ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont/Rabinow 358 mai 2006
La France en route vers la modernité
par CLAUDE DUPONT
(L’OURS 358, mai 2006)

à propos du livre de Paul Rabinow, Une France si moderne. Naissance du social 1800-1950, Buchet-Chastel 2006 634 p 32 €

L’étude de Paul Rabinow, enseignant d’anthropologie à l’université de Berkeley, est à la fois déconcertante et passionnante. Déconcertante dans sa composition, car on passe souvent sans transition d’un domaine à un autre sans que le lien logique saute aux yeux, et aussi par son objet : quelle est la cible exacte de Rabinow ? Où veut-il en venir ? se demande-t-on parfois. Et c’est peu à peu qu’émergent les grandes lignes de cette passionnante enquête qui emprunte, en fait, les deux axes d’investigation annoncés d’entrée : la modernité et le social.


Cet anthropologue, qui se situe dans la lignée de Michel Foucault, nous le rappelle : ce terme de société qui nous paraît si naturel n’a commencé à revêtir son acception actuelle qu’au début du XIXe siècle. Le social est donc un avatar de la modernité et l’auteur en cerne l’avènement. Il le proclame dès les premières pages : « Le terrain de ce livre se situe à mi-chemin entre le haute culture et la science, d’une part, et la vie ordinaire d’autre part. » Les hommes dont il suit la démarche ne sont pas des théoriciens importants, des promoteurs de systèmes politiques. Non, ce sont plutôt des « inventeurs et des praticiens d’un sous-ensemble de pratiques, discours et symboles de la modernité sociale », des hommes de terrain en somme qui trouvent leurs ancêtres dans ces mouvements réformateurs allant des catholiques sociaux à certains socialistes, qui tentèrent, au XIXe siècle, de dépasser les antagonismes entre les classes sociales, en cherchant à dégager des normes sociales régulatrices. C’est, en effet, en faisant confiance à la science plus qu’à la morale, en cherchant à dégager des principes de raison plus que des exigences d’éthiques que ces réformateurs vont aborder la question sociale.
L’analyse du rôle que joua l’épidémie de choléra de 1832 est particulièrement intéressante. Au début, la pathologie est interprétée comme une formation de micro-milieux, au confluent du biologique et du social. Sa propagation prouvait qu’on ne pouvait s’en tenir à quelques principes généraux d’hygiène et de prévention. Et c’est à ce moment que s’impose la notion de « conditions d’existence ». Le concept de « milieu » passe de la biologie à la sociologie et Rabinow analyse avec acuité les correspondances qui s’expriment à travers les différentes disciplines. Si comme l’affirment les « transformistes », dont les thèses en France se propagèrent plus par Lamarck que par celles de Darwin, le milieu n’est plus un lieu pré-ordonné mais un ensemble indifférent à la survie de ses occupants, on substitue à une conception statique du monde une vision vitaliste de l’organisme qui donne un soubassement quasi biologique à la lutte menée par chaque individu pour son adaptation.
Rôle des biologistes, rôle des géographes, rôle des statisticiens, dont les études vont être décisives pour dégager des normes permettant d’organiser correctement les agglomérations sociales et d’aller vers le « welfare ». Mais c’est surtout à l’architecture que l’auteur réserve ses chapitres les plus fouillés puisque ce sont les préoccupations d’urbanisme qui traduisent le plus correctement les visées d’intégration sociale.

Urbanisme et société moderne
Une fois dégagée d’une conception marquée essentiellement par le modèle antique, avec le canon unique de la forme, l’architecture aborde une nouvelle étape dans une société moderne où l’on demande plus de créer que d’emprunter. Dès lors, la démarche urbanistique va suivre des paliers. Avec Haussmann et Napoléon III, il n’existe pas de projet normatif d’ordonnancement du milieu social ; on sert un capitalisme de marché, de commerce, qui active la circulation des personnes et des denrées plus qu’une logique industrielle. Puis, avec Le Play et Émile Cheysson à Mulhouse et au Creusot, à partir d’intentions paternalistes et d’un souci d’hygiène sociale, on passe à la mise en place d’une sorte de pré-zonage dans la distribution des quartiers. Mais il faudra attendre Garnier, qui travaillera avec Augagneur, le prédécesseur socialiste d’Édouard Herriot à la mairie de Lyon, ou Prost à Anvers, pour concevoir la traduction architecturale de la conception d’une dimension sociale de l’habitat avec une réflexion sur l’aménagement d’infrastructures qui tiennent compte de la répartition des différents secteurs de l’activité économique ainsi que des différences tant sociales que fonctionnelles.
Toutefois, la France ne peut aller aussi loin, dans le domaine de la maîtrise de l’urbanisme par les pouvoirs publics que l’Angleterre ou l’Allemagne. Tous les grands mouvements d’urbanisation du début du XXe siècle cherchent leur voie entre le laisser-faire du libéralisme et l’intervention de l’État. Systématiquement, le Conseil d’État bloquera les procédures d’expropriation même aux moments cruciaux de l’explosion démographique de la banlieue parisienne. La spéculation l’emportera sur la rationalisation et, au désespoir de l’architecte Eugène Hénard, les 800 hectares des fortifications parisiennes qui pouvaient dégager un ensemble remarquable pour un aménagement d’ensemble, furent vendus en parcelles.
Paradoxalement, c’est Lyautey, au Maroc, qui ira le plus loin, même s’il dut, lui aussi, compter avec la spéculation. Proche des animateurs – aux conceptions paternalistes – du Musée social, il réfléchit à la manière d’intégrer dans un même cadre la modernité et la différence. Voulant assumer les identités historiques, recourant plus souvent aux décrets qu’à la législation, encourageant la constitution d’associations de propriétaires, il fit de Rabat et de Casablanca de belles réussites urbanistiques.
Au « techno-cosmopolitisme » de Lyautey, l’auteur compare le « modernisme tempéré » qui, d’après lui, marque le comportement des socialistes municipalistes dont Henri Sellier, maire de Suresnes, fut un exemple emblématique, dont l’auteur analyse finement la démarche, sans omettre de mentionner les tensions qui apparurent naturellement entre une vision socialiste de la cité, espace public de la politique, et celle de l’agglomération, espace anonyme de régulation et de transition.
La génération Sellier laisse la place à une modernité qui a moins à cœur d’intégrer chaque développement urbain à la trame historique de la cité et qui vise à une évaluation technicienne de la réalité sociale dans laquelle l’État est davantage réduit à « un ensemble de services publics fonctionnellement définis ». On assiste à l’universalisation de normes sociales qui entraînent un traitement uniforme des constructions modernes où chacun reçoit sa part définie rationnellement. Le plan de vie se substitue au plan de ville. L’assistanat social prend la relève du solidarisme politique et l’auteur conclut ainsi sa très riche étude : « Les concepteurs des cités-jardins et des villes nouvelles des colonies plaçaient les institutions publiques au centre symbolique de la cité. Cette administration qu’ils assimilaient à une force organisatrice était à présent devenue un facteur purement technique. »
Claude Dupont
Revenir au sommaire
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris