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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
L'OURS n°308 (mai 2001)
L’OURS N°308 (MAI 2001) SOMMAIRE

CRITIQUE DE LIVRES
Livres en bref
Jean-Jacques Kourliandsky (a/s de Dictionnaire des relations internationales au XXe siècle, Maurice Vaïsse (Dir.), Armand Colin, 2000, 298 p

Les coups de cœur de Pierre Ysmal, Simenon, Mes apprentissages, Omnibus, 2001, 1054, p, 145 F, 22,11 e, Max-Pol Fouchet ou le passeur de rêves, Le Castor Astral, 2000, 310 p, 140 F, 21,34 e

p.3 société
Souffrances, stress ou harcèlement moral ? , par JEAN-MICHEL REYNAUD (a/s de Marie-France Hirigoyen, Malaise dans le travail, Harcèlement moral, Démêler le vrai du faux, Syros, 2001, 290 p, 115 F, 17,53 e
État : un diagnostic pour quels remèdes ! , par GUY PUTFIN (a/s de Roger Fauroux et Bernard Spitz, Notre Etat, Le livre vérité de la fonction publique, Robert Laffont, 2001, 805 p, 179 F, 27,28 e

p.4-5 DOSSIERS : INTELLECTUELS
Daniel Halévy, du capitaine au maréchal, par ALAIN BERGOUNIOUX (a/s de Sébastien Laurent, Daniel Halévy, Du libéralisme au traditionalisme, Grasset, 2001, 505 p, 180 F, 27,44 e et Daniel Halévy, Essai sur l’accélération de l’histoire, De Fallois, 2001, 200 p, 100 F, 15,24 e
Le réseau Poulat et la culture chrétienne, par BRUNO POUCET (a/s de Un objet de science, le catholicisme, hommage à Émile Poulat, Valentine Zuber (dir), Bayard, 2001, 337 p, 220 F, 33,54 e
Les violences de Mirbeau, par JEAN-FRANÇOIS FLAMANT (a/s de Octave Mirbeau, La Folle, Mille et une nuits, 2001, 88 p, 10 F, 1,52 e
De bien étranges parcours dreyfusards, par VINCENT DUCLERT (a/s de Simon Epstein, Les dreyfusards sous l’Occupation, Albin Michel, 2001, 359 p, 140 F, 21,34 e
Correspondances d’intellectuels, par ROBERT LINDET (a/s de Correspondance (1916-1944), entre Romain Rolland et Charles Baudoin, Antoinette Blum (dir.), Meyzieu, Cesura, 2000, 164 p, 160 F, 24,39 e

Histoire
p.6 La loi Debré et la guerre des deux France, PAR JEAN-CLAUDE LESOURD (a/s de La loi Debré, paradoxes de l’État éducateur ? Bruno Poucet (dir.), Amiens CRDPAcadémie d’Amiens 2001, 276 p, 130 F, 19,82 e
p.8 Les parlementaires de 40 réhabilités, par GILLES MORIN (a/s de Olivier Wieviorka, Les orphelins de la République, Destinées des députés et sénateurs français (1940-1945) , Le Seuil, 2001, 458 p, 160 F, 24,39 e

p.6 Socialisme
La deuxième gauche pour mémoire, par ORESTE VIAUD (a/s de André Chazalette, Le socialisme, une porte entr’ouverte, Lyon, Mario Mella édition, 2001, 130 F, 19,82 e

p.7 Camps
Le terrible engrenage de la terreur , par JEAN-LOUIS PANNE (a/s de Barbara Skarga, Une absurde cruauté, Témoignage d’une femme au Goulag (1944-1955) , La Table ronde, 2001, 351 p, 135 F, 20,58 e

p.8 Commémoration
La Commune de Paris : 130 ans et toutes ses dents, par PIERRE YSMAL (a/s de René Bidouze, 72 jours qui changèrent la cité, Le Temps des cerises, 2001, 234 p, 120 F, 18,29 e et Eugène Varlin ; La garde nationale ; Les communes de province (1870-1871) ; Les clubs communards ; La Commune ; L’action des femmes, Les amis de la Commune de paris (1871) , 46, rue des cinq Diamants, 75013 Paris, 2000/2001 la brochure 18 p, 15 F, 2,29 e

p.7 CINEMA
Le cinéma chinois face à ses démons, par JEAN-LOUIS COY (a/s de Les démons à la porte, de et avec Jiang Wen, Chine 2000)
 
L'article du mois
DE BIEN ETRANGES PARCOURS DREYFUSARDS
Par Vincent Duclert


SIMON EPSTEIN
Les dreyfusards sous l’Occupation
Albin Michel 2001 359 p 140 F 21,34 e

Si les interrogations de Simon Estein sur le “destin” des dreyfusard sont légitimes, séduisantes et stimulantes à première vue, la méthode et les présupposés laissent une impression de malaise.

