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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Guy Mollet Europe 1967
Un mot d’abord sur la date retenue pour cette manifestation. Elle peut paraître peu propice puisque nous sommes en pleines vacances de Pâques. Mais nos camarades du bureau de liaison tenaient leur session à Paris et ils avaient à cœur de respecter au plus près la date anniversaire de la signature des traités.
Qu’ils en soient remerciés et qu’ils ne concluent pas, en nous voyant trop peu nombreux, à un manque d’intérêt dans notre opinion publique pour la cause européenne. En réalité, les cadres, politiques de la gauche française (FGDS) sont plus convaincus que jamais. Dans notre récente campagne électorale, la construction de l’Europe a joué un rôle essentiel. Même ses adversaires d’hier sont obligés d’utiliser le vocabulaire.
Certes, notre combat est rendu plus difficile par la propagande officielle. Dans ce domaine comme en tant d’autres, il nous faut démystifier l’opinion. Par exemple, aucun de vous, ce soir, n’est surpris si l’on rappelle qu’il y a dix ans, le gouvernement que j’avais l’honneur de présider apposait la signature de la France sur les traités de Rome.
Vous n’êtes pas surpris et, pourtant, s’il y avait demain un « sondage » ou un « référendum », il serait à peine étonnant que le mérite en soit attribué à de Gaulle, tant la propagande officielle, la radio et la télé ont travesti la vérité sur cette phase de la construction européenne.
Il y a dix ans, donc, nous signions ces traités. Et, à ce sujet, il me faut encore rectifier une autre contrevérité.
Il est courant d’entendre déclarer en France que le Traité de Marché commun ne contenait que des clauses industrielles, autrement dit qu’il garantissait l’élimination des droits de douanes pour les seuls produits industriels, et que c’est le mérite du gouvernement gaulliste d’avoir “ fait entrer l’agriculture ” dans le marché commun.
Ceux qui croient de telles affirmations ignorent, bien sûr, les dispositions agricoles du Traité qui donnaient aux Institutions européennes, et particulièrement à la Commission du Marché commun, les pouvoirs nécessaires pour établir une législation agricole, dont les fondements et les principes sont solidement établis dans le Traité. C’est sur cette base que notre camarade Mansholt a bâti la politique agricole commune dont nous applaudissons le succès.
En matière de marché commun agricole, comme en bien d’autres domaines, de Gaulle et ses ministres se sont donc contentés de tirer les bénéfices de ce qui avait été entrepris avant eux. Ils ont fait grandir l’enfant que des gouvernements réellement européens leur avaient laissé, mais je crains que, là aussi, il ne se soient comportés en bien mauvaises nourrices. Les communautés se sont développées, les engagements pris en 1957 à la signature du Traité, et notamment en matière agricole, ont été tenus, mais les procédés gaullistes n’ont-ils pas détruit en partie la confiance mutuelle entre les six partenaires et porté de graves atteintes à la volonté de réaliser les objectifs politiques de l’intégration européenne ?
À cet égard, une comparaison s’impose pour moi. Se souvient-on de la manière dont les négociateurs français de 1956 et 1957 ont obtenu l’insertion des clauses agricoles du Traité ? Ces négociateurs - notre camarade Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères de mon gouvernement, Maurice Faure, qui dirigeait la délégation, et son adjoint, notre camarade Robert Marjolin, n’étaient certes pas seuls à demander que le Marché commun s’étendît à l’agriculture, mais peut-être étaient-ils de loin les plus insistants, et il leur a fallu beaucoup de persévérance et de fermeté pour convaincre d’autres partenaires dont les intérêts agricoles étaient assez différents de ceux des Français. Ils y sont pourtant parvenus sans ouvrir de crise dramatique, sans qu’un ultimatum ait été proféré, ou quelque menace orgueilleuse. Ils y sont parvenus grâce à des arguments fondés sur la logique économique et sur la nécessité politique d’associer tous les milieux de nos pays - et pour commencer le monde rural - à la construction européenne, pour qu’à long terme le succès de celle-ci soit assuré.
