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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Chevandier/campsVichy
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Les camps de Vichy : mémoire et histoire par Christian Chevandier
à propos de Didier Epelbaum, Obéir. Les déshonneurs du capitaine Vieux, Drancy 1941-1944, Stock, 234 p, 20,99 € J’ai voulu porter l’étoile jaune. Journal de Françoise Siefridt, chrétienne et résistante, préface de Jacques Duquesne, Robert Laffont, 2009, 217 p, 16 €
Article paru dans L’OURS n°399, juin 2010, p. 7
Travaux d’historiens, publications de documents d’époque, films de fiction tels la Rafle ou documentaires sollicitant archives et témoins, les récits de l’oppression menée par le gouvernement de Vichy sont toujours nombreux. Mais ce passé passe-t-il mieux ? La « vulgarisation » de celui-ci diffuse-t-elle les acquis de l’histoire, d’une génération à l’autre ?
Deux ouvrages récents, focalisant sur deux individus fort différents, un gendarme « obéissant », et une jeune fille espiègle d’une exceptionnelle résolution, permettent de nous approcher au plus près de la sordide réalité de la France de Vichy à l’heure de la rafle du Vel d’hiv.
Obéir ou résister Marcelin Vieux, gendarme, fils et frère de gendarmes, capitaine en 1942, commande les gendarmes qui surveillent le camp de Drancy. D’une incroyable brutalité, frappant à la cravache ou à coups de poing des invalides ou des femmes âgées, son zèle lui vaut d’être traduit en justice à la Libération, puis, après son retour en 1956 dans un pays qu’il avait prudemment quitté, devant le Tribunal permanent des forces armées. C’est de ces archives de justice, mais aussi de dossiers individuels de la gendarmerie, que Didier Epelbaum a tiré cet ouvrage, nous plongeant dans l’infamie d’un corps qui s’est toujours voulu glorieux. Les récits des brutalités commises par des gendarmes y sont mis en rapport avec les carrières de ceux-ci. Comme ce fut le cas pour le brigadier des Renseignements généraux Louis Sadosky dont le parcours a été éclairé par Laurent Joly (Berlin, 1942. Chronique d’une détention par la Gestapo, CNRS éditions, 2009, cf. L’OURS 394), un de ces « hommes ordinaires », faisant son sale boulot sans se poser de question, Marcelin Vieux est médiocre, soumis, impressionné par ses chefs. L’auteur du livre a la naïveté de s’étonner que cela n’ait pas nui à sa carrière.
Comme dans l’ouvrage précédent où le plus intéressant est ce qui aborde le vif du sujet, la biographie du gendarme et son comportement à Drancy, ce sont les 67 pages du journal de Françoise Siefridt qui attirent notre attention. Cette jeune havraise, en classe préparatoire au lycée Fénelon, est interpellée un matin de juin 1942 sur le boulevard Saint-Michel parce qu’elle y déambule avec une étoile jaune qui porte le mot « papou ». Mais ni Vichy ni l’occupant ne sont sensibles à cet humour potache et pourtant si engagé. Ce geste de dérision et de solidarité, effectué ce mois-là par une centaine de Parisiens, lui vaut d’être internée pendant deux mois et demi à la caserne des Tourelles (vers les fortifs), puis à Drancy avec sur son corsage une bande de tissu jaune qui proclame « Amie des juifs ». C’est le journal que tient alors cette jeune catholique, du 7 juin au 31 août, qui est publié, avec des textes de Jacques Duquesne et de Cédric Gruat qui le mettent en perspective. Le gardien de la paix qui prend l’initiative de l’arrestation n’est pas décrit comme un méchant homme, et c’est d’ailleurs une des caractéristiques de ce texte que de donner une description plutôt sympathique de la plupart des policiers et gendarmes français auxquels elle a affaire, plutôt gênés de son arrestation, mal à l’aise de devoir garder des innocents. Sans doute apparaît ici un trait du caractère de Françoise Siefridt, qui est gentille même avec les clochards, mais ce document permet d’appréhender une perception que le temps n’a pas reconstruite, comme à propos de l’accueil des enfants arrivant à Drancy : « Ce ne sont pas des gendarmes qui les fouillent : ils seraient trop bons ».
Insistons, au-delà de la forte personnalité de la jeune femme, sur le caractère exceptionnel de ce document : ainsi, quand dans le film La Rafle un médecin explique à une jeune infirmière qu’il a appris que les enfants déportés sont gazés dès leur arrivée, Françoise Siefridt note le 16 août dans son journal, à propos des enfants dont « les parents sont déjà déportés » et qui vont quitter Drancy : « Dans l’ensemble, ils sont heureux de partir parce qu’ils pensent retrouver leurs parents. » La fiction a ses raisons, mais l’histoire est plus complexe.
