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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Owen / Chevandier / L'OURS 435
Robert Owen, patron socialiste
par CHRISTIAN CHEVANDIER

à propos du livre Robert Owen, Nouvelle vision de la société, Précédé de Nathalie Rousset, Owen l’utopiste, préface de Denis Bayon, Lyon, Atelier de création libertaire, 2012, 127 p, 10 €

Article paru dans L’OURS n°435, février 2014, p. 5.

L’histoire du mouvement ouvrier britannique tout comme celle d’un socialisme précoce et très ancré dans les réalités de la société et du monde ouvrier sont de plus en plus accessibles. Il faut s’en féliciter.

Dans un récent numéro de L’OURS (n°433, décembre 2013), nous pouvions nous en réjouir à propos de la rapide traduction et de la récente édition par les Publications de la Sorbonne de l’ouvrage de Malcom Chase, Le Chartisme. Aux origines du mouvement ouvrier britannique (1838-1858). C’est plus en amont encore, au début du siècle, que nous fait remonter ce recueil des essais rédigés par Robert Owen, Nouvelle vision de la société.

Un entrepreneur social
Agé d’une trentaine d’années au tournant du siècle, fils d’un petit commerçant gallois, sensibilisé très tôt aux bienfaits de l’instruction (à laquelle il manifestera un intérêt constant, prônant des méthodes éducatives aux antipodes de ce que nous connaissons de l’Angleterre du XIXe siècle), au travail comme commis lorsqu’il a une dizaine d’années puis embauché dans une maison de commerce de Manchester avant de prendre, à vingt ans, la direction d’une filature de coton. Ingénieur aux talents d’innovateur, qui a pu bouleverser certaines techniques de l’industrie textile, grand lecteur des Lumières et convaincu que l’industrie pourra faire le bonheur de l’humanité, son mariage avec la fille du propriétaire de la filature de New Lanark lui a permis de mettre en œuvre nombre de ses idées. Entrepreneur sachant ne pas gaspiller les capitaux dont il dispose, se détachant vite d’associés intéressés avant tout par les profits et effarouchés par les dépenses des activités sociales, Owen a su mettre en place une institution qui inspirera au moins la réflexion des socialistes : il fut le premier à populariser l’idée de huit heures quotidiennes de travail, huit de loisir et huit de sommeil. Il a pu tenter l’application de ses idées dans l’usine, mais aussi dans le village, où les vastes habitations étaient caractérisées par leur propreté, où l’école était ouverte aux enfants des ouvriers.

Owen propagandiste
Penseur et praticien, il se fit propagandiste. Ce livre est celui d’un homme qui agit là comme un think tank, veut par son argumentation peser sur le Parlement afin qu’il adopte des mesures permettant de faire face aux ravages sociaux du décollage industriel qui dans un système de forte violence sociale se conjuguent à ceux d’une mutation du monde agricole. Il est formé de quatre essais de tailles inégales, chacun étant alimenté par les réflexions consécutives à l’écriture du précédent. L’auteur y expose ses conceptions des rapports sociaux, et avec ce qui pourrait apparaître comme une indéniable clairvoyance aborde également des aspects moins essentiels d’une révolution démographique qu’il annonce ainsi que des moyens d’en empêcher les effets désastreux (la mise en valeur des ressources halieutiques par exemple). Certains passages, qui datent donc du début du XIXe siècle, permettent de situer dans un continuum des penseurs de la fin du siècle. Chacun connaît vaguement des propos qu’aurait tenus Victor Hugo à Guernesey à propos de l’ouverture d’une école et de la fermeture consécutive d’une prison, dans laquelle il estime qu’une éducation peut rendre un enfant assez responsable pour lui éviter les actes qui entraîneront des sanctions. C’est déjà ce qu’écrit Owen dans ce texte : « Un système de gouvernement qui préviendrait l’ignorance, et par conséquent le crime, sera donc infiniment supérieur à un gouvernement qui, en encourageant la première, produira inévitablement ce dernier, et finira par infliger le châtiment des deux. »

Owen dans le texte
Les textes d’Owen sont précédés d’une approche biographique de 18 pages par Nathalie Rosset, qui situent ces écrits en leur temps ainsi qu’au sein d’une œuvre d’autant plus exceptionnelle qu’elle ne s’est pas contentée d’être théorique (d’où les réticences que, somme toute, l’on devrait avoir à utiliser sans précaution le mot « utopie »). Signalons également la préface de Denis Bayon (à qui nous devons déjà, chez le même éditeur, Le commerce véridique et social de Michel-Marie Derrion, Lyon, 1835-1838 sur la première coopérative de consommation connue) qui se fait un plaisir de souligner qu’ « il ne devrait surprendre personne a priori que la première traduction en français […] soit le fait d’une maison d’édition libertaire ».

Des écrits de Robert Owen ont été publiés en français dès la Restauration, notamment Institution pour améliorer le caractère moral du peuple, ou adresse aux habitants de New Lanark en Ecosse en 1819 ; son texte surprenant « sur la nécessité d’un changement total dans nos systèmes d’éducation et de gouvernement » circulait dans le Paris de 18481. Édouard Dolléans a publié en 19052 ce qui est demeuré pendant presque tout le siècle la seule biographie de Robert Owen. Il fallut ensuite attendre des décennies pour qu’un intérêt réel soit de nouveau accordé à ce précurseur. Des textes choisis ont été édités en 1963 par les Éditions sociales puis, en 1999, Serge Dupuy a publié à CNRS éditions Robert Owen, socialiste utopique, 1771-1858.

L’on peut trouver une édition anglaise en poche, A New View of Society and Other Writing, dans la collection « Penguin Classic », et l’on se plait à espérer qu’une anthologie de l’œuvre d’Owen devienne aisément accessible en français.

Mais la lecture n’est pas l’unique moyen d’appréhender son œuvre. Le voyageur qui parcourt le sud de l’Ecosse ne peut manquer le passage par le site restauré de New Lanark, prenant ainsi conscience tout autant du caractère monumentale d’une œuvre qui se voulait prémonitoire que de l’environnement de cette première industrialisation (par ses aspects physiques avec le rôle fondamental de la rivière Clyde mais aussi les campagnes alentours encore façonnées par les enclosures). Avec le familistère de Guise récemment réhabilité, dans le département de l’Aisne, ce sont les vestiges de tentatives d’un socialisme patronal n’ayant rien d’utopique qui font prendre conscience des aspects matériels de ces praticiens de la réforme sociale.

Christian Chevandier

(1) Nombre de ces premières éditions sont accessibles en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.
(2) Il publiera huit ans plus tard le seul livre conséquent en français sur le Chartisme jusqu’à la sortie en 2013 aux Publications de la Sorbonne du livre de Malcom Chase.
 

 
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