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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Chapuis/Merleau-Ponty 411
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Merleau Ponty par ROBERT CHAPUIS
A propos du livre de Ronald Bonan, Merleau-Ponty, Les Belles Lettres 2011 236 p 19 € Article paru dans L’OURS n°411, septembre-octobre 2011, page 1
On aurait pu fêter le centenaire de Maurice Merleau-Ponty comme celui de Claude Lévi-Strauss. Ils sont nés en effet la même année. Mais l’auteur de La phénoménologie de la perception est mort à 53 ans, le 3 mai 1961, ce qui constitue quand même un anniversaire en cette année 2011. Quoiqu’il en soit, on redécouvre aujourd’hui ce philosophe original, longtemps éclipsé par Sartre, mais peut-être plus en phase que lui avec notre époque.
Ronald Bonan, dans une collection sur « les figures du savoir », n’a pas écrit une biographie, mais une introduction à la pensée de Merleau-Ponty, une pensée en mouvement, inaboutie, mais pour cette raison même intéressante, car elle appelle à être relancée, prolongée dans plusieurs directions, de l’esthétique à la politique en passant par les divers avatars de la philosophie. Il ne s’agit pas ici de résumer l’ouvrage (il vaut mieux le lire !), mais de dégager quelques pistes de réflexion.
La « chair » du monde « Connaître, c’est d’abord sentir ». Merleau-Ponty part de la perception immédiate pour fonder sa pensée : on s’éloigne du dualisme platonicien pour prendre le monde tel qu’il est. Mais on ne le saisit qu’à travers le langage dont la structure est telle que « la signification jaillit de l’opposition des signifiants, de leur différence dans une chaîne de signes, et non d’un rapport univoque et direct de chaque signifiant avec une entité positive ». L’auteur rappelle combien la lecture des œuvres de Ferdinand de Saussure a marqué toute une époque, avec Lévi-Strauss, Lacan, Foucault et pas seulement Merleau-Ponty. Mais celui-ci ne s’arrête pas là. Ronald Bonan insiste sur le fait que pour lui « toute vérité est toujours à conquérir et à inventer, en aucun cas à découvrir comme si elle pouvait préexister à nos visées ». Dans une première partie, intitulée « l’homme phénoménal », c’est-à-dire selon la phénoménologie, Merleau-Ponty apparaît comme le philosophe du « sensible » et de « l’intersubjectivité », puisque le sujet n’existe qu’à travers les relations qu’il entretient. Refusant l’empirisme, comme l’idéalisme, l’auteur de La structure du comportement (1942) affirme « l’autonomie du monde », un monde qui est un corps, une « chair […] où se mêlent inexorablement nature et culture, objectivité et subjectivité ». C’est cet entrelacement qui a un sens. On pense ici à Edgar Morin et à sa pensée de la complexité. Merleau-Ponty, lui, est présenté à travers quatre « figures de la chair ». D’abord, l’œuvre d’art, l’esthétique, comme on peut le voir à travers Cézanne, c’est le passage obligé de toute philosophie, car l’art est par excellence un langage du sensible. En second lieu, le monde et son histoire, tout ce qui est lié à la politique, à la science, à l’économie. On pense ici à Castoriadis, l’auteur de L’Institution imaginaire de la société. Ensuite vient le rapport entre culture et nature et, enfin, l’articulation avec le « logos », fondement de la compréhension du monde.
Au-delà de la dialectique
L’actualité de Merleau-Ponty apparaît bien dans la seconde « figure » quand il dit par exemple : « une société n’est pas le temple des valeurs-idoles qui figurent au fronton de ses monuments ou dans ses textes constitutionnels, elle vaut ce que valent en elle les relations de l’homme avec l’homme ». Il reconnaît l’importance du travail qui structure une société et reprend cette part du marxisme qui met en relation étroite théorie et « praxis », mais il récuse sa philosophie de l’histoire, qui débouche sur un usage dangereux de l’utopie. Dans Les aventures de la dialectique (1955), il écrit : « Cette idée d’une purification de l’histoire, d’un régime sans inertie, sans hasard et sans risques, est le reflet inversé de notre angoisse et de notre solitude ».
Merleau-Ponty a fondé en 1945 Les Temps Modernes avec Sartre, Nizan, Simone de Beauvoir et autres. Il a partagé l’aventure de Socialisme et Barbarie (avec Claude Lefort). Mais en 1953, il ne peut plus suivre Sartre dans son rapprochement avec les communistes. Il ne s’agit pas d’une posture morale, mais d’un refus du dogmatisme. Il y a une éthique de l’intersubjectivité, une nécessaire reconnaissance de l’autre par lequel chacun est en lui-même constitué. Avec ses cours au Collège de France durant les années 50, à travers son dernier ouvrage Le Visible et l’invisible qu’il n’a pu éditer lui-même, il développe une réflexion sur la Nature, qui est faite d’une « chair », d’une relation entre l’objectif et le subjectif qu’il faut prendre comme telle. D’où l’importance de la science, de l’effort pour pénétrer cette Nature et lui inventer du sens. Merleau-Ponty a beaucoup fait pour rapprocher la philosophie et les sciences de l’homme. Il a dégagé aussi la nécessaire ambiguïté de l’action politique, telle que la préconisait Machiavel. Non qu’il s’agisse de tromper l’opinion sur ses intentions, mais de reconnaître que l’action, si elle veut éviter le risque totalitaire ou le conservatisme béat, entrelace des tendances différentes, voire contradictoires. Pour Merleau-Ponty on peut être social et libéral, à condition de maintenir la balance égale… Cet ouvrage est une invitation à une lecture plus approfondie de l’œuvre d’un philosophe qui, comme Camus, a été confronté aux ravages produits par des systèmes totalitaires fondés sur une pensée unique, une utopie subjective et un asservissement de l’histoire à leurs propres fins. Il n’a pu l’achever, mais il nous donne quelques clés pour pouvoir penser un autre avenir à la dimension d’une humanité plus consciente d’elle-même.
Robert Chapuis
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