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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bordes/Chausson 347
Rebonjour à la classe ouvrière !
par GUY BORDES

Bernard Masséra et Daniel Grazon
Chausson : une dignité ouvrière
Préface de Michel Verret
Éditions Syllepse 2004 395 p 20 e

Voici un livre d’une richesse exceptionnelle. Près de 400 pages consacrées à la dignité ouvrière en ces temps de chômage organisé, de délocalisations, de désindustrialisation signifiant destruction du tissu, du patrimoine et de la culture qui étaient ceux de la classe ouvrière. Tout cela sous l’égide de ce que la langue de bois des médias et des politiques nomme la mondialisation et qui n’est autre que le bon vieux capitalisme devenu planétaire dans sa phase financière.

Ce livre est exemplaire en tous points. Commençons par la fin, une fois n’est pas coutume. Graphiques en annexe indiquant l’évolution des effectifs, des votes, des accidents du travail, table des sigles, très utiles, bibliographie correspondant à chaque chapitre, filmographie, index des noms, voilà un travail éditorial des plus sérieux qui facilite et complète la lecture du texte. Avec un concept original : le trombinoscope des 44 témoins dont les interventions constituent la matière du livre, le texte interstitiel des auteurs servant de liaison et d’explication de la politique générale de groupe.
Le traitement de cette iconographie constitue toute une symbolique : chaque photographie de ces témoins, qui furent aussi ceux qui ont mené la lutte syndicale, est décomposée en trois clichés identiques côte à côte, le premier à peine visible, le second encore flou mais reconnaissable, le troisième normalement net. Ainsi, la classe ouvrière sort des limbes iconographiques pour paraître au grand jour.
Qui se soucie des milliers d’anonymes qui œuvrent dans l’ombre des ateliers pour fabriquer les objets de notre vie quotidienne et de notre confort ? La presse se fait l’écho de ce qui brille et fait rêver. Pour rester dans le domaine des usines Chausson, celui de l’automobile, qui n’a entendu parler du génie et des frasques d’André Citroën, flambeur flamboyant et illuminateur de la Tour Eiffel ? Ou de la fabuleuse carrière des frères Renault, jusque et y compris la fin nauséeuse du dernier du nom, propriétaire de l’usine, objet d’une nationalisation-sanction à la libération ? Mais ceux qui ont contribué à leur fortune n’ont pas droit à leur image sur papier glacé. Ils n’intéressent personne. Ici, ils sortent du brouillard anonyme, de l’ombre rassurante pour ceux qui ne veulent pas voir. Ils en sortent parce qu’ils ont lutté. Grâce en soit rendue à ce livre.

Une conscience ouvrière
S’il est un titre justifié, c’est celui de cet ouvrage, tant le mot " dignité " revient souvent dans les propos des intervenants, et aussi par l’histoire qu’il relate, celle, exemplaire, des luttes ouvrières. Car si Chausson fut un modèle pour l’excellence de ses produits industriels (les Américains démontent le radiateur d’une voiture " pour voir comment il était fait "), la qualité de son travail et son esprit d’entreprise qui en firent, en plus de ses propres productions, le partenaire indispensable de toute l’industrie automobile française, les travailleurs qui firent fonctionner ces usines furent de leur côté à la pointe du mouvement ouvrier et de la conscience de classe, comme si, dialectiquement, une excellence en engendrait une autre. Cette élite ouvrière n’a cessé de lutter, pour la reconnaissance de ses droits, pour obtenir la part qui lui revenait du travail commun, pour sa dignité. Luttes offensives dans les périodes fastes, comme en témoignent les chapitres sur la conquête des œuvres sociales, l’accès à la culture et au logement. Luttes de solidarité au moment de la guerre d’Espagne, de la Résistance, des conflits coloniaux et, durant les " trente glorieuses ", de l’arrivée massive de la main-d’œuvre immigrée. Luttes défensives enfin, lors de la liquidation de l’entreprise par ses actionnaires, les plus dures, les plus déterminées, les plus unitaires quand, hélas, il était déjà trop tard. Aux trente glorieuses succédaient les deux décennies honteuses qui ont amené à la liquidation totale d’un des plus beaux fleurons de l’industrie française. Rien n’en est oublié, ni la volonté délibérée du patronat, essentiellement Renault et Peugeot, maîtres du jeu, ni l’impuissance complice ou passive des gouvernements de droite ou de gauche, ni la rage désespérée des futurs liquidés.
Mais il est une autre dimension de ce livre fait à la fois d’investigation historique et de témoignages vivants, livre d’histoire et de mémoire. Chausson, c’est un condensé de l’histoire industrielle de la France dans ses composantes technique, sociologique, syndicale et politique. On peut y suivre l’évolution de la classe ouvrière dans sa structuration sociale et politique. L’emprise du PCF, la lutte, bien avant mai 68, contre les trotskistes et les " titistes ", le peu d’impact de FO mais l’influence grandissante de la CFDT après la déconfessionalisation, jusqu’à devenir le moteur principal, avec une lucidité remarquable dont témoignent ses militants, des dernières luttes contre la casse et pour les meilleurs plans sociaux, si on peut oser cet oxymore.

La fin de l’emprise communiste
Ce qui frappe dans cette histoire édifiante, c’est l’illustration qu’elle donne du déclin du Parti communiste. Hégémonique après la guerre, le PC a laissé filer cette influence d’une manière qui paraîtrait incompréhensible si on ne tenait pas compte de son sectarisme (l’inénarrable campagne contre le " fasciste Tito ", la lutte inutile contre le " gauchisme "…, ni de son souci constant d’inféoder la classe ouvrière aux mots d’ordre staliniens, ni de l’ignorance crasse qu’il a montrée de l’évolution en profondeur des mentalités. Ce dernier point est illustré par la montée de la CFDT et l’influence croissante des idéaux libertaires des années 1960-1970. Ainsi sont contredites les thèses qui lient exclusivement le déclin du PC à la liquidation de la classe ouvrière traditionnelle par une économie de type nouveau. Chez Chausson, le PC perd une classe ouvrière qui existe encore. Par son éveil politique et sa conscience élevée, la classe ouvrière des usines Chausson a montré l’impossible greffe du stalinisme sur le prolétariat français. Elle a fonctionné comme un microcosme de la sociologie nationale.
Reste que communistes ou d’extrême gauche, cégétistes ou autres syndicalistes, métropolitains ou immigrés, les ouvriers de Chausson ont été, durant presque un siècle, exemplaires à tous points de vue, emblématiques. Tout comme ce livre qui est consacré à leur épopée.
Guy Bordes
 

 
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