AccueilActualitéLa politique, toujours une question de genre par Rémi Lefebvre

La politique, toujours une question de genre par RĂ©mi Lefebvre

Navarre_LOURS459siteLes lois sur la paritĂ© ont contribuĂ© Ă  fĂ©miniser le personnel politique. Des dispositions rĂ©centes ont encore accentuĂ© la tendance. Mais qu’en est-il rĂ©ellement de la carrière des femmes en politique et de leur place dans un univers encore dominĂ© par les mĂ¢les ? À propos du livre de Maud Navarre, Devenir Ă©lue. Genre et carrière politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 258 p, 20€

Article paru dans L’OURS 459, juin 2016, page 1

La paritĂ© s’applique dĂ©sormais pour les postes d’adjoint ou dans les exĂ©cutifs locaux, dans les communes de moins de 1000 habitants ou pour l’élection des conseillers dĂ©partementaux (scrutin binominal). Ses effets sont pourtant encore limitĂ©s si l’on s’attache aux positions politiques les plus Ă©minentes. En 2014, seuls 15,9 % des maires sont des femmes (7,2 % dans les EPCI – Ă©tablissement public de coopĂ©ration intercommunale). On en dĂ©nombre trois parmi les 18 derniers prĂ©sidents de rĂ©gion Ă©lus. La part des femmes prĂ©sidentes de dĂ©partement est passĂ©e de 6 Ă  10 % en 2015. Les carrières politiques des femmes sont moins longues Ă  la fois parce qu’elles sont moins enclines Ă  sacrifier leur vie familiale mais aussi parce qu’elles constituent souvent la variable d’ajustement quand il faut « renouveler » les listes Ă©lectorales. Seulement 23 % des conseillères rĂ©gionales Ă©lues en 1998 ont Ă©tĂ© reconduites en 2004 alors que c’est le cas de 43 % des conseillers. En cela la paritĂ© marque bien une « rĂ©volution conservatrice » comme la sociologue Catherine  Achin l’a montrĂ©. RĂ©volution, car il y a bien eu fĂ©minisation. Conservatrice, car les femmes n’accèdent pas aux responsabilitĂ©s les plus Ă©minentes alors que la domination masculine, quoique dĂ©placĂ©e, est bien rĂ©assurĂ©e.

Les effets du genre
La science politique s’est beaucoup intĂ©ressĂ©e Ă  ce processus de fĂ©minisation depuis quelques annĂ©es dans un contexte de dĂ©veloppement des Ă©tudes sur le genre (entendu comme le processus social qui crĂ©e des groupes et des identitĂ©s sexuĂ©s). Le genre influence-t-il la carrière politique, c’est-Ă -dire Ă  la fois la trajectoire politique (son « devenir »), les manières de faire politique et les reprĂ©sentations que l’on s’en fait ? Maud Navarre apporte des Ă©lĂ©ments nouveaux et confirme des tendances dĂ©jĂ  repĂ©rĂ©es Ă  partir d’une enquĂªte en Bourgogne sur les Ă©lus locaux et parlementaires. En combinant questionnaires, observations et entretiens, elle livre une analyse passionnante tant sur le genre que sur le mĂ©tier politique qui dĂ©montre bien la pertinence d’une approche sexuĂ©e des pratiques politiques locales et, par lĂ  mĂªme, l’illusion de la neutralitĂ© sexuelle des institutions (Catherine Achin). Les positions institutionnelles sont bien sexuĂ©es et sexuantes. La socialisation au mĂ©tier des Ă©lus est façonnĂ©e par la variable du genre qui est une façon de signifier des rapports de pouvoir. L’auteure mesure les effets du genre Ă  plusieurs niveaux : les positions objectives occupĂ©es (types de mandats, de responsabilitĂ©s…), les attentes des acteurs (pairs, observateurs, citoyens…) et la manière dont les Ă©lus endossent leur rĂ´le (conception du mandat, pratiques de reprĂ©sentation, d’assemblĂ©e…). Les effets du genre en politique ne se donnent pas facilement Ă  voir et Ă  objectiver : les mĂ©canismes sont souvent invisibles et d’autres facteurs, telles les filières d’entrĂ©e en politique ou les ressources des nouveaux entrant(e)s jouent Ă©videmment un rĂ´le. Il faut raisonner Ă  capitaux Ă©quivalents pour isoler la variable « genre ». Les femmes novices peuvent ainsi avoir des comportements (de faible assurance notamment) assez proches de ceux des hommes peu expĂ©rimentĂ©s.

Trouver sa place
Maud Navarre s’intĂ©resse notamment Ă  l’implication des femmes dans les campagnes Ă©lectorales, Ă  la prise de parole dans les assemblĂ©es ou aux conceptions du mandat en prenant en compte deux autres sous-mondes sociaux (essentiels pour les femmes) qui interagissent avec l’espace politique : la sphère familiale et la sphère professionnelle. Dans les campagnes Ă©lectorales, la fĂ©minitĂ© est devenue difficilement mobilisable comme ressource en soi, tant elle s’est banalisĂ©e. La domination de la scène et des coulisses par les hommes demeure. Il n’est pas simple pour les Ă©lues de « trouver leur place » dans l’exercice de leurs fonctions. Dans sa « cartographie » des espaces fĂ©minins lĂ©gitimes en politique, Maud Navarre Ă©tablit une inĂ©gale rĂ©partition des responsabilitĂ©s politiques selon le sexe. La division sexuelle du travail est Ă  la fois « verticale » (la hiĂ©rarchisation des fonctions dans une mĂªme assemblĂ©e) et « horizontale » (la rĂ©partition des diffĂ©rents types de dĂ©lĂ©gation). Les femmes s’occupent plus que les hommes des affaires sociales, de la santĂ© ou de la culture, dĂ©lĂ©gations plutĂ´t dominĂ©es. « La transgression de l’ordre sexuĂ©, provoquĂ©e par l’entrĂ©e en nombre des femmes dans les exĂ©cutifs s’accompagne d’une rĂ©affirmation de la diffĂ©rence des sexes Ă  travers le type de responsabilitĂ© qui leur est confié ». Dans l’exercice du rĂ´le, hommes et femmes se replient sur les compĂ©tences acquises avant leur entrĂ©e en politique et choisissent des spĂ©cialisations politiques qui sont le prolongement de la division sexuelle du travail. Ce phĂ©nomène tend Ă  Ă©loigner les femmes des commissions et des sujets les plus partisans, donc les plus susceptibles de construire une position politique de premier plan. Il pèse aussi sur les occasions de prendre la parole en situation d’assemblĂ©e sur les sujets de politique gĂ©nĂ©rale.
Il y a bien une distribution sexuĂ©e de la parole. Etre Ă©lu, c’est Ăªtre capable de s’exprimer en public et de prendre part au dĂ©bat. Les interventions des femmes sont moins nombreuses que celles des hommes. Sur le plan qualitatif, elles renvoient plus souvent Ă  des sujets politiques spĂ©cifiques (inĂ©galitĂ© lĂ  encore devant la montĂ©e en gĂ©nĂ©ralitĂ©). Peinant Ă  monter en gĂ©nĂ©ralitĂ©, les femmes se privent de ce que pratiquent couramment les hommes, Ă  savoir le pur Ă©change rhĂ©torique et « politique », jugĂ© « viril ». Comme Delphine Dulong et FrĂ©dĂ©rique Matonti l’ont montrĂ© dans une autre Ă©tude, « parce que les femmes prennent (plus exactement, on l’a dit, reçoivent) moins la parole que les hommes, elles sont moins socialisĂ©es aux rĂ´les, ont moins l’occasion de faire leur preuves et donc, in fine, leur chance de progresser dans la carrière est moins grande que celle des hommes ».

RĂ©mi Lefebvre

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