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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Meetings populaires
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LES MEETINGS POPULAIRES Considérons un meeting populaire. On l’a dit bien des fois : la foule, à la prendre dans son ensemble, n’est pas venue pour apprendre, elle est venue pour gesticuler. On procède à la constitution du bureau ; les candidatures ont été complotées d’avance, et les deux mots du président ne ressemblent que d’assez loin à une improvisation : nous avons là ce rien de convention qui est inévitable au théâtre. Cependant, en applaudissant au rite de la nomination du bureau, le public commence à se faire la main, et quand l’orateur paraît, juché sur son podium, la foule est déjà disposée à jouer activement son rôle. La mimique de l’acteur principal, le balancement des phrases qui, comme des ballerines, s’élancent, hésitent, rebondissent et retombent, légères, à leur point d’équilibre, ne font que ponctuer les phases capitales du drame que vit quotidiennement ce peuple de travailleurs, aux prises avec les mille difficultés d’une lutte où la victoire ne fait pourtant pas de doute. Ceux-mêmes que la distance empêche de suivre le développement du discours, se dédommagent en saisissant au vol ces mots magiques de « révolution », de « salariat », de « socialisme », tout frémissante de vie et d’ardeur combative, qui s’entrechoquent, se provoquent ou s’appellent, et commandent les huées ou les cris d’enthousiasme. Pour peu qu’un contradicteur consente à jouer le rôle de bouc émissaire, la fête tourne au triomphe, et tel qui fût revenu humilié d’avoir applaudi une manifestation cocardière, rentre chez lui grandi d’avoir magnifié jusqu’à l’émotion esthétique que l’humble drame de sa vie journalière. Chez nos camarades de la social-démocratie allemande, l’art est plus proche encore de la vie. Dans les clubs ouvriers - « les cabarets rouges » - il n’est plus besoin du secours factice du tribun pour que s’opère la transcription plastique de la lutte sociale. Des pantomimes, des danses transposent l’actualité politique en un « journal vivant » où la spontanéité des artistes n’est pas le moindre charme. Quel prodigieux instrument de perfectionnement intellectuel et physique que ce théâtre où viennent s’affiner, dans une discipline librement consentie, la pureté du geste et la maîtrise de la pensée ! Plus d’abîme creusé entre l’auteur, le spectateur et l’acteur : tous les aspects de l’art se fondent dans l’homogénéité du cercle ouvrier, et l’on entrevoit enfin ce que peut être un théâtre socialiste. Pourtant la scène est encore étroite dans le « Cabaret rouge » : avec les Olympiades ouvrières, l’esprit collectif atteint au style monumental. Ce n’est même pas dans les limites d’un stade que se déroulent les évolutions des sportifs rouges : quel stade pourrait contenir les cent cinquante mille acteurs qui, nous dit Paul Faure (12), ont parcouru les rues de Vienne en un défilé monstre, de sept heures et demie à midi ? On imagine la puissance dramatique de cet océan de drapeaux rouges dont les vagues déferlent sur des milliers et des milliers de corps tendus dans le geste libérateur des exercices gymniques. Représentation ou action ? Il n’est pas un élément artistique dont l’absence puisse être déplorée dans cette puissante synthèse. Voici en quels termes Paul Faure raconte la manifestation qui terminera l’Olympiade ouvrière de Vienne : « Représentez-vous par la pensée d’immenses arènes, quatre ou cinq fois plus grandes que celles de Nîmes. Sur les gradins, 75 à 80.000 personnes, toutes socialistes. Un fameux public, je vous assure. La représentation commence. Comme artistes, quatre mille membres des groupes sportifs Viennois. Au centre du stade, un échafaudage géant au sommet duquel une énorme tête figure le capitalisme, maître provisoire du monde. Ce que fut jadis le travail, regardez : partout des foules actives, des artisans possibles, des paysans et paysannes aux costumes pittoresques, interrompant leur labeur pour des plaisirs sains, des danses, des chants. Le poète a d’ailleurs trop accentué à mon avis la note rose de la vie d’autrefois. Mais c’était nécessaire sans doute, pour le contraste. Les chants sont couverts brusquement par un bruit de ferraille, par d’horribles grincements métalliques. C’est le capitalisme, ses machines et ses manufactures, qui apparaissent. Les foules passent, courbées, esclaves misérables. Là-haut, la grosse et insolente voix du capitalisme les excite, tantôt de ses vaines promesses et tantôt de ses menaces. Les prêtres entonnent sur elles la « vieille chanson » qui berce leurs souffrances. Une voix de femme rappelle des passages de l’évangile, celui-ci notamment : « Laissez venir à moi les petits enfants ». De longues théories d’enfants des deux sexes s’avancent joyeux et confiants : l’usine les happe, comme elle a happé leurs pères, leurs mères. La foule, qui, un moment aux rappels de la parole sainte, s’était redressée, comme soulevée d’espérance, se courbe de nouveau, vaincue : les cieux sont vides et muets, et la plupart des prêtres apportent aux exploiteurs du prolétariat l’appui de leurs forces spirituelles. Tout à coup, dans la prairie, quelques hommes se groupent autour d’un drapeau rouge. Première révolte, première grève, première manifestation de la volonté d’affranchissement ouvrier. Ils appellent les autres qui de loin les regardent, réfractaires et hostiles. Le capitalisme hurle de colère. Des commandements secs, des pas cadencés, ce sont les soldats qui s’avancent pour rétablir l’ordre. Le petit noyau des révoltés est maté et la masse ouvrière, inconsciente dans sa servitude, acclame l’armée de ses maîtres. Puis c’est la guerre, le fer et le feu détruisent les êtres et les choses. Dans tous les pays, les prolétaires marchent et obéissent. Union sacrée! Défense nationale! La paix revient enfin et, innombrables, passent des femmes en deuil, des enfants sans famille. Le travail reprend plus douloureux que jamais. C’est la rationalisation. Plus vite, toujours, encore, clame le capitalisme. Les plus faibles n’y tiennent pas, des hommes fléchissent, tombent sur les genoux, des femmes, des enfants s’abattent, épuisés. Enfin, le grand jour est venu. Une voix forte, lance tout à coup le cri d’union et d’humanité : « Genossen ! Camarades ! » Et ce cri sort de toutes les poitrines, jaillit de tous les coeurs. Genossen ! Genossen ! Camarades ! Camarades ! C’est l’immense clameur du prolétariat socialiste qui brise ses chaînes et, victorieux, fonde un monde nouveau. La nuit est peu à peu venue sans que même on s’en aperçut. Globe de feu dans un ciel sans nuage, la lune éclaire ce grandiose et émouvant spectacle. Autour de moi, empoignés jusqu’aux entrailles, les hommes agitent leurs chapeaux, les femmes leurs mouchoirs. Les quatre mille « artistes », chacun une torche allumée à la main se rangent en colonne, quittent le stade et vont défiler à travers les rues de la grande ville. Vienne-la-Rouge les attend pour les acclamer comme ne le fût jamais aucun empereur dans la capitale des Habsbourgs. » Il faut lire, dans le beau livre de Nina Gourfinkel sur le Théâtre russe contemporain à la suite de quelles vicissitudes l’URSS a fini par saluer dans la manifestation la forme grandiose de l’art révolutionnaire. On eut d’abord un théâtre d’État. Mais le peuple bouda aux creuses virtuosités des scènes « constructivistes » de Meyerhold. Pas davantage il ne se laisse enjôler par la seule vertu des cottes bleues exhibées sur les tréteaux ? Tandis que les professionnels se mettaient en frais pour lui plaire, le peuple, après quelques mauvaises imitations du théâtre consacré, trouvait lui-même la formule de l’art nouveau dans « la théâtralisation de la vie » (13). On ne nous en voudra pas de citer tout au long la