l’avenir chrétien de l’enfant. Les protestants s’adaptent selon les circonstances.
Le chrétien-citoyen
La Révolution (1789-1801) bouleverse ce bel ordonnancement en instaurant un registre civil tenu par la municipalité, distinctement du registre du baptême. Il s’agira désormais de former un chrétien-citoyen. Seule l’inscription au registre communal est légalement obligatoire. L’instauration de la constitution civile du Clergé, en juillet 1790, ajoute un autre changement : les prêtres assermentés sont seuls légitimes pour baptiser les enfants au service de la Nation. Des témoins inscrits au registre du baptême doivent veiller au respect des règles de la République. Il peut y avoir un baptême civique, selon des règles proches du baptême religieux. Avec l’an II (1793-94), l’opposition entre les deux clergés se durcit, les réfractaires sont arrêtés. Les baptêmes religieux traditionnels se font dans la clandestinité. Une guerre des prénoms est engagée : plutôt qu’à des saints ou des saintes, certains préfèrent se référer à de grands révolutionnaires (Marat, Le Peletier…) ou à des noms de la vie courante (Fer, Absinthe, Asperge ou Haricot…). Le Directoire apaise les tensions. Les églises sont rouvertes. Les baptêmes conférés par les prêtres réfractaires sont reconnus. Il y faudra plusieurs années jusqu’à la signature du concordat entre Rome et l’Empire. Dans cette période, on imagine de nouveaux rites d’intégration dans la communauté, religieuse pour les uns, laïque et nationale pour d’autres. De toute façon, l’inscription sur le registre communal est obligatoire dès la naissance, facultative pour le baptême. Celui-ci reste cependant très fréquent : on ne compte pas plus de 10 % d’enfants non baptisés au début du XIXe siècle.
Une nouvelle temporalité
Avec les temps modernes, le rôle du clergé se modifie. « L’idée progresse d’un clergé devant s’adapter aux logiques des familles, voire se mettant à leur service. » De ce fait, on assiste à « une nouvelle temporalité ». Si l’Église garde le principe du baptême dans un délai de trois jours après la naissance, les familles, elles, préfèrent attendre nettement plus longtemps (au moins quinze jours en moyenne, parfois plusieurs mois). Il faut choisir le meilleur moment (une saison chaude de préféence), préparer la cérémonie et le repas qui suivra, lancer les invitations, organiser le parrainage amical ou familial. On ne pense plus guère au péché́ originel ! À la ville ou à la campagne, le baptême est devenu une affaire familiale. Le facteur religieux se concentre sur le baptême des adultes ou des adolescents.
Après ce survol historique, l’auteur a consacré́ deux chapitres à des aspects particuliers de cette évolution. D’abord sur la médicalisation de la cérémonie : la baisse progressive de la mortalité infantile ouvre un débat sur le chaud et le froid. Pour les uns, il faut endurcir les enfants et ne pas craindre le froid de l’hiver ou de l’eau du baptême (c’est ce que pense Jean-Jacques Rousseau). Pour d’autres, les plus nombreux, il faut protéger les enfants avec la chaleur de la saison et du vêtement, et dans la tiédeur de l’eau baptismale… Autre aspect : la familiarisation. Les différences sociales se font sentir et des débats sont ouverts, par exemple, sur l’ondoiement à la naissance pour reporter le baptême. Le choix des parrains et marraines prend un sens différent dans les milieux bourgeois ou populaires. Un chapitre spécial est d’ailleurs consacré au parrainage : doit-il être familial (le grand-père par exemple) ou social (avec un statut supérieur à celui de la famille) ? La question se pose d’autant plus que le parrain doit un cadeau au filleul (garçon ou fille) jusqu’à sa majorité ! On ne regarde plus guère la foi du parrain !
Cette évolution va de pair avec la déchristianisation qui touche tous les milieux, surtout le milieu ouvrier. L’Église réagit par diverses réformes qui touchent notamment au baptême. Elles se contredisent parfois entre elles dans la pratique : ainsi pour le lieu (faut-il privilégier la paroisse familiale ?) ou pour la foi chrétienne (faut-il l’exiger pour le parrainage ? et pour l’enfant lui-même à l’avenir ?). Le concile Vatican II élargit les possibilités de retard et privilégie le jour de Pâques, y compris pour les adolescents et les adultes. Une distinction se fait entre traditionalistes qui reprennent à la lettre les rites du passé et ceux qui s’adaptent à l’air du temps et aux nouvelles règles. Le baptême civil, républicain, a toujours ses adeptes, mais il reste marginal. Le baptême religieux perd de son importance dans la population. En 1971, il y avait 76 % de baptisés, en 2019, ils n’étaient plus que 28 %.
Une cérémonie familiale
En devenant avant tout une cérémonie familiale, le baptême a changé de signification. Sa valeur spirituelle a diminué, sauf s’il s’agit d’adultes ou d’adolescents pour lesquels se fait une plus ou moins longue préparation dans la paroisse. Il y a cependant dans la société ce que l’auteur appelle « un legs culturel chrétien » avec le succès du parrainage dans le monde associatif.
Une histoire au long cours n’empêche pas des détours.
Robert Chapuis
L’ours 539 janvier-février 2025