Dans son dernier livre, Gilles Finchelstein, face à la crise des identités nationales qui menace nos sociétés, trace les voies réformistes susceptibles de recréer de la cohésion sociale.
À propos du livre de : Gilles Finchelstein, Piège d’identité, Réflexions (inquiètes) sur la gauche, la droite et la démocratie, Fayard, 2016, 216p, 17€
La perte des repères politiques, dans l’opinion, est aujourd’hui une donnée guère contestée. Le conflit entre la droite et la gauche, qui a structuré la vie politique depuis les débuts du XIXe siècle, paraît affaibli – chaque « camp » étant travaillé par des forces de dissociation. Il paraît tenir principalement par la contrainte que font peser les institutions – essentiellement – le scrutin majoritaire pour les élections présidentielle et législatives. Cependant, les électeurs continuent de se situer sur cet axe droite-gauche – il n’a pas perdu son caractère clivant –, mais celui-ci n’entraîne plus la conviction. Cela explique un phénomène apparemment contradictoire : la force dans l’opinion de la défiance vis-à -vis du système politique, dont profite, au premier chef, le Front national, mais pas seulement, Jean-Luc Mélenchon adoptant de plus en plus un discours qui ressemble à celui du mouvement Cinq Etoiles en Italie ; mais aussi le souhait, majoritaire, d’une union nationale.
Brouillards
C’est cette situation, qui s’est traduite dans toutes les élections récentes, que s’attache à expliquer Gilles Finchelstein dans son dernier livre, Piège d’identité, qui a pour sous-titre « Réflexions (inquiètes) sur la gauche, la droite et la démocratie ». Inquiètes, en effet, tant les issues possibles paraissent difficiles. Dans une première partie du livre, l’auteur rend compte des évolutions qui ont conduit à notre actualité. Il y a, bien sûr, des causes proprement politiques qui ont amené la relativisation du clivage droite-gauche qui a connu son « âge d’or » au début des années 1980. Les alternances entre la gauche et la droite de gouvernement ont déçu faute d’apporter un remède durable à la principale hantise de la population, le chômage de masse. Les trois cohabitations ont contribué – malgré des conflits internes – à brouiller les images. Évidemment, il y a aussi des causes plus structurelles. L’effacement du communisme en Europe a ruiné l’idée d’une alternative politique. L’individualisation créé une société fragmentée. Non que les ouvriers et les employés ne représentent pas une majorité de la population, mais ils n’ont plus l’unité sociale qui les caractérisait dans les décennies précédentes. La mondialisation, avec le choix européen qui a été fait à gauche et à droite pour y faire face, a limité la latitude d’action de l’État, qui a joué et joue encore un rôle si essentiel en France. Depuis le référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, les consultations sur l’Europe, particulièrement en 2005, ont montré des majorités et des minorités qui ne recoupent pas le clivage entre la droite et la gauche. Gilles Finchelstein a donc raison de parler pour 2015 (c’est valable pour 2016…) de « brouillards » politique, électoral, idéologique. Les populismes prospèrent sur ce terrain où le désenchantement politique rencontre le désarroi social. Ceux-ci touchent les classes populaires mais atteignent désormais aussi les classes moyennes.
Redéfinir, à gauche, l’égalité et l’identité
La seconde partie du livre est consacrée aux réponses possibles et ouvre la discussion – étant donné que sur le diagnostic l’accord ne peut être que large. Gilles Finchelstein ne croit pas que l’on puisse s’en tenir à caresser l’idée de « l’union nationale » ou « l’union des réformistes ». Il faudrait évidemment changer le mode de scrutin, adopter une proportionnelle intégrale, avec ses risques d’ingouvernabilité. Surtout, une montée encore plus forte des extrêmes en serait la conséquence. Pour avancer, il propose de creuser les deux fondements des clivages politiques qui se confrontent, l’égalité, pour le clivage gauche-droite, l’identité, pour celui peuple-élites. Il montre qu’il ne faut pas s’en tenir à un face à face, blanc-noir, mais, pour que l’égalité soit désirable, et les politiques de solidarité acceptées, elle doit s’appuyer sur une identité partagée en commun, et que l’égalité bien comprise crée de l’identité nationale. L’important pour la gauche réformiste – celle qui ne renonce pas à gouverner – est d’établir une bonne hiérarchie en partant de ce qui la fonde, le principe de l’égalité – comme l’avait déjà montré le philosophe italien Noberto Bobbio dans son essai célèbre sur La gauche et la droite. Car il est plus difficile de trouver les comÂpromis que demande la démoÂcratie pour vivre concrètement sur ce que l’on est plutôt que sur ce que l’on a ! Travaillons, donc, à trouver les consensus républicains nécessaires sur la laïcité et l’immigration – et l’auteur montre que cela n’est pas hors de portée. Et, surtout, faisons en sorte de repenser (et de mettre en Å“uvre), à gauche, des politiques d’égalité, au-delà de la seule redistribution. Il faut sortir pour cela du seul couple « impôts-dépenses », et prendre en compte ce que doit et peut être un « État social préventif » comme l’ont déjà théorisé les sociaux-démocrates nordiques et allemands.
Cela ne va pas sans difficultés non plus, mais c’est la voie qu’il faut emprunter résolument au XXIe siècle pour la gauche européenne. C’est sûre de son chemin réformiste – capable de recréer de la cohésion sociale – qu’elle pourra assumer alors pleinement le débat sur les identités nationales dans un monde internationalisé et une Europe communautarisée. Bref, voilà un livre suggestif et roboratif dans une période où les interrogations légitimes ne doivent pas empêcher de penser et d’agir.
Alain Bergounioux