L’extrême droite progresse en France et en Europe. Comment les socialistes analysent-ils ses poussées, et comment s’y opposent-ils, d’hier à aujourd’hui ?
Le dossier de notre dernier hors-série Recherche socialiste a été piloté par Gilles Vergnon, maître de conférences habilité en histoire contemporaine à l’IEP de Lyon, auteur d’un ouvrage sur L’antifascisme en France, de Mussolini à Le Pen, publié aux presses universitaires de Rennes en 2009. Vous pouvez en découvrir le sommaire et l’avant propos d’Alain Bergounioux ci-dessous.L’OURS hors-série Recherche socialiste
n° 76-77, juillet-décembre 2016, 196 p, 15 euros
SOMMAIRE
Alain Bergounioux, Avant-propos
L’événement : Les socialistes face à l’extrême droite en France et en Europe, XIXe-XXIe siècle
Gilles Vergnon, Introduction
Yves Léonard, L’extrême droite marginalisée : le cas portugais
David S. Bell, Le Labour Party face à l’extrême droite, d’Oswald Mosley à Nigel Farage
Laszlo Gruber, Les socialistes hongrois face à Orbán et l’extrême droite
Ralf Melzer, Le populisme de droite en Allemagne : un défi pour la social-démocratie
Denis Lefebvre, Les socialistes face à la crise boulangiste
Thierry Hohl, « Il y a fascisme et fascisme. » La SFIO face à l’extrême droite dans les années 1930
Pascal Girard, Un péril insaisissable : le Parti socialiste SFIO et l’extrême droite sous la IVe République
Gilles Vergnon, Au commencement… Les socialistes et le Front national, 1983-1988
Les socialistes contre le Front national (1987-2017). La ligne de faille, entretien avec Jean-Christophe Cambadélis
Histoires socialistes
Jean-Marie Catonné, Amédée Dunois et Romain Rolland, au-dessous de la mêlée
Christophe Bartady, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du politique (1972-1977)
Pierre-Emmanuel Guigo, Le complexe de la communication. L’institutionnalisation de la communication politique à travers l’exemple de Michel Rocard (1965-1995)
Note de lecture
Denis Lefebvre, François Mitterrand dans ses textes
Courrier des lecteurs
Jean-Jacques Piette, Jacques Piette, malentendus, histoire et mémoire
In memoriam
Nathalie Poperen, Michel Rocard
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Avant propos d’Alain Bergounioux
Le dossier de ce numéro a été piloté par Gilles Vergnon, maître de conférences habilité en histoire contemporaine à l’IEP de Lyon, auteur d’un ouvrage sur L’antifascisme en France, de Mussolini à Le Pen, publié aux presses universitaires de Rennes en 2009. Il présente dans son introduction les principaux enseignements qu’il tire des coups de projecteurs offerts par les différents articles et entretiens, mais je voudrais pour ma part livrer quelques réflexions sur ce sujet.