La rafle, fiction et réalité La réception par certains critiques du film à grand spectacle La Rafle de Roselyne Bosch (avec Jean Réno, Mélanie Laurent, Gad Elmaleh…) , qui met justement en scène la rafle du Vel d’hiv’, renseigne sur cette question du passage des travaux des historiens dans les œuvres de fiction. Ainsi, la critique de Télérama (10 mars 2010) déplore que « comme pour rassurer à bon compte le spectateur d’aujourd’hui, le film épargne la société autant qu’il accable les autorités ». Visiblement, elle préfère les histoires avec uniquement des victimes et des méchants, et elle résume sans ambages : « Une France unanimement résistante, en somme, comme le cinéma la rêvait jusqu’aux années 60 ». C’est là faire preuve d’un certain culot, surtout lorsque l’on sait (et elle le sait) que Serge Klarsfeld a été le conseiller historique de ce film.
Que dire sur ce film, qui se veut pédagogique sans celer l’horreur derrière la poésie ? La réalisatrice manifeste la volonté d’aborder l’ensemble du sujet et donc, bien sûr, l’aide apportée par la population, une aide forcément discrète, laissant peu de trace et pour laquelle on ne retrouve aujourd’hui comme hier, à part quelques exceptions, rien, ou si peu, dans les archives. Mais justement, cette aide discrète et efficace est la principale explication de la déception des occupants et du dépit des responsables de la police : le bilan des arrestations fut bien inférieur à ce qui était prévu. Ce film préoccupe vraiment Télérama, qui y revient quelques numéros plus tard, avec la même approche. Télescopage des régimes mémoriels, celui de l’hebdomadaire préféré des enseignants date des années 1970 tandis que celui du film est clairement du début du XXIe siècle, qui, déplaçant la focale sur les individus, met l’accent sur l’opposition des citoyens ordinaires, des gens ordinaires à l’oppression. Peu importe ici qui est le moins éloigné de la réalité, quand bien même la dimension inaugurée par le film Le Chagrin et la Pitié et portée à la caricature par Lacombe Lucien est d’autant plus aisément frappée d’obsolescence qu’elle évacue la complexité du phénomène. Les travaux de Pierre Laborie sur l’opinion française sous Vichy permettent de dépasser ce dilemme un peu vain et, pour La Rafle, l’analyse d’Annette Viewiorka situe les différents enjeux (L’Histoire, n°353, mai 2010), reconnaît la pertinence de la description du travail policier qui a permis les rafles, tout en regrettant le « tableau idyllique » de la vie juive « dans un Montmartre d’opérette » alors que, souligne-t-elle, les interdiction professionnelles ont commencé en 1940 et les arrestations dès mai 1941.
D’une tout autre nature est le documentaire de Jorge Amat et Denis Peschanski, La France des camps, diffusé par France 2 le jeudi 8 avril dernier. Après plusieurs productions plus ponctuelles, ce film s’attache à une vue d’ensemble et à une mise en perspective indispensable. Les témoignages (comme celui d’Arthur Koestler) et les documents sont précis, utiles, situés (ainsi les rapports des œuvres d’assistance). Le recours est explicite aux archives, privées ou publiques comme celles de la Préfecture de police dont le service d’Archives est largement fréquenté par les spécialistes de cette période. Cela permet d’insister dans un documentaire largement diffusé sur les méthodes des historiens, sur leurs ressources. Les dessins contemporains jouent aussi leur rôle. Le documentaire met en évidence à quel point l’internement était au centre de la politique de Vichy, mais pas du tout de celle des Allemands. Et c’est bien dans le cadre de la politique nazie que les Allemands ont utilisé ces camps après la rencontre Bousquet/Oberg du printemps 1942. Il n’empêche qu’en France ces politiques d’internement ne peuvent être comprises que dans la continuité : 600 000 personnes ont été internées entre 1938 et 1946 sur l’ensemble du territoire national, ce qui signifie que les internements ont commencé dans le cadre d’un régime démocratique.
S’agissant de la rafle du Vel’ d’hiv, cette profusion des regards et le risque de dispersion mais aussi de redondance, d’autant plus préjudiciables qu’elles autorisent toutes les simplifications, ne doivent, somme toute, que nous inciter à lire ou relire l’ouvrage de référence que Denis Peschanski a tiré de sa thèse d’État, La France des camps. L’internement, 1938-1946 (Gallimard, 2002). Christian Chevandier |
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