Qui ne ressentira la différence de style, à dix ans d’intervalle ? Elle illustre une différence de politique. Elle explique pourquoi, si nous nous félicitons aujourd’hui des progrès des Communautés européennes et de leurs résultats, l’incertitude des lendemains et même l’inquiétude viennent assombrir cet anniversaire.
Il ne m’appartient pas de dresser un bilan détaillé de l’exécution des Traités de Rome après neuf ans d’application. Pour l’essentiel, les résultats sont bien connus. J’ai déjà dit que c’est autre chose que ce que nous attendions. Je me bornerai à exprimer deux regrets et à souligner les deux réussites qui me paraissent les plus significatives et les plus encourageantes pour l’avenir.
Le premier regret, nous le partageons tous ici ce soir. C’est que, malgré les efforts de tant de militants et de camarades, si peu de progrès aient été jusqu’ici réalisés dans le sens d’une Europe socialiste.
Les Traités de Rome fournissaient un cadre neutre – et, au cours des dernières années, les forces socialistes étaient sur la défensive dans la plupart de nos pays – même si cela change aujourd’hui ! Les conséquences, nous les savons. Réticence des gouvernements à donner vie à une politique sociale européenne, en dépit de tout l’élan de notre ami Levi-Sandri. Timidité de la Commission dans son action contre les cartels. Progrès bien modestes vers un début de planification européenne. La politique des Communautés est restée classiquement libérale – mais rien n’empêche encore qu’elle soit demain à la mesure des succès du socialisme en Europe.
Le deuxième regret, c’est que les gouvernements n’aient pas voulu ou – pour certains – pas pu rester fidèles à l’esprit qui animait les auteurs du traité. Je peux porter témoignage qu’aucun d’entre eux ne concevait le Traité de Rome comme une fin en soi. Ce ne représentait pour nous tous que les fondations de l’édifice, un pas important, mais un pas seulement vers une Europe politiquement unifiée - c’est-à-dire vers les États-Unis d’Europe.
Par contre, je relève deux succès, qui nous font garder tout appui à l’œuvre, même si nous sommes parfois critiques sur ses modalités. Et d’abord, neuf années de difficultés et de crises ont prouvé la validité et la force du système institutionnel. Malgré une hostilité permanente, malgré des attaques répétées, malgré les abus du Comité des six ministres, les vraies institutions européennes communautaires et, avant tout, les Commissions et le Parlement, ont tenu. Leur utilité n’est plus mise en doute par personne et l’ampleur même des assauts contre elles, a prouvé leur réalité politique.
Pour nous qui voulons que naisse un jour l’Europe politique, ces institutions des Communautés avaient valeur d’expérience. Quelles qu’aient été leurs limites – imposées par les textes – ou leurs imperfections, l’expérience a été assez longue, assez variée, assez éprouvante pour être concluante. Le témoignage des Communautés nous autorise à nous fixer comme prochain objectif réaliste celui qui était le nôtre, il y a dix ans, un Parlement européen élu et un exécutif politique européen responsable devant ce Parlement.
Deuxième constatation et deuxième réconfort : grâce aux institutions, une personnalité européenne authentique commence à se dégager. Sans doute ses manifestations sont-elles encore obscurcies par la technicité, mais l’observateur attentif ne s’y trompe pas. Dans la grande négociation tarifaire internationale qu’est le Kennedy round, la Communauté n’est-elle pas le seul partenaire à la taille des États-Unis ? En même temps, les pays d’Europe orientale lui portent un intérêt croissant – dès maintenant leurs cadres intellectuels et, bientôt, leurs gouvernements. Pour l’Afrique, pour l’Amérique latine, même quand elle irrite, elle est porteuse de grandes espérances. Et enfin, la volonté clairement exprimée par la Grande-Bretagne - si heureusement représentée ici par notre ami de Freitas – d’entrer dans les Communautés, et d’y entrer pour des motifs politiques, est la meilleure preuve de ce succès.
