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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
CheavandierJouninBâtiment383
DES GARS DU BATIMENT
Par Christian Chevandier
L’OURS n°383 décembre 2008

A propos du livre de Nicolas Jounin, Chantier interdit au public. Enquête parmi les ouvriers du bâtiment, La Découverte, 200, 275 p, 23 €

Cet ouvrage est né d’un paradoxe : la « pénurie de main-d’œuvre » dont souffrirait le bâtiment, leitmotiv des organisations patronales du secteur, qui amène à se demander pourquoi elles ne font rien pour y mettre un terme. En fait, elles se gardent bien de créer des conditions de travail correctes et d’attribuer des salaires satisfaisants.

Cette pénurie n’en est dès lors pas une, qui nécessite et permet de recruter des immigrés, pas toujours en situation légale, d’autant plus corvéables. Le lecteur plonge alors dans un monde ignoré de nombre de nos contemporains, celui de ces hommes qui se blessent eux-mêmes pour pouvoir « échapper un moment au travail ». Il découvre que les grandes boîtes du bâtiment sollicitent plusieurs agences d’intérim, si bien « qu’il n’est pas rare de retrouver dix employeurs différents pour un chantier de cinquante ouvriers ». Et, comme pour les entreprises d’intérim du bâtiment, le mot « manœuvre » se traduit par « Malien », c’est une étude de l’immigration qui nous est ici proposée, dans un ouvrage fondé sur une enquête approfondie qui a également permis l’écriture d’une thèse de sociologie (disponible sur http://tel.archives-ouvertes.fr).

Des bras innombrables
Ainsi que l’explique un responsable des ressources humaines d’une de ces entreprises, « on trouvera toujours des bras pour faire ce travail ». Parmi ces bras, il y eut ceux de Nicolas Jounin, un peu différents des autres puisque le doctorant était praticien de l’observation participante au point de se faire embaucher comme manœuvre puis « ferrailleur » après une formation, notamment par des boîtes d’intérim, poussant même la participation jusqu’à ce qu’une de ces agences comparaisse en correctionnelle (ce qui nous vaut une très belle note de bas de page, que n’auraient pas reniée les grands ancêtres de la sociologie américaine, sur l’éthique de l’observation participante). Rassurons vite le lecteur : l’entreprise fut relaxée, dans la logique des suites inexistantes de la plupart des interventions de l’inspection du travail. Le rapport de force joue communément en la faveur de ces agences : « Si elles sont peu sanctionnées, alors qu’elles sont hautement sanctionnables, c’est que les salariés de l’intérim, les victimes de l’illégalité sont souvent […] socialement affaiblis ». L’auteur insiste sur le fait que leur rentabilité et leur impunité sont à mettre en rapport avec la vulnérabilité de ces travailleurs. Une fragilité qui ne relève d’ailleurs pas toujours de l’illégalité, et le recours à la sous-traitance internationale, notamment à des sociétés polonaises, permet en France une exploitation de la main-d’œuvre dans les conditions du pays d’origine de certains de ces ouvriers. Cela n’empêche pas, selon un processus mis en évidence par Nicolas Jounin, la prolifération de situations irrégulières, le ferraillage étant ainsi, par externalisation systématique, devenu un métier d’étrangers, d’étrangers précaires voire sans-papiers. Le risque est grand, si rien n’est fait, que ces comportements délinquants (par exemple celui qui consiste à ne pas faire signer de contrat, ou seulement en fin de mission, afin de pouvoir renvoyer l’intérimaire lorsque les entreprises le désirent, et elles le désirent souvent) ne deviennent pionniers, les rapports de travail mis en œuvre par les agences d’intérim du bâtiment s’étant disséminés et banalisés.

Les ouvrages de la série « Enquêtes de terrain » des « Textes à l’appui » des éditions La Découverte sont tous passionnants. Celui-ci n’est pas une exception et amène le lecteur à porter un regard différent sur le monde qui l’entoure, à le penser avec plus de rigueur. L’habitude s’est prise depuis trois décennies de ne plus appréhender les immigrés en fonction des raisons de leur présence en France et de les livrer à des approches essentialisantes quand bien même, précise Nicolas Jounin, « la grille de lecture ethnique informe et déforme dans le même temps ». Ce livre nous rappelle, car il en est communément besoin, qu’il s’agit avant tout d’une population laborieuse, la plus exploitée dans ce pays, et que le patronat l’apprécie à cette aune.

Christian Chevandier
 

 
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