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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Barboni/Lefebvre/Roger398
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| Liberté, égalité, fraternité et délibération Par Thierry Barboni
A propos de Rémi Lefebvre et Antoine Roger (dir.), Les partis politiques à l’épreuve des procédures délibératives, Presses universitaires de Rennes, 2010, 217 p, 18 €
Article par dans L’OURS n°398 mai 2010, p. 3 |
| Les dernières élections régionales n’ont pas seulement vu la gauche triompher à nouveau. L’autre grand vainqueur de ce scrutin est l’abstention. Cette désaffection n’est qu’un nouvel avatar d’une longue série qui illustre toutes les difficultés qu’éprouvent désormais les responsables politiques, et avec eux leurs partis, à faire valoir leur légitimité représentative. Et c’est bien pour rompre avec cette spirale que les institutions publiques comme les partis recourent désormais à la « démocratie délibérative », c’est-à-dire qu’ils font participer les citoyens à l’élaboration des décisions qu’ils prennent.
Le premier mérite de l’ouvrage dirigé par Rémi Lefebvre et Antoine Roger est d’offrir une grille de lecture pour appréhender cette nouvelle forme de démocratie : si l’expression démocratie délibérative est désormais intuitivement compréhensible par chacun (moins peut-être que celle de démocratie participative), les réalités qu’elle recouvre sont multiples et ses modes d’expression divers. Ce livre propose donc une mise en perspective théorique qui permet de saisir toute la plasticité de cette nouvelle pratique politique. À tel point qu’il convient bien de parler de procédures délibératives au pluriel, plutôt que de démocratie délibérative au singulier.
Délibérer et/ou communiquer ? Les auteurs insistent d’abord sur « l’impératif délibératif » qui a saisi le champ politique : des concertations publiques pour les projets d’infrastructures aux modes d’élaboration des programmes politiques, la délibération est partout. Ils proposent donc d’en déconstruire les usages, pour en apprécier les effets pratiques et discursifs. Derrière la soumission apparente à cet impératif, il convient en effet d’interroger les effets pratiques des transformations dans les relations gouvernants-gouvernés qui en sont attendues : s’agit-il de permettre aux citoyens de concurrencer les représentants dans leurs prérogatives ? Cherche-t-on simplement à susciter l’adhésion vis-à-vis de l’action publique en en assurant la co-production ? S’agit-il enfin d’un outil de « dépolitisation » ?
Les différentes contributions de l’ouvrage s’attachent à répondre à ces questions en scrutant les procédures délibératives dans les institutions politiques, tout autant au sein de l’UE (Sabine Saurruger) qu’à l’échelon municipal (Stéphanie Wojcik) ainsi que là où les « conflits d’intérêt » entre dirigeants et adhérents sont les plus immédiatement perceptibles, c'est-à-dire dans les partis politiques. Elles insistent toutes sur un point précis : la mise en place des procédures délibératives n’est jamais neutre, même quand elle se réalise au nom de la neutralité et de l’apolitisme (ce moyen de lutter contre la « figure-repoussoir » du « politique soumis à ses propres intérêts partisans »).
Autrement dit, ces procédures s’inscrivent dans un contexte particulier qui va, à chaque fois, en déterminer la forme. Dans les débats publics, elles vont par exemple obliger la plupart des acteurs politiques à occulter les signes qui les distinguent en tant que tels, sans quoi leur parole risquerait d’être déconsidérée. Règle à laquelle ces acteurs se plient… sauf dans le cas des Verts : la délibération, fondée sur une approche technicienne de la décision politique, appelle des prises de paroles expertes, ce à quoi les Verts, ce parti « pas comme les autres », peuvent prétendre (Sandrine Rui). De même, le débat en ligne à l’échelon municipal est structuré par « une logique consensuelle au détriment d’une logique d’expression des antagonismes », de telle sorte que les élus eux-mêmes s’investissent peu dans ces outils et que « se multiplient dans l’espace local des bulles de contestation sous formes de sites et de blogs » (Stéphanie Wojcik).
La « bonne décision » La délibération doit donc gommer l’expression des antagonismes politiques au nom d’une quête de la « bonne décision ». Elle doit aussi permettre au citoyen de participer à l’élaboration de celle-ci. La deuxième partie du livre s’attache alors à distinguer au sein des partis les mécanismes introduits pour permettre aux adhérents de « décider ». Elle illustre d’exemples comment la conversion à la délibération pose problème, notamment parce qu’elle remet en cause des modes de fonctionnement et des routines bien établies et donc, par là, des intérêts constitués. Se pose alors crûment la question de savoir comment délibérer et pourquoi ? Il est important de constater que l’idée de démocratie délibérative joue comme un condensateur de sens qui en occulte la portée : magie du verbe, le simple fait d’affirmer que chacun va pouvoir délibérer (ou participer) suffit souvent, quand les dispositifs pratiques de la délibération ne sont que rarement interrogés dans leur efficacité. Un exemple des plus frappant est fourni par le PS, où des procédures de discussion sont mises en place en vue de votes d’investiture, procédures qui se déroulent parfois pendant le vote (Éric Treille) ! Les partis intègrent donc, retravaillent, adaptent la délibération en fonction de besoins propres. Florence Faucher-King montre ainsi qu’il y a, lors des congrès de Labour party britannique, une véritable instrumentalisation (le terme n’est pas trop fort) des procédures délibératives, lesquelles ne sont plus alors qu’un outil de légitimation de la direction. Ainsi, l’injonction délibérative est présente partout, mais interprétée différemment par chacun.
Sur un autre plan, deux contributions insistent sur les répercussions en termes d’identité militante de ces procédures. Celle de Nathalie Ethuin consacrée aux écoles de formation du PC propose une analyse quasi ethnographique du déroulement de sessions qui révèlent une quête de certitudes de la part de militants communistes en proie au doute et qui trouvent dans ces réunions l’occasion de « raviver la flamme militante ». Ces « délibérations » sont donc aussi une manière de mettre en forme et de donner à voir l’abandon du centralisme démocratique communiste et la logique verticale qui structurait si fortement le parti. Rémi Lefebvre, lui, s’attache à montrer comment, au PS, la délibération est aussi un moyen de compenser la perte de repères des militants, notamment au moment où le parti ne sait plus dire « nous ». Dans le même temps, cette délibération est soumise à ses propres contradictions : elle se déroule alors que la dénonciation des procédures de vote internes est devenue la règle ; elle sert également à redéfinir les critères de définition de l’excellence militante, favorisant par là l’éviction de ceux qui manient le moins bien le verbe, c’est-à-dire les catégories sociales les moins favorisées. La délibération devient alors le moyen de donner du sens à un engagement qui « navigue à vue faute de cap précis ». Où il apparaît alors que ce sont moins les dispositifs de la délibération et son contenu qui comptent, que la possibilité offerte à ceux qui l’usent de se retrouver et faire corps à nouveau.
Au total, s’il y a bien une mode de la délibération, l’ouvrage en pointe les ambiguïtés et, surtout, en démonte les modes de fonctionnement pratique. On peut regretter peut-être une certaine imprécision théorique sur ce qui relève, au concret, des procédures délibératives elles-mêmes : la distinction entre démocratie délibérative et participative est parfois difficile à saisir. Sans doute était-ce là le prix à payer pour étudier un phénomène aussi multiple dans ses manifestations. La diversité des points de vue et des objets constitue une indéniable richesse qui éclaire un phénomène d’autant plus mal connu qu’il est devenu banal. Cet ouvrage montre que, dans des sociétés contemporaines en manque de cohésion, la question de savoir comment associer et faire participer les citoyens reste une impérieuse nécessité.
Thierry Barboni |
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