Alors que la coexistence pacifique, demain peut-être la coopération sont devenues perspectives à court terme, l’Europe est encore absente, hélas, mais en faire une réalité politique n’est pas une utopie. Après l’expérience des Communautés, nous sommes sûrs que c’est une possibilité pratique, qu’il dépend de nous de faire aboutir.
Pour nous, socialistes, commémorer un anniversaire n’a d’autre utilité que tirer des enseignements pour une nouvelle avancée. Quelle ligne ces constatations et ces réflexions nous incitent-elles à suivre ?
Du point de vue des Communautés, je vois deux consignes : vigilance devant les dangers toujours présents, renforcement en saisissant la chance nouvelle d’une participation britannique.
De notre point de vue, à nous partis socialistes, nous devons nous demander si notre unité dans la politique et dans l’action a été au niveau de nos aspirations européennes, et rechercher comment gagner plus de cohésion et d’efficacité.
Vigilance des socialistes devant des périls toujours présents. Je ne crois pas que son échec, après la grande crise de juillet 1965, ait fait renoncer de Gaulle à son objectif, détruire les institutions des Communautés, ramener les Communautés à un simple arrangement commercial. Peut-être son nouvel échec, d’un autre ordre, de ces derniers jours, le fera-t-il davantage réfléchir, et n’osera-t-il plus défier ouvertement l’opinion française et l’opinion européenne !
Je peux donner l’assurance aux amis et camarades des partis frères ici représentés que les socialistes et les démocrates français seront attentifs, prêts à se mobiliser et à mobiliser toutes les forces vives de leur pays pour sauvegarder l’intégration européenne. Nous attendons aussi de vous la même fermeté et la même conviction, pour que les principes de la construction européenne soient défendus sans recul par nos partenaires.
Renforcement des Communautés par l’entrée de la Grande-Bretagne. Geoffroy de Freitas pourra confirmer demain à nos camarades du Labour Party que le Parti socialiste SFIO, comme les autres partis du Bureau de Liaison des Six, appuie unanimement l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté telle qu’elle est actuellement.
L’adhésion britannique aux Communautés, c’est pour nous le couronnement de vingt années d’action européenne, dédiée tout ensemble à bâtir de véritables autorités européennes, et à convaincre la Grande-Bretagne, si longtemps réticente, d’accepter ces structures supranationales. Un « oui » net, clair, aux Communautés, un tel acte de confiance des Britanniques éveillerait des échos profonds dans tout le continent. Et demain, entre membres d’une même Communauté, nous verrons ensemble les meilleures solutions à trouver aux problèmes de la Grande-Bretagne.
Cohésion des partis socialistes. Beaucoup a été fait par le Bureau de Liaison et par les groupes socialistes au Parlement européen. Je salue le travail inlassable et de Radoux et de Vals. Des positions communes sont maintenant arrêtées pour, pratiquement, tous les points qui sont traités dans les Communautés et au Parlement, mais c’est là un domaine encore bien limité qui nous permet seulement de mesurer tout ce qui reste à faire.
Approfondissement doctrinal, recherche en commun des réponses socialistes aux problèmes nouveaux de la fin du XXe siècle et de la dimension européenne, intégration de nos partis en vue d’une action unifiée dans des domaines déterminés, telles pourraient être les grandes lignes d’un programme à proposer à nos organes dirigeants et à réaliser ensuite ensemble.
À la fois national et profondément internationaliste, chaque Parti socialiste s’est trouvé à l’aise dans les chemins de l’Europe, et a fourni un concours souvent décisif aux premiers essais des années cinquante et soixante. Aujourd’hui, nous défendons cet acquis, mais nous voulons surtout le dépasser. Pour une Europe plus large, pour une Europe des peuples, c’est à l’opinion, c’est aux Parlements, c’est aux gouvernements et particulièrement aux ministres socialistes que nos partis demandent d’avoir de l’audace, encore de l’audace, toujours plus d’audace…
 

 
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