ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Binot/1914 atrocités/354
Les atrocités allemandes de 1914 : entre mythe et réalité, par JEAN-MARC BINOT

a/s de John Horne et Alain Kramer, 1914, les atrocités allemandes, Tallandier, 2005, 640 p, 32 e

Si le nom d’Oradour-sur-Glane résonne toujours sinistrement aux oreilles de nos contemporains, il n’en est sûrement pas de même pour les villages martyrs belges de 1914, lieux emblématiques des « atrocités » perpétrés par les armées allemandes lors de l’invasion. Deux historiens irlandais ont mené une investigation impressionnante sur la réalité et les mythes d’un phénomène qui fit couler beaucoup d’encre pendant et après le premier conflit mondial, et dont les propagandes de chaque camp s’emparèrent.

L’affaire débute en août dès les premiers jours de combat lorsque l’armée allemande fait fi de la neutralité belge, et traverse le royaume d’Albert 1er pour encercler les troupes franco-britanniques. Durant tout le mois, les troupes du Kaiser vont se distinguer en exécutant des civils, brûlant et rasant villes et villages. Du 4 au 7, la 34e brigade s’illustre en exterminant au moins 117 personnes. Le 16 août, la cité de Visé est mise à sac. Un journaliste hollandais relate comment la soldatesque, ivre, a ravagé la commune. 23 personnes sont tuées, plus de 600 déportées en Allemagne. Le 21 à Ardenne, une répression aveugle fait au moins 260 victimes. À Tamines, le même jour 383 morts. La mise à sac de Louvain reste l’épisode le plus connu avec 248 morts, 1/6e de la cité détruite et l’incendie de la bibliothèque universitaire comprenant 300 000 volumes. À Dinant, les troupes procèdent, sur ordre semble-t-il, à l’élimination systématique de la population : 675 tués parmi lesquels des femmes et des enfants. La ville en flammes ressemble à une « vision médiévale de l’enfer » et l’air est surchargé de l’odeur des corps en décomposition. Des scènes identiques se déroulent au Luxembourg où des civils sont brûlés vifs dans leurs habitations, et en France : à Mont-Saint-Martin près de Longwy, les Allemands abattent 16 habitants, dont 2 enfants de 10 et 4 ans. Les auteurs ont ainsi estimé, pour les « incidents majeurs », le montant des victimes à plus de 5000 personnes (Belges pour les 4/5e).

Écraser la résistance belge
Certes, on s’est accusé mutuellement sur tous les fronts. Les Allemands pointent du doigt la brutalité des Cosaques, les Serbes se plaignent des Autrichiens qui violent les femmes. Mais l’ampleur est différente et les preuves de ces exactions restent minces à la différence du cas qui nous préoccupe. Les deux chercheurs ont donc voulu comprendre les causes de telles horreurs. Les facteurs, on s’en doute, sont multiples. Mais on peut mettre au premier plan l’agacement de l’état-major allemand devant l’attitude belge. Le plan Schlieffen est en effet fondé sur la rapidité d’action : il faut écraser la France en moins de deux mois pour pouvoir se retourner contre la Russie tsariste. Dès lors, la résistance belge irrite : Berlin considère cette autodéfense « illégitime ». Rapidement les autorités allemandes, nourries par le souvenir de 1870, trouvent un bouc émissaire idéal, la population qui participerait aux combats. Premier mythe relayé par la presse d’outre-Rhin qui se fait l’écho d’embuscades inventées de toutes pièces. Le grand quartier général avertit que tout civil considéré comme franc-tireur serait abattu sans autre forme de procès selon la loi martiale. Des consignes appliquées au pied de la lettre par des troupes inexpérimentées, accablées par la chaleur de l’été 14. Au moindre problème, on fusille et on brûle d’autant que des rumeurs, générées par qui ?, accusent aussi les unités franco-belges d’achever les blessés, de couper nez, oreilles et sexe. La nervosité est telle que l’origine des incidents est parfois due à des Allemands qui se tirent entre eux ! À Lunéville, les officiers admettent que leurs hommes ont paniqué, écornant l’image de soldats modèles et disciplinés. Bilan : 19 tués, 70 maisons détruites. Le 10 août à Blâmont, un soldat allemand en bras de chemise est abattu par un officier qui l’a pris pour un franc-tireur. Une « grande peur » frappe donc l’armée allemande, gavée de bobards et terrifiée par un ennemi invisible et imaginaire. Un cas, selon les auteurs, d’autosuggestion collective sur une échelle massive.
Les représailles sont même l’occasion de régler les rancoeurs contre des peuples jugés inférieurs, le Belge « immature » et le Français « dégénéré », et de rallumer la guerre de religion : les prêtres catholiques soupçonnés d’exciter la population sont l’objet de soins particuliers…

Mythes et mémoire
Une fois connus les méfaits, la France émet une série de protestations auprès des signataires de la convention de La Haye, tandis que les Belges constituent une commission chargée de rassembler les preuves. Mais c’est surtout la propagande alliée qui s’empare du sujet : le « Hun », personnification du Mal et nouvel Attila, est désormais dépeint sous la forme d’une brute arrogante qui va jusqu’à mutiler et couper les mains des enfants. « Allégorie de l’invasion, de l’ennemi en un mot de la guerre », expliquent John Horne et Alain Kramer. Les socialistes n’échappent pas à la controverse. Lorsque L’Humanité, début octobre, déclare que les atrocités ne font aucun doute, le SPD répond que l’armée allemande ne peut être qualifiée de barbare puisqu’un grand nombre de soldats allemands sont sociaux-démocrates...
Le souvenir des « atrocités » de 1914, solidement ancré dans la mémoire collective des gens du Nord aura une influence notable sur le comportement des civils en 1940 qui préfèreront s’enfuir, engorgeant les routes et provoquant un immense exode. Se rappelant de l’épisode, Adolf Hitler, avait pourtant demandé en personne à ses troupes de « faire preuve de retenue dans leur comportement vis-à-vis des populations des territoires ennemis occupés ». Conséquence de quoi, les Français seront nombreux, au début de l’occupation, à être surpris par l’attitude courtoise des envahisseurs.
Jean-Marc Binot
Revenir au sommaire de ce numéro
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris