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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Candar/Histoire des gauches
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Vos aventures, peuples des gauches entretien avec Gilles Candar
La publication en septembre 2004 de L’Histoire des gauches en France marque une étape dans l’historiographie française. Depuis des années, le travail pionnier de René Rémond sur La Droite (puis Les Droites) en France (Aubier, 1954 et 1982), renouvelé par L’Histoire des droites en France en trois volumes sous la direction de Jean-François Sirinelli (Gallimard, 1992) laissait une sorte de terrain à bâtir de l’autre côté de l’échiquier. Deux historiens bien connus de nos lecteurs, Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, ont réuni plus de 60 collaborateurs pour relever ce pari.
Histoire des gauches en France est une œuvre foisonnante. Ces index (hommes, partis, notions) permettent au lecteur qui aurait pu être rebuté par une lecture au long cours, de s’en saisir en fonction de ses centres d’intérêt (Droits de l’homme, société, mœurs, parti socialiste, Europe…). Sylvain Boulouque nous livrera son compte rendu de lecture dans un prochain numéro de Recherche socialiste. Pour l’heure, GILLES CANDAR a accepté de répondre à nos premières questions.
Deux volumes chronologiques, plus de soixante auteurs – de génération, de sensibilités, d’approches et de personnalités différentes – pour quelques quatre-vingts études : l’entreprise est colossale. Quel principe de lecture vous a guidé dans l’adoption du plan d’ensemble et dans le choix des contributeurs ?
GILLES CANDAR : Notre principe de lecture a été la curiosité. Nous sommes partis du constat que la vie politique française s’organisait depuis plus de deux siècles autour de la confrontation permanente entre une droite et une gauche. Loin de s’atténuer, ce clivage se renforce avec le temps. Essentiellement parlementaire au XIXe siècle, il devient une réalité sociale au XXe siècle. Né en France, il se répand et s’universalise progressivement. Comment s’est-il organisé ? Sur quelles bases ? Comment a-t-il évolué et quelles ont été les grandes questions politiques qu’il a rencontrées et qui l’ont remué, transformé et façonné ? Pour répondre à ces questions, nous avons souhaité une équipe diverse. À forte dominante historienne, mais nous avons été heureux d’intégrer des spécialistes d’autres disciplines : politologues, philosophes, sociologues, littéraires... De grands universitaires habitués aux vastes synthèses, mais aussi des chercheurs plus jeunes « aux premiers travaux prometteurs »... Des collègues venant d’institutions ou de lieux de recherche différents, aux formations, voire, pour autant que nous le sachions ou pouvions le deviner, aux sympathies civiques diverses... Bien sûr, nous avons été heureux de toutes les collaborations souhaitées, nous aurions aimé en avoir d’autres, faire plus et mieux, plus nous ouvrir notamment, tant pour les auteurs que pour les sujets retenus, à des apports internationaux... Il faut « penser internationalement » aimait déjà à dire Jean Longuet après George Bernard Shaw... Ce n’est pas si simple à faire, mais de plus en plus nécessaire et souhaitable pour autant.
Pourquoi un tel projet n’arrive-t-il qu’aujourd’hui ?
GILLES CANDAR : Nous ne sommes pas tout à fait les premiers... Le livre de Jean Touchard a été, est et sera utilisé par plusieurs générations d’enseignants et d’étudiants. Mais il concernait le seul XXe siècle et lui-même indiquait qu’il s’agissait d’une œuvre provisoire, conçue à partir de ses cours à Sciences Po. Mais les entreprises comparables à la nôtre se sont plutôt intéressées à une famille politique particulière, communiste, socialiste, ou autre... Penser l’histoire de la gauche dans sa totalité paraissait à la fois ardu, en raison de l’extrême diversité de l’ensemble, téméraire puisque la consistance de la notion prêtait à discussion, et contestable pour certains car cela privilégiait une identité commune de gauche qu’on pouvait ne pas souhaiter mettre en valeur. Un film des années 1970, La Villegiatura, de Marco Leto, montrait ainsi pendant la période fasciste, dans les îles où étaient assignés à résidence ou déportés les antifascistes, un héros militant refuser le cours proposé par un idéaliste professeur qui voulait parler de la droite et de la gauche : la droite, la gauche et la gauche de classe lui paraissaient une répartition préférable. Cette Histoire des gauches ne prétend pas départager les deux protagonistes du film, d’où d’ailleurs le pluriel utilisé, mais veut essayer de poser historiquement le problème. C’est déjà quelque chose, et c’est certainement un signe des temps... La notion de gauche s’impose dans le débat public, en France et dans le monde. Elle est même utilisée aux États-Unis où elle a servi au président Bush pour stigmatiser son adversaire. D’un autre côté, ce sont les qualificatifs de socialiste ou de communiste, jadis prédominants, qui semblent plus incertains : les partis communistes ont fondé un parti de la gauche européenne et les socialistes et les sociaux-démocrates cherchent eux aussi à se définir par une appartenance de gauche, comme en Italie où a été retenue l’appellation de « démocrates de gauche » pour le principal parti de l’opposition, membre de l’Internationale socialiste.