Ce livre de Simon Epstein, économiste et historien, directeur du Centre international de recherche sur l’antisémitisme (Université hébraïque de Jérusalem), repose sur quatre propositions. Primo, le lien entre dreyfusisme et collaboration est démontré par le nombre important, significatif, de dreyfusards devenus collaborateurs et de collaborateurs ayant été, quarante ans plus tôt, dreyfusards.Deuxio, une approche prosopographique permet d’établir ce lien, ce passage du dreyfusisme à la collaboration.Tertio, ces trajectoires qui font sens contredisent la thèse des “ deux France ” qui associerait, du côté de la patrie des droits de l’homme et du citoyen, et de manière mécanique les révolutionnaires de 1789, les adversaires du boulangisme, les dreyfusards, les résistants, les intellectuels contre “ la torture dans la République ”, les adversaires, enfin, du Front national.Enfin, les historiens, qui ont produit cette thèse, ont très logiquement occulté le phénomène du lien entre le dreyfusisme et la collaboration et sont coupables d’une faute professionnelle ; les uns (historiens de l’Affaire) en n’ayant pas fait suivre la question “ Comment devient-on dreyfusard ? ” de celle “ Que deviendront les dreyfusards ? ”, les autres (historiens de l’Occupation) ne s’étant pas demandé quelle avait été la jeunesse des collaborateurs.

DES PREJUGES INTELLECTUELS
Ces propositions seraient séduisantes et stimulantes si elles ne fonctionnaient pas dans le livre comme autant de préjugés intellectuels et d’insuffisances méthodologiques. Séduisantes et stimulantes donc à première vue, avec cette confrontation entre deux événements qui polarisent les études d’histoire contemporaine et encadrent la mémoire collective française, avec ces reconstitutions d’itinéraires de “ syndicalistes révolutionnaires, socialistes et anarchistes ”, “ gens de lettres et intellectuels ” devenus pour la plupart des collaborateurs exprimant la gamme des postures militantes en faveur depuis Vichy jusqu’à Berlin en passant par Paris, avec cette relecture des mythes français depuis les héritages révolutionnaires et contre-révolutionnaires jusqu’au temps présent. Avec cette critique, enfin, de l’historiographie de la période contemporaine où aucun historien ne sort indemne, le plus ébranlé étant sans conteste Pierre Vidal-Naquet qui travaillerait sur la postérité dreyfusarde hors “ de toute contingence historiographique et de tout souci d’adhérer au réel ” (p. 313) . C’est bien connu, l’auteur du Chasseur noir ne sait pas ce qu’est un mythe et se persuade lui-même des métaphores qu’il a pu construire sur l’engagement dreyfusard passé et présent !
Le premier problème de l’essai de Simon Epstein est en effet de se persuader, et de persuader le lecteur, qu’il existe une sorte de complot des historiens pour protéger la moralité des dreyfusards et maintenir l’immoralité des collaborateurs, et combattre par conséquent l’hypothèse d’un passage des dreyfusards à Vichy. Cette thèse de l’histoire “ raisonnable ” ou “ officielle ” avait déjà été développée par Sonia Combe dans un ouvrage également publié par Albin Michel en 1994, Archives interdites. Rappelons seulement que les historiens n’ont pas à défendre telle ou telle vérité, mais à construire du sens par la démonstration de causalités, l’exploitation des sources et la discussion des travaux de leurs collègues. Il existe certes, pour l’affaire Dreyfus comme pour la France occupée, des préjugés contraires aux vérités historiques, mais ceux-ci sont précisément combattus par une majorité de chercheurs. Comment alors expliquer les tensions, les controverses, les polémiques sur ces deux périodes clefs de l’histoire contemporaine ? Second problème du livre, sa thèse centrale : “ les dreyfusards qui vivront assez vieux pour connaître l’Occupation seront souvent collaborateurs ” et son corollaire qui dénonce “ l’assertion […] si communément admise qu’elle se passe de preuve ” : “ le dreyfusisme anticipe la résistance ” (p. 16). Ce n’est pas le fonds qui nous gêne. Il n’y a que l’auteur pour croire que les historiens de l’Affaire ou de la Résistance sanctifient leur objet ; au contraire, analyser les évidences, confronter les discours et les pratiques, analyser les trajectoires individuelles, considérer les phénomènes de mémoire collective constituent le fondement du travail de chercheurs et la base de ce qui est enseigné aux étudiants en histoire. A cet égard, l’ouvrage de Simon Epstein confirme beaucoup plus qu’il n’infirme nombre de travaux sur les postérités de l’Affaire et sur les complexités de la Résistance. En revanche, ce qui pose problème dans la thèse centrale du livre est la manière dont son caractère pseudo-révolutionnaire, son “ message aussi dérangeant ” dispenseraient l’auteur d’être un historien.
En effet, plutôt que d’accumuler des fiches individuelles comme autant de preuves du lien entre l’habitus dreyfusard et l’habitus collaborateur, il aurait été judicieux d’expliquer d’abord en quoi le lien entre dreyfusisme et résistance était faux d’une part, et imposé d’autre part à une opinion qui n’en peut mais. Il aurait été nécessaire aussi de définir très précisément ce qu’est un dreyfusard, ce qu’implique avoir été dreyfusard (l’héritage d’une expérience, d’une culture, d’une méthode,… ?) plutôt que de multiplier des typologies dans lesquelles on finit par se perdre. Il aurait été utile par ailleurs de s’intéresser au caractère représentatif de l’échantillon retenu. Pourquoi surtout des publicistes et peu de savants, pourquoi aucune tentative d’histoire quantitative dans un essai qui a essentiellement recours à la prosopographie ? Il aurait été de même consciencieux d’insister sur quelques évidences : que l’Affaire et l’Occupation ne présentent pas tout à fait le même contexte, qu’entre l’Affaire et Vichy il y a la Première Guerre mondiale et quelques historiens qui déjà, ont montré que les dreyfusards n’avaient guère respecté les valeurs pour lesquelles ils avaient combattu en 1898, que les liens entre antidreyfusisme et collaboration peuvent aussi se maintenir et ne se résoudre dans les subtils mais peu convaincants développements de l’auteur sur la “ maurrassification ” de la collaboration imposée à nouveau par des historiens incapables de voir les responsabilités de la gauche dans Vichy, qu’une étude sérieuse sur les origines dreyfusardes de la collaboration impliquerait de discuter de l’importance en 1898 des engagés de 1940 et de considérer avec la même attention les parcours qui ont conduit à la Résistance afin, précisément, de justifier du titre du livre.

