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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Duclert / République
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LA REPUBLIQUE ET SON HISTOIRE par Vincent Duclert
Le compte rendu critique et volontiers polémique que Nicolas Roussellier a proposé du Dictionnaire critique de la République, dirigé par Vincent Duclert et Christophe Prochasson (Flammarion, 2002, 1341 p) , dans nos colonnes (L’OURS, n° 326, mars 2003) a suscité des réactions. Si Vincent Duclert, directement interpellé, exerce ici son " retour sur critique ", les questions soulevées par cette controverse dépassent le cadre offert par notre journal mensuel et se poursuivront donc dans notre revue, Recherche socialiste.
Puisque d’amicales pressions de la rédaction de L’OURS, elles-mêmes relayées par l’intérêt qu’aurait suscité chez des confrères historiens et politistes le long compte rendu de Nicolas Roussellier sur le Dictionnaire critique de la République, et parce que ce spécialiste du parlementarisme français de l’entre-deux-guerres, en revenant sur ce qu’il estime être les fortes insuffisances conceptuelles de l’ouvrage comme sa propension rédhibitoire au disparate ou à l’éclectisme, juge le travail en propre des deux directeurs, je réponds personnellement à l’invitation.
Répondre ou ne pas répondre ? Je le fais aussi parce que je crois que ce texte, au-delà de ses faiblesses nombreuses, au-delà de ses présupposés éducatifs bien archaïques (" Qui aime bien châtie bien "), témoigne d’une inquiétude pour l’avenir d’une certaine idée de la République et pour la possibilité de continuer à en faire l’histoire. Cette inquiétude, je la partage. Au point d’avoir choisi avec Christophe Prochasson et cent quinze auteurs de réaliser un Dictionnaire critique de la République. J’aurais pu aussi ne pas vouloir répondre à Nicolas Roussellier en considérant que son compte rendu n’appelait pas de suite puisque, loin de relever de ce genre historiographique nécessaire, il s’apparente surtout à une ébauche d’essai personnel sur la République et son concept en histoire : soit un texte prenant appui sur la parution du Dictionnaire mais n’en faisant pas la critique et en offrant une image déformée. Il ne s’agit pas de contester à l’auteur son droit absolu de signifier son désaccord avec une œuvre historienne, mais encore faut-il le faire dans les règles communes qui permettent de travailler ensemble et que maîtrise tout étudiant en sciences sociales un peu avancé dans son cursus. Avant de constater l’échec du Dictionnaire, car il s’agit bien de cela pour N. Roussellier si l’on excepte le satisfecit accordé à la dimension érudite de l’ouvrage (et encore), il conviendrait en effet de rendre compte de son projet intellectuel et des formes de sa réalisation. Le lecteur du compte rendu ignore ainsi que ce Dictionnaire possède une organisation en six parties thématiques, qu’il s’ouvre sur une présentation et une longue introduction plus démonstratives que les fréquents " avant-propos " descriptifs des ouvrages collectifs, qu’il présente un prologue exposant les cinq Républiques et un épilogue distinguant quarante figures de républicains et de républicaines, qu’il envisage une conclusion jouant sur des échelles différentes, du plus familier au plus lointain, qu’il ordonne une iconographie traitée comme une écriture supplémentaire de l’objet, qu’il impose à chaque article de couvrir les deux siècles de référence républicaine de la France, qu’il envisage partiellement le républicanisme hors de France et hors de l’époque contemporaine, qu’il réunit des spécialistes très largement issus de l’histoire politique et sociale de la France contemporaine, etc. Ces caractères originaux du Dictionnaire critique de la République, Nicolas Roussellier ne les a pas vus, ou en tout cas il ne les a pas restitués. A lire son compte rendu, on en déduirait au contraire que le livre en question se réduit à une juxtaposition d’articles sans projet historiographique, sans volonté de définir l’objet, sans possibilité de transmettre un savoir qui, tout en restant scientifique, aurait une perspective civique. En lieu et place d’un " vaste bilan critique de la République à un moment où, pour nos contemporains, il serait le plus nécessaire ", on ne ferait que plonger le lecteur dans " le désarroi " (ou dans l’érudition, ce qui reviendrait au même). En d’autres termes, on aurait fait passer pour un dictionnaire critique de la République quelque chose qui n’en aurait que le nom, où la complaisance à l’égard des " chemins de traverse " et des " scoops médiatiques ", véritable " fuite en avant dans une folklorisation de l’histoire républicaine ", aurait fait perdre l’essentiel, " l’histoire de la République comme problème politique et social ". Et Nicolas Roussellier d’expliquer les enjeux de ce problème, de formuler " trois questions pour un débat ". Elles interrogent la République dans son rapport aux libertés individuelles et collectives, dans sa relation avec la démocratie sociale, dans sa confrontation avec le reste du monde, colonies comprises, des face-à-face éminemment révélateurs et des questions " parfois abordées dans certains articles mais trop rapidement ".
Comment écrire l’histoire de la République ? Ces questions posées nous semblent suffisamment importantes pour que nous allions au-delà des insuffisances du compte rendu et que nous tentions de comprendre l’écart que pose son auteur entre les questions nécessaires et le projet du dictionnaire. La manière d’écrire l’histoire de la République – car c’est bien cela dont il s’agit – a dû vraisemblablement surprendre puisque ces " questions pour un débat ", nous ne les avons pas évitées, nous les avons envisagées, non pas " dans certains articles ", mais comme objet même de nombreuses contributions, depuis celles qui traitent de la République des catholiques ou de la République des ouvriers, de la République des indigènes ou de la République des nomades, jusqu’à celles qui exposent la République et son empire, l’administration coloniale, la patrie et la nation, en passant par les corps intermédiaires qui constituent une expérience de démocratie sociale à la française, ou l’école, le service public, autant d’apports qui répondent aux objections de Roussellier. Certes, ses formulations propres ne se retrouvent pas nécessairement dans les articles qui assument de telles interrogations, mais l’exigence est bien présente, visant à ancrer la connaissance de la République sur un savoir politique. Contrairement à ce qu’il a voulu croire au point d’oublier les vérifications qui s’imposent, le Dictionnaire critique de la République n’a pas échangé l’essentiel contre le raffinement. Il affirme au contraire sa vocation à exister en histoire politique. Or, c’est cette histoire politique qui pose indiscutablement problème à Nicolas Roussellier et qui explique qu’il digère mal le Dictionnaire. Considérer avec dédain que les aspects culturels de l’histoire de la République n’appartiennent pas à cette histoire puisqu’ils interdisent de traiter des " grands sujets “classiques” " pourrait laisser croire à une vision bien étroite du politique. En effet, l’apprentissage de la République dans le temps est souvent passé par ces choses de la vie et de la cité, qui ont ensuite produit les grands engagements. Des travaux d’historiens nous ont appris à ne pas ignorer ces échelles et ces problématiques. De la même manière, le point de vue qui ne verrait dans l’étude des pages noires qu’une stratégie pour masquer la place des engagements perdus méconnaîtrait la possibilité de faire de cette histoire le principe même d’un engagement par le savoir, comme cela a été tenté pour l’événement du 21 avril 2002, dans le Dictionnaire et plus récemment. La question centrale est bien de savoir comment l’histoire politique peut progresser, et dans quelle mesure les recherches dont elles relèvent peuvent contribuer à redonner du sens à notre démocratie. Nous avons considéré l’entreprise du Dictionnaire dans cette perspective, comme nous avions envisagé de la même manière un travail d’histoire politique de l’État auquel Nicolas Roussellier avait activement participé, il y a trois ans de cela1. On l’avait bien sûr sollicité pour le Dictionnaire critique de la République. Il nous fait part aujourd’hui de sa vive inquiétude devant ce qu’il considère comme étant l’écriture d’une nouvelle page de l’égarement des valeurs politiques. Il aurait été certes plus simple que nous travaillions une nouvelle fois ensemble. Nous le souhaitions et, comme nous venons de la dire, nos exigences rencontraient les siennes. Pour les assumer, nous avons voulu y mettre les moyens et ne pas enfermer la République dans une histoire qui en restreint le sens et en limite la connaissance. Manifestement, cette méthode n’est pas la sienne. Cela ne veut pas dire que nous devions être tenus pour responsables de la difficulté de l’historiographie dont il est peu ou prou l’héritier à se saisir des " grandes questions philosophiques, politiques et sociales qui sont posées aussi bien à notre passé qu’à notre présent ". Le Dictionnaire est aussi comptable de cela. Il se veut critique d’une histoire politique qui, tenant à distance la philosophie, l’anthropologie ou la science politique, s’éloigne du vaste bilan critique qu’exige la République. L’inquiétude serait plutôt là. Il ne faut donc pas tout confondre. Merci quand même, Nicolas ! Vincent Duclert (1) Marc Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française 1875-1945, La Découverte, 2000. |
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