Le sous-titre du livre Pierre Birnbaum, « un portrait » donne le sens du livre. Il ne s’agit pas d’une biographie complète – il en existe de solides, la dernière en date étant celle de Serge Berstein – mais, d’un essai de compréhension en profondeur de la personnalité de Léon Blum et de ce qui a commandé son action. Les événements politiques sont évoqués juste pour ce qui nécessite la compréhension et ne nourrissent pas d’analyses trop développées que l’on peut retrouver ailleurs.
Pierre Birnbaum, Léon Blum. Un portrait, Seuil, 2016, 262 p, 20€)
Article  à paraître dans L’OURS 457, avril 2016, page 4.
Disons le immédiatement, Pierre Birnbaum voit la clef essentielle pour comprendre Léon Blum dans la faculté qui a été la sienne d’être, en même temps, un républicain français, dévoué au service de l’État, un Français juif, qui n’a jamais renoncé à le revendiquer même dans les pires circonstances, un socialiste français. Le mot « français » est en facteur commun, car il ne séparait pas ses différentes qualités d’une fidélité sans faille à l’histoire de la France. C’est ce qui a paru contradictoire, parfois, à ses contemporains et rend complexe l’appréÂhension d’une personnalité qui a dérouté nombre d’analystes, mettant en relief tel ou tel aspect.
Ainsi sont particulièrement bien venues les pages qui rendent compte de la manière dont Léon Blum, tout au long de sa vie, a vécu et compris sa judéité. Sa prise de conscience s’est faite au moment de l’affaire Dreyfus. Dans les écrits politiques du jeunes bourgeois, tout à la fois critique littéraire d’avant 1914 et juriste au Conseil d’État, particulièrement dans Les Nouvelles conversations de Goethe et Eckermann, nous mesurons la conscience qu’il a prise que les valeurs juives et les espérances socialistes se confortaient les unes les autres dans l’idée de justice. La conversion au « dreyfusisme » et au socialisme s’est produite au même moment.
Du dreyfusisme au sionisme
C’est le fil directeur que Pierre Birnbaum propose tout au long du livre. L’historien des « juifs d’État », qui nous a donné des livres éclairants depuis les années 1980, est aussi celui de l’antisémitisme virulent dans la société française. L’ouvrage donne, hélas, un florilège, de l’hostilité qui a suivi Léon Blum tout au long de sa vie publique. Le chapitre sur « l’attentat », au sens propre un lynchage, dont il fut victime le 13 février 1936, au sortir du Palais-Bourbon montre jusqu’où pouvait aller la haine contre lui, mais, aussi, les multiples témoignages d’affection et de soutien qu’il suscitait.
Connues, mais utiles à rappeler sont, également, les appréhensions de responsables de la communauté juive, au moment où il allait être appelé à former le gouvernement du Front populaire, et de leur désir qu’il n’acceptât point. Mais Léon Blum n’a pas  renoncé à assumer les différentes fidélités de sa vie. Intéressantes également sont les raisons qui ont fondé l’attachement de Léon Blum à la cause sioniste, et ce dès les années 1920. « Etre sioniste, pensait-il, parce que français, parce que juif et parce que socialiste ». Les liens avec l’organisation juive mondiale et avec son président, Haïm Weismann, qui fut le premier président d’Israël, sont mis en évidence. Son action en 1947 pour la défense des réfugiés de l’Exodus et, surtout, pour la reconnaissance de la France au moment de la création de l’État d’Israël, a été notable. En même temps, comme beaucoup, il n’a que peu pris conscience des problèmes que posait la constitution d’un État juif sur une terre qui n’était pas sans peuple… Il pensait que l’orientation socialiste des créateurs de l’État d’Israël permettrait une coexistence fructueuse, avec les travailleurs palestiniens, essentiellement de petits paysans, les oppositions venant des grands propriétaires. Ce qui était mésestimer les contradictions politiques et religieuses qui étaient déjà à l’œuvre.
J’ai insisté sur ce qu’est l’apport principal de ce livre – et demeure souvent méconnu, le rappel de l’antisémitisme, évitant d’analyser les convictions propres de Léon Blum. Mais, il y a bien d’autres aspects, intéressants et décrits de manière sensible et chaleureuse. La jeunesse mondaine, vouée à une grande passion littéraire, donne des pages subtiles, tout particulièrement l’imprégnation stendhalienne qui a marqué sa manière d’être. La consultation de la correspondance de Léon Blum avec de ses trois épouses, Lise Bloch, morte en 1931, Thérèse Pereyra, qui fut sans aucun doute la passion amoureuse de sa vie, morte en 1938, de Jeanne Levylier, dite Janot, montre un homme de passion, qui aimait aimer et être aimé. La séduction a été aussi un des caractères de Blum et un de ses atouts dans l’action politique y compris. L’homme, en effet, avait une grande qualité d’empathie et voulait convaincre avant tout.
Le hors champ d’un portrait
Le regret – nous l’avons dit initialement, mais cela résulte des choix mêmes de l’auteur – est peut-être que la dimension politique du dirigeant socialiste n’apparaisse pas assez. Car, c’est aussi une des facettes de Léon Blum. Son socialisme n’a pas été qu’une question de valeurs – même s’il s’agit de la dimension principale de son engagement. Il a été, aussi, un « chef » de parti pendant presque trois décennies. Non qu’il ait occupé le poste de secrétaire général, dévolu à Paul Faure de 1920 à 1940, mais il a été rapidement le comptable de l’unité de son parti et de sa survie dans les temps difficiles. Cela l’a amené à faire des compromis. Son rapport à Marx n’est pas aussi superficiel que certains passages peuvent le laisser penser. Il a toujours revendiqué les principes d’analyses marxistes jusque dans les années 1947-1950. Les controverses avec les néo-socialistes et les « planistes » des années 1930 auraient pu fournir un utile élément d’approfondissement. La réflexion sur les difficultés de concilier l’idéalisme – dont il a incontestablement fait preuve au cœur même des plus dures épreuves – avec les responsabilités de la conduite de la SFIO et, surtout, du pays, en aurait été enrichie. Car si, comme le disait pour le regretter Colette Audry, la « politique du juste » n’est pas exempte de difficultés et de contradictions, elle offre, pourtant, la boussole nécessaire pour s’orienter justement dans les choix fondamentaux.
Alain Bergounioux