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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Dupont / PASSET / 411
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L’heure de la bio économie est venue par CLAUDE DUPONT
A propos du livre de René Passet, Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’Histoire. De l’univers magique au tourbillon créateur, Les Liens qui Libèrent, 2011, 950 p, 38 €
Article paru dans L’OURS n°411, septembre-octobre 2011, page 6
René Passet a déjà écrit une dizaine d’ouvrages, dont L’économique et le vivant (1979) et L’illusion néolibérale (2000) sont peut-être les plus connus. Ce qu’il nous donne ici, c’est une véritable somme, dans la belle tradition illustrée par les grands universitaires français, et qui constitue l’aboutissement d’une réflexion mûrie depuis longtemps.
La lecture réclame certes une attention soutenue et certaines pages paraîtront ardues au profane, mais je serais fort surpris qu’un lecteur, aussi ténue soit sa culture scientifique, ne puisse en retirer de riches enseignements sur l’histoire de la pensée humaine, et sur quelques problèmes dont l’actualité nous rappelle l’intérêt fondamental.
Transdisciplinarité L’économie, la philosophie, les mathématiques, la physique… René Passet serait-il donc un nouveau Pic de la Mirandole, qui aurait assimilé l’ensemble des connaissances de son temps ? La formule ferait sourire l’auteur. René Passet est un économiste, qui enseignait à Paris I, et qui a su intégrer une approche transdisciplinaire au sens qu’évoquait le physicien Basarab Nicolescu : « Contrairement à la recherche disciplinaire qui concerne un seul et même niveau de réalité, la transdisciplinarité s’intéresse à la dynamique engendrée par plusieurs niveaux de réalité à la fois. » C’est cette transdisciplinarité que l’auteur avait pratiquée en participant, aux côtés d’Edgard Morin ou de Robert Buron, au Groupe des Dix, auquel il a consacré un livre, ou en collaborant à la revue Transversales, animée par son ami Jacques Robin. C’est ainsi qu’il a pu construire cet ouvrage si riche, qui lui permet de rappeler aux économistes que leur discipline n’est pas une science rigoureusement indépendante, dont les lois objectives et scientifiques s’imposeraient à tous, sans tenir compte d’autres paramètres. En fait, toute civilisation s’est construite à partir de mouvements interdépendants, centrés sur une vision donnée du monde. À chaque étape de l’évolution de la pensée, on retrouve une analogie entre les conceptions philosophiques, les théories physiques, les recherches mathématiques et les doctrines économiques.
De la mécanique à la physique quantique Ainsi, Newton a imposé une représentation horlogère de l’univers. Le monde est gouverné, à tous les niveaux, par les lois mécaniques et immuables de l’attraction universelle. Or, parallèlement, dans le domaine politique, Jean-Jacques Rousseau affirme que chaque homme participe, même pour une part infime, à la formation d’un ordre global et, en économie, l’école classique reflète la conception mécaniste du monde. Les lois économiques ,à l’image de l’horloge, suivent la logique d’un système qui, sous l’effet des forces gravitationnelles, se trouvent constamment ramenées vers l’équilibre.
Au XIXe siècle, à la mécanique succède la thermodynamique, qui opère la conciliation d’une opposition apparente entre l’indéterminisme des composantes d’un système et l’obéissance de l’ensemble du système à des lois déterministes. À l’image d’un univers répétitif succède celle d’une marche à une dégradation irréversible, avec la mise en valeur de la notion d’entropie, qui nous invite à conclure que l’univers s’achemine vers sa mort thermique. Or, on retrouve chez Marx et Engels l’analyse d’un mouvement conduisant le capitalisme vers l’autodestruction en des termes évoquant l’évolution d’un système physique vers l’entropie.
C’est une rupture spectaculaire qui intervient avec la physique quantique, qui promeut une nouvelle conception de la science tout à fait déroutante au regard des conceptions traditionnelles puisque, depuis Galilée et Newton, la physique classique se développait en correspondance avec l’expérience des hommes. Avec la physique quantique, l’explication scientifique quitte le champ des représentations humaines pour s’engager dans celui des constructions mathématiques. Dès lors, un problème se pose à l’économiste. Les instruments mathématiques, qui sont parfaitement adaptés aux échelles extrêmes, peuvent se révéler inadéquats à l’étude des phénomènes économiques, qui, eux se situent à des niveaux intermédiaires où évolue l’existence humaine. Et René Passet pense déceler dans la démarche économique de Keynes une approche semblable à celle du physicien Planck, le père des quantas : les variables objectives et subjectives ne produisent pas leurs résultats indépendamment de leurs interférences, l’homo oeconomicus est une créature aux capacités limitées, soumise à des pulsions, et tout n’est pas quantifiable. Et l’auteur rapporte cette phrase de Keynes condamnant le libéralisme : « Le monde n’est nullement gouverné par la Providence, de manière à faire toujours coïncider l’intérêt personnel avec l’intérêt général. »
Tenir compte de la complexité de l’homme et du monde
Car c’est là que se rejoignent l’historien de la pensée et le militant humaniste. Face au libéralisme, et à sa version moderne du néo libéralisme, qui revient en force à notre époque, alors que la mondialisation de l’économie financière se confond avec la financiarisation de l’économie mondiale, René Passet rappelle avec force que les libéraux commettent l’erreur de transposer directement au plan macro économique les résultats auxquels ils parviennent au plan micro économique. Certes, dans ses passionnantes petites biographies qui émaillent son ouvrage, l’auteur refuse toute facilité polémique et il n’hésite pas à placer Hayek, l’apôtre du néo libéralisme, au rang des grands penseurs du XXe siècle, au niveau de Schumpeter et de Keynes. Mais il lui reproche de n’avoir pas tenu compte de la complexité de l’homme et du monde. En fait, nous nous trouvons confrontés non à une logique univoque mais à une pluralité de logiques. Comme le souligne Prigogine, les processus économiques sont également des processus informationnels et thermodynamiques et on ne peut s’en tenir à une lecture univoque. L’économie est à la recherche d’un nouveau paradigme, et René Passet lance un plaidoyer pour une approche bio économique de la destruction créatrice : « Le temps de la bio économie est venu », nécessitant une démarche refusant l’intégration du vivant dans une logique strictement économique, mais ouvrant l’économie sur la biosphère, dont elle ne constitue qu’un sous-système.
On apprend vraiment beaucoup par cet ouvrage qui témoigne d’une érudition étonnante. Ici, elle n’a rien de desséchant ni d’étouffant. L’histoire des grandes représentations du monde et de l’économie nous est tracée par un homme qui sait opportunément nous rappeler que « le monde des ondes et des photons ne doit pas nous faire oublier le grondement du torrent et le parfum de la rose. » Claude Dupont |
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