UNE HISTOIRE A L’ESTOMAC
Il aurait été enfin sérieux de ne pas écarter de cette “ masse dreyfusarde ” dont Simon Epstein poursuit l’étude jusqu’à l’Occupation, d’une part, ceux qui meurent avant 1940 (ne sait-il pas combien, par exemple, la pensée dreyfusarde et antitotalitaire d’Elie Halévy dirigera vers la résistance d’anciens intellectuels dreyfusards comme Bouglé ou de jeunes libéraux comme Raymond Aron ou Étienne Mantoux ?).Et, d’autre part, plus gênant encore, les juifs, “ les Juifs [qui] ont plus de raisons que leur compatriotes non-juifs d’être dreyfusards [et qui] auront plus de raisons encore, le jour venu, de s’opposer à l’occupation allemande. Dans chacune des deux crises, ils sont tous du même côté, alors que les non-Juifs choisissent librement d’être pour ou contre Dreyfus, d’être pour ou contre la collaboration. Cette vérité élémentaire se revêt parfois d’un vaste manteau “laïc et républicain” qui proscrit toute référence à un comportement politique juif ou à un destin juif spécifiques, mais elle est bien connue des protagonistes, qu’ils soient antisémites, philosémites ou, bien sûr juifs. Elle justifie pleinement que les Juifs ne soient pas inclus dans l’analyse. ” (pp. 13-14). Passons sur le préjugé intellectuel qui consiste à affirmer que les spécificités juives demeurent interdites de séjour dans la conscience laïque et républicaine promue pour l’occasion au rang d’idéologie dogmatique et intolérante, ou sur l’habileté méthodologique qui consiste à affaiblir profondément le lien entre dreyfusisme et résistance en retirant les dreyfusards juifs de l’analyse (et encore, car l’auteur ne peut s’empêcher quand même de citer Marc Bloch, Léon Blum, et d’inclure Maurice Halbwachs qui, il me semble, a des origines juives). Non, la faillite est bien plus grave car il y a bien faillite dans cette “ histoire à l’estomac ” pour reprendre une expression que Julien Gracq appliquait pour sa part à la littérature soumise aux lois du marché des prix littéraires. La faillite est dans l’ignorance de l’histoire des engagements juifs dans l’affaire Dreyfus ou dans la résistance à l’Occupation, des engagements qui, pour la très grande majorité d’entre eux, ont revendiqué la défense d’une certaine idée de la France, celle des droits de l’homme et de la citoyenneté accordée aux juifs. Cela ne veut pas dire que la fidélité au judaïsme ait été absente chez ces hommes et ces femmes, mais elle venait toujours après ces convictions politiques et patriotiques. Il suffit de relire les écrits de Dreyfus ou le testament de Marc Bloch. La faillite est enfin dans cette manière de faire une histoire qui rejette les juifs hors de l’histoire et en fait une population à part. Ce n’est ni notre conception de la recherche sur le passé, ni celle de la démocratie pour le présent à laquelle l’histoire concourt par un travail de vérité. Gageons que l’auteur s’est laissé emporter par sa passion à s’imaginer en découvreur de vérités occultées et de héritages dissimulés, et qu’il n’a pas compris qu’il s’égarait là dans une voie scientifiquement fausse et intellectuellement dangereuse. Il n’empêche. Il y a comme un malaise.
Vincent Duclert
 

 
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