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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Tracol/Pigent-Tartakowsky/Mouvements sociaux
Plongée dans deux siècles de mobilisations collectives
par MATTHIEU TRACOL

à propos du livre de Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (dir.), Histoire des mouvements sociaux en France : de 1814 à nos jours, La Découverte, 2012, 800 p, 32 €

Article paru dans L’OURS n°428, mai 2013, p. 5.


Rendre compte dans toute leur diversité de près de deux siècles de mouvements sociaux en France : telle est la tâche assignée à cet ouvrage par ses deux directeurs. L’entreprise consiste à « comble[r] une lacune », comme il est précisé dans l’avant-propos. Non pas que l’étude des mouvements sociaux soit un parent pauvre des sciences sociales. Au contraire, elle en est même devenue une branche très dynamique, se caractérisant notamment par une très forte prolixité conceptuelle. Mais le projet éditorial derrière cet ouvrage n’est pas tant le souci de l’innovation épistémologique et de la construction théorique que « la saisie des processus concrets de mobilisations collectives ».


Ce retour historien à la réalité n’est pas pour autant un dédain des avancées proposées depuis plusieurs décennies par les sociologues. Les figures tutélaires de la sociologie des mouvements sociaux, Alain Touraine et Charles Tilly, sont de cette manière scrupuleusement convoquées dès les premières lignes, tandis que le lecteur soucieux d’un regard réflexif sur ce champ d’études trouvera au milieu du livre un très clair et très suggestif chapitre de la sociologue Isabelle Sommier, portant précisément sur la construction historique de la « sociologie de l’action collective ».

Parcours dans le champ du social
Reste que l’essentiel de l’ouvrage consiste bien en une plongée très concrète dans deux siècles de mouvements sociaux, entendus comme « toutes les interventions collectives destinées à transformer les conditions d’existence de leurs acteurs, de contester les hiérarchies ou les relations sociales, et à générer, pour cela, des identités collectives et des sentiments d’appartenance ».

Le résultat en est un ouvrage pour le moins massif qui, s’il n’est pas présenté par ses auteurs comme prétendant à l’exhaustivité (par nature impossible à atteindre), n’en est pas moins une nourriture que le lecteur ne pourra que trouver fort consistante. Ce dernier naviguera ainsi à son gré des barricades parisiennes de 1832 aux « mobilisations informationnelles » de l’ère d’Internet, des révoltes des Canuts lyonnais de la monarchie de Juillet aux grèves de travailleurs sans papiers des années 2000, en passant (parmi bien d’autres) par la Révolution de 1848, les mobilisations catholiques du XXe siècle et le poujadisme. Ce paysage très éclaté est ordonné en quatre grandes parties chronologiques, chacune d’entre elles comportant trois grandes rubriques : les « repères et influences » présentent les cadres structurant et les influences (y compris venues hors de France) jouant pour toute la période considérée, les « temps forts » sont de brèves synthèses retraçant quelques grands moments particulièrement dignes d’être mis en valeur, tandis que les « émergences » s’intéressent plus particulièrement aux nouveautés de chaque séquence chronologique.

L’émergence de l’espace social
Le livre s’ouvre sur la période allant de 1814 aux années 1880, centrée sur « la question sociale en quête d’espaces publics ». Si l’empreinte de la Révolution domine encore les dynamiques politiques et sociales, l’époque voit aussi « l’invention du social », c’est-à-dire la formation des groupes intermédiaires entre l’État et les individus, et dont les relations constituent désormais « l’espace du social ». L’émergence d’une « question sociale », nouveauté issue des profondes transformations économiques que connaît l’hexagone, n’en est pas la moindre des manifestations. C’est une époque d’entre-deux, ou pour reprendre le terme utilisé par Nicolas Bourguinat à propos de la contestation paysanne, un « temps de transition », marqué aussi bien la naissance du mouvement ouvrier français (étudiée par Vincent Robert) et celle de l’Association internationale des travailleurs (Michel Cordillot), que par la longue persistance de « rites protestataires » (enterrements « frondeurs » et banquets politiques étudiés par Emmanuel Fureix), bien adaptés à ces temps où les masses ne sont pas encore conviées en tant que telles à participer à la sphère politique officielle.

Les mouvements sociaux des années 1880 aux années 1930 s’inscrivent alors dans le cadre d’un régime républicain qui a fait du suffrage universel masculin son socle et son ultima ratio. Il se défie donc des formes de contestation trop proches de la démocratie directe et ne passant pas par le filtre des urnes. Les mouvements sociaux ne sont considérés comme acceptables que s’ils sont étroitement circonscrits aux domaines des relations du travail : c’est ainsi qu’il faut comprendre l’autorisation des syndicats de salariés par la loi de 1884. Alors que l’industrialisation gagne du terrain, la « question sociale » reste après la Commune plus que jamais un sujet de préoccupation pour les contemporains, tandis qu’évoluent les formes de la contestation. Le lecteur est par exemple convié ici aussi bien à se plonger dans l’histoire du 1er Mai (Danielle Tartakowsky) que dans celle du boulangisme envisagé « comme mouvement social » (Jean Garrigues), ou bien encore dans les ressorts des mouvements xénophobes de ces années-là (Laurent Dornel).

La centralité ouvrière
L’approche des années 1930 aux années 1970 est centrée sur la dynamique d’« institutionnalisation » qui sous-tend ces décennies durant lesquelles « l’État social » prend véritablement son essor. Cet âge de la société salariale, caractérisé par l’importance de la « centralité ouvrière », est porteur de mouvements sociaux dont le « répertoire d’action », pour parler comme Charles Tilly, est dominé par la grève et la manifestation. Les temps forts choisis par les auteurs de l’ouvrage révèlent bien cette forte structuration, à l’ombre d’un mouvement syndical désormais solidement implanté et reconnu : grèves de 1936 (Antoine Prost), du secteur public en 1953 et des mineurs dix ans plus tard (Michel Pigenet), et bien sûr mouvement de mai-juin 1968 (Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky). Mais les émergences sont dès cette époque multiples, et ne rentrent pas toujours parfaitement dans ce cadre d’analyse : féminisme (Françoise Thébaud), jeunesse (Anne-Marie Sohn), mouvements régionalistes sont parmi d’autres les traces des renouvellements qui sont déjà à l’œuvre.

Enfin, la dernière partie traite des « désaffiliations » et des « recompositions » qui se sont produites depuis les années 1980 : les « temps forts » étudiés se font moins nombreux (deux seulement), alors que les « émergences » se font proliférantes : citons par exemple les mobilisations environnementales (Sylvie Ollitrault et Bruno Villalba), les émeutes urbaines (Michel Kokoreff), ou bien encore les combats des minorités sexuelles (Lilian Mathieu).

Ces quelques lignes se sauraient rendre réellement justice à la richesse et de la diversité de cet ouvrage, qui forme, bien plus qu’un récit linéaire, un kaléidoscope foisonnant. Le lecteur n’y trouvera pas de synthèse globale ; il pourra en revanche se perdre avec délice dans les multiples et courts chapitres de cet épais volume. Le novice ou le curieux y puiseront de quoi s’initier à l’histoire des grands mouvements sociaux de l’histoire contemporaine de la France, en commençant par les incontournables (de 1848 à mai 1968, en passant par la Commune et le Front populaire), tandis que le lecteur plus averti trouvera de multiples sujets de réflexion susceptibles de dynamiser l’étude des mobilisations collectives. Pour tous, ce livre constitue déjà un incontournable livre de référence.

Matthieu Tracol
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