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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Bordes Brémand 386
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INSTRUIRE L’ENFANT : EXPERIMENTATIONS SOCIALISTES, par Guy Bordes
Nathalie Brémand, Les socialismes et l’enfance. Expérimentation et utopie (1830-1870), PUR, Presses universitaires de Rennes, 2008, 365 p, 20 €
Article paru dans L’OURS n°386 mars 2009, p. 5
Avec cet important ouvrage qui étudie les réflexions et actions des socialistes en direction de la jeunesse au cœur du XIXe siècle , Nathalie Brémand explore un terrain dont les historiens spécialisés soupçonnaient l’ampleur, mais qui n’était jusqu’à maintenant que peu défriché.
Le titre porte « les socialismes ». En cela il annonce déjà la richesse du sujet. En effet, pour un esprit libre, la notion généralement utilisée pour cette période de « socialisme pré-marxiste » est particulièrement exaspérante. Elle signifie qu’il y aurait un socialisme, LE socialisme par excellence, celui imposé dès le milieu du XIXe siècle par Marx, ses épigones, ses zélateurs et ses expérimentateurs parmi lesquels il convient de rappeler que figurent des personnages aussi rafraîchissants que Lénine, Staline, Mao, Castro et Kim Jong Il. Bon gré mal gré la référence se fait toujours par rapport au marxisme, il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les débats qu’a connus le Parti socialiste SFIO, le Parti né à Épinay s’étant, lui, vite bien gardé de s’encombrer de débats de ce genre. Pré-marxiste, ça connote préhistoire, quand l’humanité ne savait ni lire ni écrire, une période intéressante certes, mais obscure, primitive. Sans méconnaître la valeur et le rôle historique de la pensée de Marx, dont bien des avatars du capitalisme justifient, y compris dans la crise actuelle, la pertinence et la justesse, il est toujours urgent en revanche de réhabiliter les penseurs socialistes qui l’ont précédé pour puiser dans cette immense boîte à outils sociale les idées qui pourraient de nouveau être utiles(1).
Richesse donc de cette pensée socialiste qui s’épanouit dès le début du siècle, initiée par le babouvisme, illustrée par Fourier, Saint-Simon, Leroux, Cabet, Considérant, pour ne citer que les plus connus et qui a vu d’intéressants essais d’application en situation réelle. Dans les écrits théoriques et dans les matériaux d’archives et de témoignages qu’ont laissé ces tentatives, Nathalie Brémand a choisi de mettre en valeur tout ce qui concernait ce qu’on appelle de nos jours la « politique de la jeunesse » de ces novateurs pour lesquels cet aspect du socialisme était primordial. Pour ces utopistes en marche vers un monde nouveau, la condition sine qua non de la transformation des rapports sociaux résidait dans l’éducation des individus, d’où l’importance accordée dans leurs écrits et dans la vie phalanstérienne au rapport à l’enfant et à la manière de l’instruire.
Penser l’instruction et expérimenter La première partie du livre expose les idées développées dans les écrits théoriques ou programmatiques. On verra la diversité des points de vue, notamment en ce qui concerne la spécialisation plus ou moins hâtive dans la formation des jeunes, la place accordée aux filles, le souci, compréhensible si on se rapporte aux conditions de vie de l’époque, de rentabiliser le travail d’apprentissage au profit de la communauté, l’enfant payant en quelque sorte le prix de son éducation et, de manière générale, le fait que ces idées sont considérablement préfiguratives, l’exigence de laïcité, obligation et gratuité annonçant longtemps à l’avance les lois de la IIIe République. On voit par là que les auteurs socialistes français du XIXe siècle étaient à la fois de leurs temps et en avance sur leur temps.
Particulièrement novatrice est la deuxième partie de cet ouvrage qui étudie les différentes mises en œuvres de ces idées. On sait que le siècle a été riche en tentatives de colonies, communautés, phalanstères en France, en Algérie, au Brésil et aux États-Unis. Nathalie Brémand les passe toutes en revue. On constate que nombreux ont été les échecs, et que pour certains le temps a même manqué pour réaliser le projet d’une véritable école. Mais deux expériences ont connu une durée suffisante pour être significatives, les communautés icariennes aux États-Unis, sous l’impulsion de Cabet, et le Familistère de Guise de Jean-Baptiste Godin. Nathalie Brémand leur consacre une longue étude qui met en valeur le sérieux, ou pour employer un douteux néologisme la « faisabilité » de ces projets, qui n’étaient utopiques ni au sens propre (ils ont trouvé un lieu) ni au sens couramment et péjorativement employé du terme : ils étaient réalisables et furent réalisés. Au vu de ce travail, les documents ne manquent pas, et ils ont été exploités. On retiendra particulièrement le long chapitre consacré au familistère de Guise et la minutie dans l’étude de son organisation sociale : règles de vie, architecture, fonctionnement de la communauté adulte et ses rapports avec le monde de l’enfance dont la prise en charge dès le berceau est intégrée dans la structure sociale totale du familistère : nourricerie, pouponnat, bambinat, première école, enseignement technique(2) sont sous le regard constant de la communauté. La publicité des résultats scolaires (récompenses et blâmes), les fêtes épiphaniques à l’usage du monde interne au familistère et du monde extérieur révèlent un souci de transparence absolue. Le rôle de l’architecture dans cette mise en scène au service du regard est fondamental et on perçoit au passage chez Brémand un lointain écho des leçons de Foucault.
Un héritage important Quand on réfléchit aux avatars du système éducatif de Jules Ferry à nos jours, on constate que les idées des socialistes dits utopiques – qui furent les seuls socialistes jusqu’à la Première internationale – en contenaient tous les germes. Évolution vers la féminisation, enseignement technique, statut de l’enseignant et notamment soin apporté à celui de l’instituteur, base du système, et jusqu’aux fêtes laïques organisées par les associations liées à l’enseignement : le XXe siècle a fonctionné comme une projection du siècle précédent. Je viens de recevoir le bulletin annuel de l’Association des anciens élèves de mon lycée. La partie historique est consacrée à la Fête fédérale des écoles laïques du 16 mai 1965, son programme, son organisation temporelle et spatiale (avec plan du site) : on se croirait au Familistère de Guise un siècle plus tôt.
Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? Quelle sera l’école post-darcosienne ? On peut tout craindre. En attendant, il faut lire Nathalie Brémand. Ça peut donner des idées.
Guy Bordes
(1) J’ai déjà eu l’occasion de traiter de ce sujet, toujours d’actualité (L’OURS 314 janvier 2002, notre article sur le phalanstère de Cîteaux. (2) S’il s’en éloigne souvent, Godin est ici conforme aux préceptes de Fourier. | Retourner au sommaire de ce n° |
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