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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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L'heure des masses, le jazz
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LES GRANDES MANIFESTATIONS : L’ART DES MASSES< Voici au parc des Princes la foule des grands jours. Une énorme ceinture de spectateurs pressés autour de la piste - sombre ruban qu’égaient les vives couleurs des journaux sportifs - s’attache à la roue des coureurs avec une attention qui se passionne à mesure que l’épreuve évolue vers le sprint final. Résultat sportif de la journée : néant. D’un côté une douzaine de forçats de la pédale ; de l’autre l’immense majorité qui, selon les saisons, sue ou grelotte à faire le pied de grue : nous l’avons dit déjà, aussi longtemps qu’on appellera sportif un individu porteur d’une casquette à carreaux, tout sera à faire dans le domaine de l’éducation physique. Par contre quelle splendide manifestation d’art que cette détestable réunion sportive ! Inactif au point de vue sportif, l’homme à la casquette se retrouve dès qu’il s’agit d’applaudir ou de huer. Michard passe : c’est un transport d’enthousiasme. Kaufmann essaie de l’enfermer : on le lapiderait si on avait des pierres. Le chauvinisme s’en mêle. La température s’élève, « Lavette ! » lance Crainquobille à Ellegard, qui, le crâne chauve, fait lanterne rouge. « Lavette, un homme qui fut sept fois champion du monde ! » on se bat. Un incroyable échange psychique s’établit entre le public et les coureurs, dont le rôle essentiel puissamment artistique, est de donner corps aux passions populaires : ils sont avant tout des symboles, ou, comme on dit souvent, des idoles. Cependant les maillots multicolores s’élancent dans la ligne droite : un dramatique silence se creuse l’espace de quelques secondes. Et c’est l’ovation, le délire. La foule défonce les barrières, envahit le stade, porte le vainqueur en triomphe. A strictement parler, il n’y a plus de spectateurs. Par la grâce de l’enthousiasme, la plus profane des midinettes joue son rôle dans le scénario. Ce que n’avait pu faire le théâtre, la manifestation pseudo-sportive l’accomplit. D’ignobles entreprise comme le Tour de France, les six jours ou le Bol d’Or remportent ainsi, au point de vue dramatique, un succès qui serait désespérant s’il tenait tout entier dans leurs dehors sportifs : sans doute ne faut-il pas chercher ailleurs le secret des concours que rencontrent encore parmi des populations antimilitaristes les plus dégoûtantes parades de l’armée. Qu’attend le public d’un défilé militaire ? Une revue à grand spectacle qui exige pour décors une ville tout entière. Qui donc ne serait pas arraché à sa torpeur quand on est sollicité jusque chez soi par ces cuivres qui vous prennent aux entrailles et font danser jusqu’aux chevaux ? Ouvrez votre fenêtre, et vous serez subjugué par l’éclair et le cliquetis des sabres, la splendeur des uniformes, le prestige des grades et des décorations, par la savante orchestration de cette éblouissante féerie, réglée aussi minutieusement qu’un sketch de music-hall. Alors vous descendrez dans la rue, vous emboîterez le pas au cortège, vous fredonnerez les marches guerrières, et vous achèverez votre participation au rite par le salut au drapeau. Ainsi le Carrousel de Saumur commence par les innocentes acrobaties des écuyers et réserve pour la fin la grande charge des tanks : les mitrailleuses, les canons crachent du feu, les chevaux affolés s’emballent, et l’épopée se termine en apothéose, car la foule croit qu’une nouvelle victoire vient de rehausser la gloire de la France, et que c’est elle qui l’a remportée. On jugera de l’importance de manifestations de ce genre par la place qu’elles occupent dans les actualités parlantes du cinéma. Sans doute, au regard de la défense nationale, ces morceaux de bravoure ont-ils à peu près, selon le mot de Paul Faure, la valeur d’un sabre de bois : notre armée n’en est pas moins, aux yeux de la masse qui vibre, un histrion de génie. On ne s’étonnera pas que l’armée soit si souvent à l’honneur dans les cérémonies religieuses : là aussi, le spectacle est tendu tout entier vers l’action. Le prêtre qui officie sous son étole chamarrée, parmi les brillants accessoires du culte, les fumées de l’encens, l’ombre de la nef ou le demi-jour radieux qui tombe des vitraux, n’est que le centre du drame que vivent les fidèles, et un Suisse implacable se charge de transformer en acteur le spectateur réfractaire. Mais la liturgie devient plus prenante encore, quand la manifestation s’empare de la voie publique. Ainsi la fameuse procession de Lourdes, prenant pour centre la basilique dont l’insignifiance est masquée par la nuit, souligne par la lumière de ses torches et la ferveur de ses cantiques le symbolisme d’un circuit dont l’éclat fait forcément pâlir les petits effets de nos théâtres du boulevard.