description de « la Prise du Palais d’Hiver », une des manifestations les plus prodigieuses de l’art soviétique : « Le spectacle se déroulait sur les lieux mêmes de l’événement, l’immense place du Palais d’Hiver, devant 150.000 spectateurs. La suite des faits fut reconstituée non seulement d’après les données imprimées, mais surtout à l’aide d’enquêtes auprès des témoins oculaires. L’énorme armée des acteurs (6000 personnes environ) comptait dans ses rangs plus d’une centaine de ceux-là même qui, trois ans auparavant, avaient pris part à la fameuse attaque. Des régiments entiers furent mobilisés : matelots, membres du parti, jeunesses communistes (hommes et femmes), signalisateurs, téléphonistes, charpentiers, techniciens, monteurs, architectes, peintres, publicistes, hommes de lettres, artistes des théâtres et des cirques, régisseurs. On mobilisa canons, mitrailleuses, camions, et jusqu’au cuirassé Aurore qui en 1917 avait bombardé les armées du gouvernement provisoire. La direction de la fête incombait à un état-major des plus nombreux. L’action de développait sur plusieurs scènes, et chacune avait son directeur ; des spécialistes s’occupaient des accessoires, depuis les costumes jusqu’à la machinerie, la signalisation, les bruits, etc. Des commissaires de l’armée avaient appris la « partition » et l’enseignaient à leurs escouades, militairement. Il fut assez difficile de résoudre la question de l’éclairage. L’aménagement des herses sur cette place à ciel ouvert eût été trop compliqué, et les projecteurs ne se laissaient pas accommoder aux exigences momentanées du courant électrique ; cependant la succession des feux devait être l’effet le plus saisissant. C’est pourquoi on eut recours à des lampes de 1000 bougies qui aient l’avantage d’éclairer instantanément la scène occupée. Durant l’action, « l’état-major » se trouvait dans une sorte de tour de deux étages, érigée au centre de la place et pourvue de téléphones et d’appareils de signalisation, qui assuraient la liaison avec les scènes. Donc, au centre du vaste espace, la tour du commandement ; d’un côté : le Palais d’Hiver, utilisé dans la deuxième partie de l’action ; du côté opposé : les scènes sous formes de deux estrades communiquant entre elles à l’aide d’un pont. L’une d’elles « blanche », l’autre « rouge ». La « blanche », dans un style de parodie satirique, figurait l’histoire du gouvernement provisoire bourgeois ; l’éclairage et la couleur étaient blancs. Sur l’autre, la rouge, on allait voir la préparation du prolétariat à la lutte. Le spectacle commença à dix heures du soir. La place était plongée dans l’obscurité. Un coup de canon ouvre la solennité. Des feux s’allument sur le pont. Huit musiciens jouent, de leurs instruments de cuivre, la symphonie de Hugues Varlich, qui sert d’illustration aux sentiments du gouvernement provisoire et du prolétariat. Elle se termine par la Marseillaise, aux sons de laquelle s’illumine la plate-forme blanche. Une immense salle de style Empire. Les ministres du gouvernement Provisoire, des drapeaux roses en main, accueillent les fonctionnaires et les financiers. Procession des banquiers, aux sons d’une musique guerrière et aux cris de « La guerre jusqu’au bout ! » Mais voici que retentissent les sirènes des usines et des fabriques. La plate-forme rouge prolétariat s’éclaire. On voit les tuyaux des usines, les contours des machines, on entend le bruit des marteaux. Aux sons encore incertains de l’Internationale, se rassemblent les masses ouvrières. Meeting. Discours. Cris isolés : « Lénine ! Lénine ! » La plate-forme de gauche s’éteint, et celle de droite se rallume. On y sent une incertitude croissante. Un conseil s’y tient. Puis, sur le plateau rouge de nouveau éclairé, une masse d’ouvriers déjà organisés, s’agite. Ainsi, tour à tour, l’attention du public va de la plate-forme de Kerenski à celle de Lénine. Les blancs se désorganisent, et leur Marseillaise