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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Bergounioux/Audier/ 418
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Le néo-libéralisme en toute complexité Par ALAIN BERGOUNIOUX
A propos du livre de Serge Audier, Néolibéralisme (s). Une archéologie intellectuelle, Grasset, 2012, 628 p, 27 €
Article paru dans L’OURS n°418 (mai 2012) p. 7
Serge Audier, philosophe et historien des idées, livre une analyse fouillée et détaillée (parfois un peu trop…) de ce que l’on doit entendre par néo-libéralisme. Un livre utile pour tous ceux qui aiment mettre un contenu rigoureux sous les mots.
Des interprétations hâtives, qui peuvent se revendiquer de grands noms, Michel Foucault ou Pierre Bourdieu, ont tendance à livrer une vision globalisante qui fait du « néo-libéralisme » l’idéologie dominante de notre temps, résumant toute la pensée libérale, d’hier et d’aujourd’hui, voulant organiser toutes les sociétés sur le principe de l’égoïsme individuel, et établir partout le gouvernement de la règle. Tout serait alors censé aboutir au néo-libéralisme et y contribuer, comme l’essayiste Jean-Claude Michea, entre beaucoup d’autres, depuis son livre, Impasse Adam Smith, le marque fortement discréditant toute la pensée libérale. Or, c’est là introduire beaucoup de confusion en cédant à la tentation de la simplification et en conduisant à un diagnostic erroné. Les années 1970-1980 ont certes vu une école de pensée libérale l’emporter sur les autres, l’École de Chicago, derrière Milton Friedman, imposant une conception monétariste de l’économie, avec son cortège de réduction des dépenses publiques, de privatisations, de libre-échangisme, etc. Mais, c’est passer sous silence les conflits avec d’autres courants de la pensée libérale. C’est également négliger les rapports complexes, et parfois contradictoires que la pensée libérale noue avec la pensée conservatrice qui n’est pas libérale ni politiquement ni socialement. C’est, surtout, figer une doctrine à un moment donné, en oubliant que beaucoup dépend du contexte et que le libéralisme même économique a une histoire et que, selon les moments et les enjeux, il a pris des figures différentes. Cela n’étonnera pas les lecteurs de L’OURS, qu’il est difficile (oh combien !), de parler du socialisme comme d’une doctrine unifiée et ne varietur dans l’histoire.
De Lippman à Hayek Il en va de même pour le libéralisme et même pour ce que l’on place sous la notion de néo-libéralisme. C’est ce que Serge Audier entend montrer pour arriver à une compréhension plus exacte de notre temps. Le sous-titre de l’ouvrage, Une archéologie intellectuelle, résume bien l’entreprise qui repose sur un travail impressionnant de lectures. L’auteur part du Colloque Lippman, de 1938, qui regroupe des personnalités et des courants désireux de sauver le libéralisme, mis en cause par les conséquences de la crise de 1929, menacé par les fascismes et le communisme. La rénovation du libéralisme – le terme néo-libéralisme apparut à cette date – accepte alors une part d’interventionnisme étatique – même si le collectivisme planificateur est banni. Les divergences sont déjà fortes sur l’acceptation ou non de l’interventionnisme dans l’économie. Il n’est donc pas étonnant que les thèses de Keynes soient au centre de la controverse. La création de la société du Mont Pèlerin, en 1947, va fournir les armes de la contre-offensive libérale face désormais à l’extension de l’Etat-Providence et aux idées social-démocrates. Mais son existence est largement dominée par les divergences et les oppositions entre le courant constitué par Friedrich Hayek, futur prix Nobel d’économie, qui s’était fait connaître par son manifeste libéral, La Route de la servitude, défendant « l’ordre spontané du marché », et le courant, principalement allemand de l’« ordo-libéralisme » autour de Wilhelm Ropke, largement inspirateur de « l’économie sociale de marché », mise en œuvre par la Démocratie chrétienne, et acceptée par la social-démocratie allemande après 1959 et le congrès de Bad-Godesberg. Les classements des différents penseurs, français, italiens, anglais tendent à se faire par rapport à cette dualité. L’évolution est allée cependant vers la prise d’hégémonie, intellectuelle et politique du courant néo-libéral américain (le livre de Milton Friedmann, Capitalisme et Liberté, est de 1962). Le basculement s’opère dans les années 1970, mettant à profit la crise du modèle de l’interventionnisme keynésien jusque-là dominant.
Un paysage complexe Mais, le paysage intellectuel, même aux États-Unis, n’est pas simple : économistes friedmanniens, penseurs libertariens, qui font l’apologie de la liberté absolue, et peuvent rejoindre certains courants de la gauche libertaire, néo-conservateurs qui défendent l’ordre moral et social, néo-libéraux catholiques s’affrontent et n’ont pas la même vision des problèmes de la mondialisation libérale. La traduction politique de ces luttes d’idées et d’influence se traduit par des « synthèses » fragiles, qu’unissent des éléments parfois contradictoires, comme dans le « reaganisme » et le « thatcherisme », mélangeant le libéralisme économique et le conservatisme moral et religieux. Des applications en Europe se sont déclinées dans les années 1990-2000 selon les spécificités nationales.
Ces notations ne résument que les grandes lignes d’une étude riche et précise qui établit de la clarté dans une nébuleuse de courants et de personnalités. Celle-ci trouve une unité souvent plus par les critiques simplificatrices qui ont été faites que par sa propre consistance. L’auteur ne donne pas cependant une conclusion relativiste. Il y a bien des lignes de force qui vont du libéralisme classique aux néo-libéralismes contemporains, mais il y a aussi des contradictions et des ressources dans le premier pour s’opposer aux seconds, particulièrement dans le libéralisme politique et juridique. Ces analyses sont donc également une invitation pour les socialistes à penser la tradition adverse dans sa diversité pour ce qu’il faut en prendre et ce qu’il faut en rejeter. Alain Bergounioux |
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