Adolphe Thiers, « l’écraseur de la Commune », homme de gauche, l’assertion choquera certainement des lecteurs de gauche. Votre « histoire » montre bien que la gauche bouge, joue et rejoue son histoire. L’appartenance au camp du « mouvement » aux XIXe et XXe siècles obéit à des critères qui combinent combats, convictions et valeurs communes, des histoires d’hommes, de temps… Quels en seraient, d’hier à aujourd’hui, certains dénominateurs communs ?
GILLES CANDAR : Thiers est de gauche au début de sa vie, quand il est libéral et s’oppose aux Ultras de la Restauration. Il l’est à la fin de sa vie quand il fait le choix de la République (conservatrice et bourgeoise, certes...). Il anime d’ailleurs alors le « centre gauche » ! Le peuple de Paris ne s’y trompe pas, lui faisant des funérailles républicaines six ans seulement après la Semaine sanglante. Voyez les frères Bonnier voulant participer à cette manifestation bien que vivant près de Lille... Cela ne rend pas le personnage plus sympathique, mais c’est la logique de sa situation historique et de ses choix. Difficile de faire de l’histoire en évitant les contradictions et les paradoxes... La question de la définition de valeurs et de caractéristiques communes à la gauche est intéressante et doit être posée. Alain Corbin pour le XIXe siècle et Jean-Jacques Becker pour le XXe siècle se sont efforcés d’y répondre. Mais je ne crois pas que l’on puisse fixer des réponses valables pour tous et pour toutes les époques. Personnellement, il me semble que le point fondamental de partage entre gauche et droite se joue sur l’égalité des êtres humains. C’était la thèse de Norberto Bobbio, philosophe et sénateur italien mort récemment, et personnellement je souscris à ses analyses. La droite tend à accepter les inégalités, à les considérer comme naturelles ou inévitables, la gauche à ne pas s’y résoudre, à vouloir les faire au moins reculer. Cela détermine toujours un camp du progrès... et un qui ne l’est pas... même si les identifier n’est pas toujours aisé.
Et les socialistes dans cette histoire ! Après avoir été à l’extrême gauche, ils sont aujourd’hui à gauche (même si certains leur contestent cette place). Leur parti constitue la - seule - force d’alternance à la droite. Mais les partis font-ils encore le lien à gauche ?
GILLES CANDAR : Rien n’est acquis pour toujours en histoire ! Je ne sais évidemment pas de quoi sera faite la gauche du XXIe siècle, ni comment elle évoluera. Je crois incontestable qu’actuellement les notions de droite et de gauche se sont imposées et se généralisent de plus en plus, qu’elles constituent sans doute l’axe le plus durable des confrontations politiques et des choix de société et de culture, en France et dans le monde. Ici et maintenant, comme on disait du temps de François Mitterrand, le Parti socialiste est le pivot, l’axe central de la gauche politique, qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite (ou un peu des deux, selon l’heure, les sujets...). Cela peut changer, cela dépend de lui... et des autres. Pour le reste, chacun peut observer que la vie politique connaît une situation de crise : manque de confiance, abstentions, militantismes en recul. Cela concerne aussi bien d’autres formes d’engagements collectifs. Mais comme forces d’organisation, de préparation aux compétitions électorales, de gestions nationales et locales, les partis politiques me semblent continuer à jouer leur rôle. Les éventuels mouvements sociaux ou alternatifs peuvent chercher des débouchés politiques : s’ils les trouvent, c’est qu’ils auront constitué des « nouveaux partis », avec sans doute quelques changements de présentation ou d’expression, mais sur le fond cela sera toujours des « partis », c’est-à-dire des organisations collectives constituées pour proposer des programmes ou des orientations, exercer des pouvoirs ou des responsabilités, dont la compétition est arbitrée en démocratie par des élections qui respectent les formes collectivement déterminées. L’histoire continue... propos recueillis par Frédéric Cépède
Histoire des gauches en France, Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), La Découverte 2004 vol. 1 XIXe siècle 588 p 32 e vol. 2 XXe siècle 780 p 37 e |
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