sonne toujours plus faux. Par contre, du côté rouge, l’Internationale s’élève et s’amplifie. Lutte sur la passerelle. Des bataillons abandonnent la plate-forme de Kerenski pour celle de Lenine. Les blancs, leurs parapluies ouverts, s’enfuient « à l’étranger ». Derniers défenseurs du gouvernement provisoire : élèves de l’École militaire et bataillons féminins. Les ministres gagnent leur dernier refuge: le Palais d’Hiver. Crevant l’obscurité : s’illuminent alors les cinquante-deux fenêtres de la façade du Palais d’Hiver. A chacune des baies, en ombre chinoises, luttent les combattants. La lumière est tantôt interrompue, tantôt ranimée, et ce vacillement de détresse et d’agonie donne une impression de trouble extrême. Tout l’immense édifice paraît ébranlé. Attaque. Des camions blindés roulent avec fracas ; des mitrailleuses crépitent ; des obus éclatent. Canonnade de l’Aurore. Sirènes, sifflets, vociférations. Enfin, annonçant la victoire, le drapeau rouge éclairé par des projecteurs est hissé au fronton du Palais. Parade aux flambeaux : soldats, artillerie, cavalerie matelots. Aéroplanes. Fusées. Et, entonnée par les acteurs, l’Internationale est reprise par l’immense foule des spectateurs. » (14) Dégageons rapidement les caractéristiques d’une manifestation de cette nature. On ne peut lui contester l’ampleur, le caractère impersonnel, l’action de masse. Aux finesses psychologiques se substitue la schématisation des ensembles. Condamnation du verbiage : « sur ce fond choral le verbe retrouve son importance, saisissant, bouleversant, quand s’élève dans le silence momentanément rétabli, le cri d’une seule voix humaine. » (15) Union intime de l’art et de la vie réelle. Victoire de l’amateurisme sur le professionnalisme. Sans effort, le sujet reparaît. Et de toutes parts, dans des milliers de clubs, à l’école même, s’inspire à la grande source de la révolution sociale, le génie créateur d’un peuple entier. « En 1925, dans un État ruiné et dévasté, la part du lion au budget est attribuée aux travaux d’art, et en première ligne, au théâtre. » (16) Quand le besoin d’agir tourmente ainsi un peuple, c’est à des chefs-d’oeuvre plus durables qu’invinciblement on s’achemine. « Ainsi, en mai 1920, à Leningrad, une foule de 16.000 personnes s’assemble sur le Champ de Mars. Il s’agit de transformer cet immense espace désert en jardin, et cela en un seul jour. Le champ est divisé en lots, les travailleurs en groupes. Des orchestres jouent sans interruption ; plusieurs troupes arrivent in corpore ; des poètes prolétariens récitent leurs poèmes. Vers six heures de l’après-midi, soixante mille acacias et saules sont plantés ». (17) C’est par l’effort d’un peuple que « la France s’est couverte d’une blanche parure d’Églises », et c’est ce même peuple qui maniait la bêche pour la Fête de la Fédération. Quelle est, parmi les plus modestes de nos sections, celle qui n’a pas souhaité de posséder sa maison du peuple ? Certaines l’ont réalisée par la collaboration joyeuse et spontanée des talents les plus divers. Sans doute le jour approche-t-il où le travail cessera d’être l’esclavage du pêché originel pour redevenir, selon le rêve de Proudhon, la production dans la joie. Ce jour-là, ce n’est plus seulement aux Porcelaines de Copenhague, que, ainsi que nous le rapporte Andler, les ouvriers collaboreront librement à une même oeuvre d’art. Plus besoin de « l’Animateur » de l’aristocrate d’Annunzio. Partout où l’on produit, la même se trouve l’art. Ainsi, née aux périodes de crise, de la lutte entre les valeurs du passé et les valeurs de l’avenir, la tragédie n’est que le prélude d’un art plus actif encore. La manifestation appelle le temple.
Notes (12) Paul Faure, Le Populaire du 30 juillet 1931. (13) Nina Gourfinkel, Le Théâtre Russe Contemporain, p. 103. (14) Ibid, 135-138. (15) Ibid, 144. (16) Ibid, p. 110. (17) Ibid. p.139. |
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