JAZZ ET CINEMA Si nous n’avons pas exagéré le succès des manifestations religieuses, militaires ou sportives, on conçoit pourquoi des oeuvres amoureusement polies dans la retraite d’un cabinet de travail sont destinées à ne toucher qu’un public de blasés, et peut-être pensera-t-on qu’on perd son temps à servir au peuple un art populaire dont précisément il ne veut pas. On lui prêche la lecture des livres : il préfère le journal parce qu’il se reconnaît pour l’auteur des faits divers dont le réalisme l’enchante. De bonnes âmes essaient de canaliser son besoin d’action vers la culture des jardins ouvriers : le peuple n’en reste pas moins fidèle au cinéma et au dancing. Laissons le bourgeois crier au scandale : rien n’est plus réconfortant que ce goût marqué du jazz, qui unit dans la même admiration les plus grands musiciens et la foule anonyme. Quant au cinéma, n’est-ce pas, la ferveur populaire qui attire à lui les meilleurs esprits, hier encore fermés au charme de l’écran ? Ici comme là, le peuple recherche le mouvement et l’action, et Elie Faure a fort bien souligné la parenté profonde des deux arts : la danse, exprimant par sa géométrie qui bouge, par son obéissance au rythme de la gravitation la victoire de l’esprit sur les sens en délire ; le cinéma perpétuant la danse sous les yeux, entraînant dans le rythme des « movies » jusqu’au spectacles du plein air, rassemblant d’immenses publics devant le reflet mouvant de toutes les harmonies du monde. Est-ce dire que nous acceptons tels quels ces premiers témoignages du besoin d’art de la masse ? L’exploitation y tient encore un trop grand rôle, et le peuple reste trop suiveur lors même qu’il paraît prendre à son compte les démonstrations du sport spectaculaire, du chauvinisme et du cléricalisme. Combien de catholiques, hantés par l’obsession de leur salut personnel, sont capables de jouir pleinement de cette poésie des « Fêtes Dieu claires » dont s’enchante sans arrière-pensée l’esprit païen d’un Francis Jammes ? Quant à la presse, la danse, le cinéma, ils jouent trop souvent le rôle de simples dérivatifs. Le cinéma surtout, capté par le capitalisme, devenu aux États-Unis l’industrie d’exportation la plus importante après celle de l’acier, n’est plus aux mains de la bourgeoisie qu’un moyen d’asservir les masses ouvrières. « Toute loi humaine et naturelle doit être respectées » proclame l’évangile de Williams Hays, « L’Empereur du Cinéma ». Dans l’ombre troublante de la salle de spectacle, quand l’esprit, recru des fatigues du jour, se défend mal contre les suggestions de l’image, alors commence le règne de « l’idéologie Paramount » (11). Qu’il soit bien entendu que le film le plus beau est celui qui a coûté le plus cher, celui où l’on a engagé le plus grand nombre de vedettes (si possible quelque princesse ou grand-duc en exil), celui que la publicité a loué avec le plus de tapage. La lutte des classes étant une invention des révolutionnaires, il va de soi que la femme du monde épousera pour finir l’ouvrier pauvre mais intelligent. Quant aux films non orthodoxes, les foules vivantes de Hallelujah, la révolte du Cuirassé Potemkine, l’oeuvre géniale d’un Pabst ou d’un Eiseinstein, une censure vigilante aura pour mission de les interdire ou de les rendre méconnaissables : l’index se chargera du reste. C’est donc à de sérieux obstacles que se heurte la spontanéité des masses chaque fois que, obscurément encore, elle paraît s’orienter vers une esthétique nouvelle. Pour aboutir à un art qui ne soit pas dehors de la vie, qui ne se borne pas à en présenter une image lointaine et édulcorée, qui ne s’inspire plus d’une esthétique de salons quand le drame des temps modernes se joue sur la place publique, il faut que cette activité prenne une plus claire conscience d’elle-même. C’est dans la libre manifestation des aspirations populaires qu’il nous faut chercher les prémisses d’un renouveau artistique.
Notes (11) Voir notamment le livre vengeur de Georges Altman, Ça, c’est du cinéma !, Éditions les Revues, Parsis, 1931.
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