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L'OURS n°419 pages Culture
L’OURS 419 juin 2012, Page culture

CINEMA : Barbrara ou le soleil à l’Est par JEAN-LOUIS COY
à propos de Barbara de Christian Petzold
(Allemagne 2012 Ours d’argent Berlin 2012 prix de la mise en scène)

Christian Petzold est le plus brillant représentant du cinéma allemand actuel, quoique la distribution de ses films reste souvent limitée.

Ainsi de ce grand cinéaste ne connaissons-nous en France que Contrôle d’identité (2000), Yella (2007) et Jerichow (2009), trois de ses œuvres ayant obtenu des récompenses et présentant des qualités remarquables.

Ce dernier opus, Barbara, confirme ce que nous pensons en mettant en exergue la rigueur d’écriture scénaristique, l’existence d’une mise en scène en symbiose avec la profondeur du propos et, une fois de plus, comment s’en plaindre, la présence de la superbe Nina Hoss dans un rôle extrême où elle démontre, au-delà de son charme fascinant, une finesse d’intelligence pour interpréter ce personnage confronté à une métaphorique alliance de l’amour et de la terreur ordinaire.

Une femme médecin de Berlin demande en 1980 une autorisation de sortie du territoire Est-Allemand. Le couperet tombe, elle subit la geôle, la Stasi, puis l’exil obligatoire dans le Brandenbourg au sein d’un vague hôpital rural où les soignants voient débarquer cette spécialiste hautaine et universitaire. Constamment surveillée, fouillée, Barbara est aux abois, la peur jaillit de ses yeux, ses gestes, ses rares paroles, elle s’isole, ne peut se mêler aux autres. En particulier, avec son collègue praticien, plutôt bienveillant, Barbara ne peut créer aucune relation, tout lui paraît suspect. Cette paranoïa ne se justifie-t-elle pas au milieu d’une pareille structure, une société malade ne cherchant qu’à humilier et traquer ? Ce sera donc le prétexte filmique de Petzold de construire le récit autour de cette question sans aucun parti pris émotionnel ou sacrificiel comme cela se remarque dans la plupart des films germaniques traitant du drame fraternel de ce pays déchiré.

L’amour et les murs
Car le mur pourtant si éloigné de cette bourgade est là, dressé entre les individus eux-mêmes, l’amour peut-il s’y développer, Barbara meurtrie parviendra-t-elle à conquérir sa liberté intérieure, envisagera-t-elle une réconciliation humaine indispensable ? Parce que son travail de médecin lui accorde une conscience éthique, une déontologie, elle risque d’être épargnée. Grâce à elle, d’autres vivront, son collègue qui commence à l’aimer, ses bourreaux lamentables à peine dénaturés.

Dans un paysage de landes tourmentées sous des tempêtes de vent, au bord d’une mer symbolisant la fuite, Barbara choisira de résister, ne ressemblera pas aux fantômes, il est même probable qu’elle réapprendra à vivre et partagera la tâche de ceux qui la respectent.
C’est pourquoi Christian Petzold a utilisé une aussi belle lumière, victoire de la clarté sur la noirceur quotidienne de ce régime dictatorial. La manière de filmer, efficace, épurée, proche parfois du genre américain (songeons au Port de l’angoisse de Curtiz), tient les visages, les gestes, les objets, les bruits comme tirés au cordeau, les plans américains, les gros plans, les multiples facettes de l’image autorisant à analyser les séquences du récit (par exemple, un seul plan pour comprendre la quotidienneté douloureuse du stasiste), tout cela nous donne un grand moment de cinéma.

Mais de ce drame de la peur surgissent des lueurs et une réflexion plus profonde alliant la confusion des sentiments, la difficulté de choisir et, surtout, l’impression qu’une nouvelle société apparaît, qu’il importe de participer à sa renaissance.
Un film sur l’avenir. A voir absolument.

Jean-Louis Coy

L’Actu des bulles : Transmissions, par SYLVAIN BOULOUQUE
Séra, 3 pas dans la pagode bleue, Le 9e monde, 2012, 32 p, 8 €
Séra et Piatzszek, Le temps de vivre, Futuropolis, 2011, 124 p, 20 €
Loo Huing Phang et Michaël Sterckman, Cent mille journées de prières, T 2, Futuropolis, 2012, 112 p, 21 €

Les dessins de Séra sont de véritables coups de couteau, le trait est ciselé et désespéré. Les jeux sur la couleur renforcent l’impression de noir tout en soulignant la finesse de l’expression graphique. Bref, Séra est un remarquable dessinateur. L’univers du Cambodge des communistes ne le quitte pas. Dans 3 pas dans la pagode bleue, il rend hommage au peintre Vann Nath, décédé le 5 septembre 2011, l’un des seuls survivants avec Chum Mey du camp S 21. Ses dessins du centre de mise à mort sont les rares témoignages directs de ce passé. Séra évoque le combat de son ami disparu pour témoigner et transmettre le souvenir de la terreur. Quel bel hommage !
Autre facette de ce talentueux dessinateur-peintre avec Le temps de vivre, roman noir dans lequel, comme dans son album Secteur 7, on retrouve un univers violent, désespéré et mystérieux. Remarquablement scénarisée par Piatzszek, l’histoire se situe dans une banlieue qui n’est plus reliée au reste du monde. Deux témoins indiscrets de trafics tentent d’en tirer partie et déclenchent la vengeance des gangs, dirigés par des adultes qui utilisent des gamins.
Le tome 2 de l’album de Loo Huing Phang et Michaël Sterckman, publié avec le soutien d’Amnesty international, est une quête des origines. Contrairement aux formes de Séra, les dessins sont plus adoucis voire apaisés mais le récit est tout aussi tranchant, douloureux et admirablement construit. Il revient sur la tragédie cambodgienne et l’interrogation sur les conditions de la mort du père. Les amis survivants témoignent et expliquent cette banalité du bien, de ces petits gestes qui permettent aux gens de se soutenir et de s’aider avant que l’organisation communiste khmère ne les broient. Les auteurs rappellent aussi la difficile transmission de l’histoire.
Sylvain Boulouque

L’Actu des sons : Chanteuses, par FREDERIC CEPEDE

à propos de Kate McGarry, Girl Talk, Palmetto Records, 2012.

