
|
|
Nous joindre | L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris | Tél. 01 45 55 08 60 | Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique : | e-mail : info@lours.org |
|
|
|
 |
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
|
Chevandier / Thompson / 438
|
Du droit et de la justice dans les soci�t�s par CHRISTIAN CHEVANDIER
� propos de Edward P. Thompson, La guerre des for�ts. Luttes sociales dans l�Angleterre du XVIIIe si�cle, traduit de l�anglais par Christophe Jacquet et pr�sent� par Philippe Minard, La D�couverte 2014, 197 p, 15 �
Article paru dans L�OURS 438, mai 2014, page 1
� Certains th�oriciens d�aujourd�hui sont incapables de consid�rer le droit autrement que sous la forme de �flics� chargeant des fumeurs de cannabis ou des manifestants inoffensifs. Je n�ai pas autorit� s�agissant du XXe si�cle, mais au XVIIIe si�cle les choses �taient plus complexes que cela. �
Ces lignes, d�un des plus grands intellectuels anglais du XXe si�cle, insistent sur le risque d�aller avec des id�es simples vers l�Angleterre compliqu�e des ann�es 1720. Dans cet ouvrage, in�dit en fran�ais et qui est la version abr�g�e d�un livre qui date de 1975, Edward P. Thompson (1924-1993), en Angleterre un des grands noms avec Eric Hobsbawm de l�histoire dans la deuxi�me moiti� du XXe si�cle, nous explique le contexte et les enjeux de l�adoption en 1723 par le Parlement anglais du Black Act, une loi qui pr�voit la pendaison pour les braconniers qui s�en prennent aux cerfs des for�ts royales et des parcs seigneuriaux. Au demeurant, c�est plus par son adoption m�me que par son application, restreinte tant elle semblait disproportionn�e, que cette loi, en vigueur pendant un peu plus d�un si�cle, m�rite attention.
La r�volte des Black L�on pense d�s que l�on commence la lecture de ce livre aux articles du jeune Marx sur la loi de 1841 de la Di�te rh�nane qui r�prime l�abattage de bois vert, m�me la cueillette des myrtilles voire le ramassage de bois mort1, mais l�auteur n�y fait qu�une allusion marginale. Il tient � son sujet, le d�cortique et ne se laisse que rarement distraire. C�est en mettant en perspective la r�sistance paysanne � une conception de plus en plus en plus exclusive de la propri�t�, celle qui se manifeste dans les enclosures comme dans la contestation des droits coutumiers comme la vaine p�ture, que l�auteur nous permet de comprendre cet �pisode. Il montre des acteurs de milieux sociaux diff�rents, comme ce � roi Jean � (� un Robin des bois en chair et en os �) qui m�ne un moment la r�volte des Black qui sont loin d��tre des paysans pauvres : l�un d�eux, trait� de � mis�rable �, �te son gant pour montrer la main d�un homme qui n�a jamais travaill� et confondre ainsi son contradicteur. Plus que d�une r�volte ponctuelle, il est un des acteurs d�actions r�currentes dont le temps, plus que la r�pression, vinrent � bout.
Ce livre est une histoire de pratiques juridiques, mais une histoire sociale, politique aussi, du droit, qui seule peut en donner les clefs de compr�hension, une philosophie du droit qui ne se limite pas � l�herm�neutique et se trouve, en d�finitive, �tre une r�flexion sur la pratique juridique. Mais c�est surtout un livre d�histoire, d�une v�ritable histoire �conomique et sociale de la for�t, surprenante sous la plume d�un historien de ce temps pour quiconque n�est pas familier des travaux d�E.P. Thompson : � � Windsor, le cerf (ou cerf �laphe) et le chevreuil ne cohabitaient pas plus heureusement que l��cureuil roux et l��cureuil gris. Les deux esp�ces tendaient � garder leurs distances et en avaient besoin pour leur subsistance. � Bien des passages renvoient aux d�bats politiques des ann�es o� il a �t� �crit. Celui, par exemple, dans lequel l�auteur refuse l�amalgame entre les diff�rentes morts : � Les victimes de la variole ne t�moignent que des balbutiements de la science m�dicale et de la mis�re dont elles �taient accabl�es ; les victimes de la potence, en revanche, t�moignent d�une l�gislation consciente et �labor�e, justifi�e au nom d�une valeur humaine universelle. � Le lecteur, peut-�tre surpris par la r�f�rence � Gandhi et Nehru (dont l�on apprend dans la pr�face que c�est sans doute ce dernier qui a appris au futur historien � jouer au cricket) tant sont dissemblables l�Angleterre moderne et l�Inde contemporaine, doit conna�tre l�histoire personnelle de l�historien, fils d�un ancien missionnaire m�thodiste au Bengale tr�s li� � Tagore, grand nom de la vie intellectuelle et politique de l�Inde du XXe si�cle.
Un parcours d�historien Tout comme la longue pr�face de Fran�ois Jarrige est un atout de la r��dition en poche de La Formation de la classe ouvri�re anglaise, la grande �uvre de Thompson, l�important (un peu plus d�un tiers de l�ensemble) appareil critique que l�on doit � Philippe Minard contribue � l�int�r�t de cette �dition. Huit pages de pr�sentation d�abord correspondent � une biographie d�un auteur qui certes �volua un moment au sein d�un monde acad�mique tr�s traditionnel mais dont l�on apprend par un de ses �tudiants qu�il s�agissait aussi d�un � manuel � : � Il savait manier la hache et le marteau. � Ce sont bien s�r l�engagement de Thompson, au Parti communiste d�abord dont il s��loigne, comme tant d�hommes et de femmes de sa g�n�ration, apr�s l��crasement de la r�volte hongroise de 1956 pour s�investir dans la New Left, plus proche au demeurant de Nicos Poulantzas que des trotskistes. Sa plong�e dans les archives et son travail minutieux ne l�ont pas emp�ch�, bien au contraire, de participer aux pol�miques du temps, croisant le fer notamment avec Louis Althusser. Dans une derni�re partie, le texte de Thompson est relu par Philippe Minard � la lumi�re notamment des travaux r�cents ; il fait le point historiographique et politique pour qu�on en per�oive mieux les apports et insiste sur des �l�ments essentiels dans les travaux de Thompson, nous explique ainsi � quel point � coutume � y est un mot-clef.
Une nouvelle collection Cet ouvrage inaugure une collection au joli nom, � Futurs ant�rieurs �, qui va proposer des textes essentiels en sciences sociales, en histoire notamment, mais demeur�s peu ou mal connus du fait de l�absence de publication en langue fran�aise. Bien au-del� du cercle des historiens, la diffusion de ce texte publi� la m�me ann�e que Surveiller et punir pourra, par la prise en compte � la revendication m�me � de la complexit� du probl�me, nourrir la r�flexion de tous ceux qui s�int�ressent au syst�me judiciaire.
Christian Chevandier
(1) Les trois articles de l�automne 1842 viennent d��tre r��dit�s en fran�ais : Karl Marx,La loi sur les vols de bois, Paris, Editions des Malassis, 2013.
|
|
|
|
|
© L'OURS - 12 cit� Malesherbes 75009 Paris
|
|