« Contre révolution », et alternative
Pour comprendre la nature du Front national aujourd’hui, peut-être même faudrait-il dire le mouvement bleu-Marine, il est nécessaire d’opérer un double mouvement : d’une part, introduire une perspective historique, d’autre part, mener une comparaison géographique. C’est ce que fait le dossier de notre revue, sans avoir, évidemment la prétention d’être exhaustif. Les articles rassemblés permettent de faire un constat. On lit, souvent, que Marine Le Pen et son équipe ont « dédiabolisé » le Front national. La rupture avec le père paraît le confirmer. En fait, un regard historique montre tout ce que doit l’actuel mouvement à l’extrême droite nationaliste qui s’est constituée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, entre le boulangisme et l’antidreyfusisme. Les historiens ont souligné que le fond de cette idéologie, incarnée par différents mouvements au fil du temps, a été largement structuré par la pensée de Charles Maurras. Certes, il ne s’agit plus aujourd’hui de promouvoir la monarchie – qui, d’ailleurs, était là pour évoquer l’aspiration à un pouvoir fort. Mais l’opposition entre le « pays réel » – le peuple – et le pays légal – les élites – se retrouve dans tous les mouvements de contestation populiste. Surtout la notion « d’anti-France », mise en avant par l’Action française, présentant une France minée de l’intérieur par des éléments étrangers aux traditions et aux valeurs du pays, est toujours au cœur de l’idéologie du Front national actuel. Maurras en distinguait quatre : « les juifs, les francs-maçons, les protestants, les métèques ». Les musulmans ont, aujourd’hui, remplacé les juifs – encore qu’il faut être attentif, avec la critique des « élites », l’antisémitisme n’est jamais loin. Le Front national repose bien sur un nationalisme d’exclusion. La comparaison européenne, quant à elle, montre que dans la vague populiste qui touche les grands comme les petits pays européens, « l’insécurité économique » face aux changements du travail joue un rôle important. Mais, « l’insécurité culturelle » n’est pas moins notable. La diversification culturelle et religieuse manifestée depuis les années 1970 dans les sociétés européennes nourrit, en effet, une « contre-révolution » fondée sur les peurs et les ressentiments qui rejette les valeurs de la gauche et, plus largement, les valeurs libérales. Le refus de l’immigration – ravivé par la crise des réfugiés –, une tendance à l’isolationnisme, la critique des « élites », du « système », de la « caste », etc., sont autant d’éléments communs. Cette double enquête montre que le Front national n’est, certes, pas un mouvement intermittent de la vie politique. Il correspond à une situation de crises (au pluriel) que traversent la France et l’Europe. La critique est, évidemment, nécessaire. Mais l’expérience montre aussi que la défaite de tels mouvements ne peut venir que de la mise en œuvre d’une alternative politique forte et convaincante.
En revue
La partie « Histoires socialistes » de ce numéro propose un article de Jean-Marie Catonné, auteur d’une récente biographie de son grand-père, Amédée Dunois (Cf L’OURS 458), sur les relations de ce dernier avec Romain Rolland, l’écrivain pacifiste, auteur d’Au-dessus de la mêlée. Il aurait pu figurer dans notre dossier tant les réactions de Dunois et de Rolland, deux hommes de gauche, illustrent les divisions des pacifistes et des démocrates face au communisme et à la montée du fascisme. Dunois, majoritaire à Tours, rompt quelques années plus tard pour rejoindre la SFIO, au moment où Rolland prend le chemin inverse. Nos « histoires socialistes » accueillent une fois encore, habitude que nous entendons conserver, les présentations de leur récentes thèses par des doctorants1. Christophe Batardy, sur le Programme commun, et Pierre-Emmanuel Guigo, sur la communication de Michel Rocard, renouvellent nos connaissances, et nous attendons la publication de leurs recherches.
On lira aussi la note de lecture de Denis Lefebvre sur les documents publiés à l’occasion du centenaire de la naissance de François Mitterrand, ses lettres et son journal « offert » à Anne Pingeot. Ces documents intimes sont désormais des sources proposées à l’interprétation des historiens.
Nous publions également la réaction de Jean-Jacques Piette à l’article publié par Arnaud Dupin dans notre précédent numéro sur l’ouvrage qu’il a consacré à son père, Jacques Piette. Au-delà des éléments qu’il apporte sur le parcours et la personnalité de son père, cet échange entre le « fils biographe » et « l’historien » peut nourrir la réflexion sur l’importance des témoignages, et des sources.
Ce numéro se termine par nos hommages à des personnalités récemment disparues.
Alain Bergounioux
(1) Nous avons publié ces dernières années, les « résumés » de thèse de : Isabelle Clavel, Ismaïl Ferhat, Mathieu Fulla, Emmanuel Jousse, Jérôme Letournel, Claire Marynower, Anne-Laure Ollivier, Antoine Rensonnet, Brian Shaev, Matthieu Tracol…