Peu connue dans notre pays, la chanteuse américaine Kate McGarry a déjà une solide réputation et quatre disques salués par la critique. Son répertoire emprunte à la musique populaire américaine, jazz, comédie musicale, aux standards brésiliens et à la pop internationale. Le quartet qui l’accompagne ici est clairement « jazz » avec notamment Keith Ganz à la guitare, et le subtil et coloriste Clarence Penn à la batterie. Ce n’est pas le disque d’un groupe mais bien celui d’une chanteuse qui n’hésite pas à construire en studio de riches harmonisations vocales comme sur « We kiss in a shadow ». « Girl Talk », morceau qui donne son titre à l’album, a été popularisé en France par l’adaptation swinguante et gouailleuse de Nougaro (« Dansez sur moi »). Kate McGarry l’aborde en souplesse, se l’approprie en finesse et précision. Ce Girl Talk porte aussi un message, chacun des dix titres étant un hommage aux chanteuses qui bercent sa vie : Sarah Vaughan, Berry Carter, Shirley Horn… et bien d’autres. Sur « The man I love », tempo très lent, envoûtant, on sent monter le cri déchirant d’une femme amoureuse, on voyage dans les hautes sphères, au-delà du temps, avec des nuances qui évoquent Bjork. Dix chansons, dont un duo époustouflant avec Kurt Elling sur « O Cantador », à savourer longtemps.
Frédéric Cépède

L’OURS au théâtre : Les moments de vie de Jon Fosse, par ANDRE ROBERT

Le fils, de Jon Fosse, Théâtre de la Madeleine, Paris
jusqu’au 15 juillet

Né en 1959, le Norvégien Jon Fosse s’est imposé comme un des dramaturges contemporains les plus prolixes (une vingtaine de pièces depuis 1994) et les plus importants, récoltant un nombre considérable de récompenses internationales.

Le théâtre de Jon Fosse est simple et difficile à la fois : simple, il met en scène la quotidienneté et la banalité ; difficile, car – fondé sur un parti pris minimaliste – il réduit l’intrigue à presque rien et peut confiner à l’ennui du fait de dialogues volontairement plats, usant beaucoup de la répétition et des silences. Côté quotidienneté, on pourrait penser à Tchekhov, côté minimalisme à Beckett. Pourtant Fosse ne peut se confondre ni avec l’un ni avec l’autre, s’installant d’une part dans une figuration abstraite de ses personnages (par exemple ici le Fils, le Père, La Mère, Le Voisin), ne ménageant volontairement, d’autre part, aucune profondeur métaphysique aux propos de ceux-ci (absence de tout arrière-plan).

La scène est dans un petit village quasi désert de l’ouest de la Norvège, au fond d’un fjord, au pied d’un à-pic impressionnant, admirablement rendu par le décorateur, un des plus inspirés de ces dernières décennies, Jean-Marc Stehlé(1), qui campe par ailleurs le personnage du voisin, du haut de sa carcasse puissante et fragile en même temps. Un père (Michel Aumont) et une mère (Catherine Hiegel) ressassent des paroles sur leur environnement (il fait noir, de plus en plus noir – on est en hiver – il n’y a plus qu’une lumière visible dans le village, celle du voisin) et sur l’absence du fils (dont le voisin alcoolique et mesquin prétend qu’il est en prison). Retour du fils (Stanislas Roquette), altercation avec le voisin malgré la presque tendresse qui les lie (là où le dialogue ne passe pas avec les parents), mort brutale de ce dernier, départ du fils, retour au noir, au rapetissement de l’horizon, au ressassement. Tout cela est monté avec une grande délicatesse par le metteur en scène Jacques Lassalle et interprété avec une extrême humanité par les quatre comédiens qui peuvent nous conduire au bord des larmes.

Le sens de la vie
Il y a bien sûr un sens à ce moment de vie mais c’est un sens qui se confond entièrement avec la surface des choses et de l’événement. Le père et la mère ne parviennent pas à communiquer avec le fils, bien qu’ils s’y essaient, maladroitement ; la ville sacralisée leur paraît lointaine, inaccessible ; le voisin détestable (qui, lui, va à la ville, fût-ce pour raisons médicales) a finalement plus d’importance réelle dans leur univers que celle de leur propre enfant, dont leur amour pour lui est pourtant obsédant sans parvenir à se concrétiser ; les dénégations du fils sur son séjour en prison comptent finalement moins que les allégations, possiblement sans fondement, du voisin ; la velléité de retenir un peu le fils auprès d’eux ne trouve pas d’issue. C’est le propre d’un grand auteur de nous fasciner avec si peu, et – par-delà le caractère volontairement minimal du propos qui constitue une pièce courte(2), une des premières écrites par Fosse – on en vient à regretter la brève durée du spectacle (1h 20), dont la qualité (écriture, décor, mise en scène, interprétation) nous attache à ses personnages, en soi pourtant si peu séduisants.

André Robert

(1) Assisté de Catherine Rankl.
(2) Publiée aux éditions de l’Arche.
 

 
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