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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Dupont/Maurel/Poperen 352
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Les paradoxes de Jean Poperen par CLAUDE DUPONT
Emmanuel Maurel, Jean Poperen, une vie à gauche, L’Encyclopédie du socialisme, 2005, 126 p, 7,5 e
On peut admirer Emmanuel Maurel pour avoir su, avec une telle concision, retracer l’essentiel de la personnalité et de la démarche de Jean Poperen. Il évoque bien cette pudeur que l’on prenait pour de la froideur, cette réserve que l’on confondait avec de la distance, cette rigidité d’apparence qui pouvait laisser place à une réelle cordialité. Un homme de contraste et un homme de paradoxes.
C’est ainsi que ce marxiste rigoureux est devenu un partisan inconditionnel de la Démocratie. Emmanuel Maurel parle même d’une « conversion à l’Atlantisme », parce que pour lui la place de la France est d’être aux côtés des démocraties occidentales, et donc des États-Unis. C’est aussi une des raisons de son soutien indéfectible à Israël, seule démocratie du Moyen-Orient. C’est ainsi que cet anti rocardien constant se révèle un ministre particulièrement loyal avec Michel Rocard, un ministre de Relations avec le parlement apprécié des parlementaires de droite qui s’attendaient à rencontrer un sectaire. Ainsi, ce dirigeant que l’on a souvent vu comme une incarnation de l’appareil – et qui n’a jamais voulu sacrifier à une ascension dans l’appareil une indépendance d’esprit intraitable –, cet homme qui consacra son existence à l’action politique fut plus que tout autre ouvert à la culture, et prit l’initiative de somptueuses rencontres entre intellectuels de haut niveau qui le tenaient pour un pair.
Le front de classe En tout cas, pour notre génération – celle qui eut vingt ans à l’avènement de la Ve République –, notre rencontre avec le poperénisme fut une chance. Après Suez, Budapest puis Alger, il était rare au Quartier latin de croiser un étudiant socialiste et nos camarades communistes se cramponnaient pour survivre à une incertaine « ligne italienne ». Vint alors le temps du PSU et de bruyants groupuscules ; le temps de la répudiation de l’ancien, de l’apologie de la « nouvelleté », du mythe de la table rase. Forces nouvelles en sociologie, nouvelles solidarités à l’international, stratégie nouvelle avec, par exemple, l’affirmation d’une UNEF qui, à peine sortie politiquement des limbes, se voyait propulsée à la tête des luttes anticolonialistes. Le grand mérite de Jean Poperen fut de nous aider à éviter le piège de l’atomisation, de l’émiettement, à nous avertir que si l’on pouvait contester à la classe ouvrière un rôle exclusif de guide suprême, ce n’était pas pour le transférer à de prétendues couches nouvelles et que la mise en avant du Front de classe permettait de recoudre le tissu déchiré du salariat ; à nous rappeler aussi que malgré leurs erreurs ou leurs reniements, les formations traditionnelles de la gauche avaient su tracer les sillons qui restaient les axes du regroupement populaire et qu’en gardant pour cap l’union de la gauche, la victoire était inéluctable, malgré d’inévitables coups de tabac et des moments de grand tangage : « Il y a du Foch dans cet homme-là en ces temps d’incertitude », s’étonnera Alain Besson. Nous reçumes de lui des enseignements qu’il ne serait pas inutiles de rappeler aujourd’hui : qu’il ne fallait pas confondre le consensus, conglomérat mou de malentendus, avec le compromis, composante essentielle de la lutte des classes ; que la prise du pouvoir n’était efficace que si elle s’opérait après l’établissement d’un rapport de forces favorable sur le terrain social. Et surtout, ne jamais oublier que, certes, ce sont les indécis entre la droite et la gauche qui, à chaque fois, font la décision : « Mais ce n’est pas en courant après qu’on les rattrape ». Ces éléments instables se décident en fonction non des programmes mais des rapports de force. On comprend donc que les attaques de Rocard contre « l’archaïsme » de Mitterrand furent particulièrement mal accueillies par un Poperen horrifié de voir les paillettes de la modernité estomper les lignes de force du champ politique, hostile au dévoiement du social dans le sociétal. À ceux qui se gaussent de sa ringardise de vieux laïque, il a beau jeu de rétorquer qu’à notre époque, la laïcité reste une excellente grille de lecture qu’elle seule permettrait de prévenir les dérives communautaristes – qu’il dénonce dès le début des années 1980 – d’une immigration mal assumée, de réagir avec force et éclat à l’affaire des voiles de Creil, après la malheureuse indécision du ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin.
Tactique et stratégie Il est vrai que Jean Poperen, si lucide dans ses analyses sur le comportement des électeurs, se trompa beaucoup plus sur celui des adhérents de ses partis successifs. En 1967, quand la coalition des ténors du PSU fut, à la surprise générale, défaite par les autonomistes conduits par Michel Rocard ; comme en 1990, au congrès de Rennes, quand il surestima la capacité, ou l’envie, des militants de s’en tenir aux textes d’orientation pour se prononcer. Mais c’est l’erreur tactique du congrès – fondateur – d’Épinay qui est le plus souvent évoquée. C’est que Jean Poperen croit trop exclusivement à la force intangible de la ligne politique alors que, dans la vie d’un parti, on ne peut pas évacuer l’aspect émotionnel et subjectif et, en l’occurrence, il n’avait pas perçu l’ampleur du rejet de Guy Mollet de la part des nouveaux arrivants. En tout cas, ce faux pas laissera des traces. Mais, comme le souligne Emmanuel Maurel, les socialistes français étant moins séduits de nos jours par son intelligence stratégique et sa capacité théoricienne, « on retient plus ses erreurs tactiques que ses formidables intuitions ». Sans doute Jean Poperen pensait aussi à lui-même quand il écrivait à propos de cette belle figure du socialisme que fut Colette Audry : « Ce que certains, pour s’absoudre eux-mêmes appellent intransigeance, nous l’appelons nous la fermeté, la fidélité à ce que l’on croit juste. Mais il est vrai, tant les accommodements, les facilités, les petitesses sont aujourd’hui dans la manière d’être, que cette vertu étonne parce qu’elle détonne ». Claude Dupont
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