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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Guy Mollet, 2e discours au congrès de 1946
Samedi 31 août :
Camarades,
Je voudrais d’abord revenir d’un mot sur certains des aspects de la pensée exprimée hier par Léon Blum.
Il nous adjurait de faire un retour sur nous-mêmes et de réfléchir individuellement. Il a dit sa crainte que notre Parti, comme le pays, n’ait pas complètement éliminé les séquelles de la guerre et que nous ayons plus besoin aujourd’hui de mot d’ordre que de conviction.
J’ai, pour ma part, fait cet effort de réflexion depuis ce discours. C’est moi qui, à mon tour, en toute amitié et avec l’affectueux respect que doit un jeune à celui qui est sans doute le plus grand responsable de ce que ce jeune est devenu révolutionnaire, c’est moi dis-je, qui, aujourd’hui, adjure notre camarade Léon Blum de nous mieux connaître.
Je ne crois pas et je ne voudrais pas que personne puisse croire qu’une sorte de peur collective, variée dans ses causes, se soit préparée dans notre Parti. Je ne crois pas qu’aucun d’entre nous ait cherché ou accepté je ne sais quel alibi moral pour une mauvaise conscience.
Je crois au contraire que le Parti, suivant en cela vos propres encouragements, a décidé non pas de se laisser aller à je ne sais quelle peur, mais a décidé de faire peur plutôt que de duper les espoirs mis en lui.
Je crois que nous nous sommes trouvés être les interprètes d’un certain moment de la pensée du Parti. Je crois et vous demande à tous de croire que la position prise par nous n’était pas une position négative, mais au contraire une sorte d’élan vers l’avenir, vers le combat offensif et victorieux.
Quant à la position doctrinale définie par notre camarade Léon Blum, je pense qu’il ne saurait être institué ici un débat de fond sur la doctrine socialiste : et je souhaite que dans un avenir très proche le nouveau comité directeur organise une semaine d’études au cours de laquelle nous pourrons ensemble repenser notre doctrine et notre programme.
Je n’ai ni l’intention ni la prétention de discuter de l’ensemble de ce qu’a dit Léon Blum, mais je voudrais apporter mon point de vue et celui de mes amis sur quelques-unes de ses idées.
Léon Blum nous a demandé si un seul d’entre nous avait une objection à présenter. Aucune voix ne s’est élevée. C’est bien là la preuve que les différences qui nous séparent sont moins sérieuses que tout ce qui nous unit.
Pourtant, il est deux points dont je voudrais vous parler un peu plus longuement.
Et d’abord la vieille querelle entre le socialisme idéaliste et le socialisme scientifique. Notre camarade Léon Blum lui-même, parlant de la conception humaniste du socialisme et de la conception matérialiste, concluait en ces termes : "On peut évidemment mettre l’accent sur une formule plutôt que sur une autre".
Ce que nous craignons, c’est qu’en mettant l’accent sur l’humanisme seulement, on ne permette à certains, contre la volonté même de ceux qui prennent semblable position, de se tromper sur le contenu complet de la doctrine socialiste.
En laissant supposer à ceux qui, sur le plan moral ou intellectuel, se rapprochent de nous par une conception commune de l’humanisme, qu’ils sont devenus socialistes, on oublierait l’essentiel qui est de leur faire acquérir une conscience de classe et de les préparer à la lutte de classe. Il nous faut, sur ce point, réaffirmer notre position ; il ne faut plus en effet, que certains, en votant MRP, puissent croire qu’ils votent pour une forme quelconque du socialisme.
Nous faisons nôtre la phrase de Léon Blum : « La fin du socialisme est la libération intégrale de la personne humaine. »
Nous sommes d’accord et nous pensons même que l’humanisme n’est pas seulement un but, mais un moyen qui, d’ailleurs, a eu sa nécessité historique, particulièrement au sortir de la Libération, et qui peut enrichir la doctrine marxiste qui est et qui reste l’axe immuable du socialisme.
En effet, on vient au Parti par sens de l’humain, mais on ne peut réaliser cette libération de l’homme que par la réalisation d’un programme marxiste.
L’humanisme, certes, a toute sa valeur à la hauteur de l’individu, mais, quand il s’agit d’interpréter les phénomènes sociaux portant sur les masses, l’analyse marxiste garde toute sa force et sa vérité.
C’est cette synthèse harmonieuse nécessaire qu’il nous faut ensemble préserver.
La différence que j’ai cru sentir avec Léon Blum sur un autre point est plus sensible. C’est lorsque nous parlant de la participation au pouvoir en régime capitaliste, il nous a dit que nos hommes au gouvernement devaient être les gérants honnêtes et loyaux des affaires du capitalisme.
Reprenant et développant cette idée, notre camarade Philip, ce matin, évoquait l’immense oeuvre des philosophes du 18e siècle et montrait comment cette oeuvre nous avait valu la Déclaration des droits et la nuit du 4 août.
D’accord camarades, mais nous n’oublions pas que pour permettre la nuit du 4 août, pour permettre la Déclaration des Droits, il a fallu aussi un certain 14 juillet.
C’est parce que nous avons conscience que l’avènement définitif du socialisme, c’est-à-dire la libération totale de l’homme, peut trouver un jour dressée contre lui la force même brutale du capitalisme qu’il nous faut élargir notre base ouvrière et préparer à la fois la prise du pouvoir politique, sa défense éventuelle et son exercice. C’est cette synthèse qui fut un jour réalisée dans le Parti. Nous voulons espérer que de nos délibérations de tous ces jours, sortira la nouvelle affirmation.
La différence que j’ai cru sentir avec Léon Blum sur un autre point est encore plus sensible. C’est lorsque nous parlant de la participation au pouvoir, au régime capitaliste, il nous a dit que nos hommes au gouvernement devaient être les gérants honnêtes et loyaux des affaires du capitalisme.
Il n’est pas question ici de discuter de l’honnêteté, de la loyauté individuelle de nos hommes au gouvernement, nous savons tous que partout et toujours, ils ont cherché à être les meilleurs, mais nous pensons que dans la mesure où nous ne serions que des gérants honnêtes et loyaux du capitalisme, nous contribuerions à maintenir, à prolonger quelque chose qu’il faut tendre à détruire et à quoi il faut substituer, par les mutations nécessaires, l’ordre économique voulu par le socialisme (Applaudissements).
La période de stabilité apparente du capitalisme est dépassée. Actuellement, nous avons une société de transition en plein mouvement où se combattent le capitalisme et le socialisme. La participation au pouvoir se trouve ne plus être qu’une forme de la lutte de classe.
Au pouvoir, nous restons les représentants de la classe ouvrière. Au pouvoir, nous n’avons pas à corriger le système capitaliste, mais à fournir à la classe ouvrière les tremplins de son action de demain.
Dans l’action ministérielle, nous voudrions que nos représentants ne soient pas seulement les bons gérants qu’ils sont toujours, mais qu’ils soient toujours des militants qui préparent dans les faits et par l’établissement des hommes qui contrôlent ces faits, l’avènement du socialisme (Applaudissements).
Il est trop facile de reprocher à d’autres partis je ne sais quelle politique du cheval de Troie. Nous avons chez nous le souci de placer aux postes de responsabilités des hommes préparant pour le Parti, pour la révolution, les emplois qui le lendemain permettront d’organiser le socialisme vainqueur (Applaudissements).
Aucun de nous n’a discuté des résultats acquis, de la valeur des réformes. Mais nous voudrions que les réformes faites, que les résultats acquis soient présentés moins à l’actif d’une grande gestion dans le cadre capitaliste comme des institutions préparant l’avenir du Parti.
Exemple : Lors de la ratification des accords de Bretton Woods, nous aurions aimé qu’une voix socialiste se soit élevée pour dire qu’il ne pouvait s’agir d’un remède susceptible de prolonger ou de sauver un système agonisant, mais d’un palliatif organisant la période de transition entre un régime qui meurt et un régime qui naît (Applaudissements).
Tout ou presque a été dit sur le contenu de notre texte. Je tiens cependant à rappeler d’un mot combien nous tenons à voir s’amplifier dans notre action de demain, à côté de l’action parlementaire, tout le reste de l’action socialiste.
Il est, chaque jour, dans la lutte quotidienne, des postes de combat plus importants souvent que ceux de maires, de conseillers municipaux, de députés. Enlever un poste de secrétaire d’union locale ou de fédération départementale de la CGT vaut mieux qu’enlever un mandat de maire ou de député.
Le jour où nous aurons compris que la conquête des coopératives ouvrières, que l’organisation de nos mouvements de jeunesse, de cette jeunesse qui nous appelle, qui nous attend, nous recherche, le jour où nous saurons que chacun de nos militants qui se dévouera sur ce terrain aura fait plus que celui qui se bat pour la campagne électorale, on aura fait sur tous les terrains l’œuvre qui rebâtira le socialisme vainqueur (Applaudissements).
Je voudrais maintenant préciser notre position sur un problème qui a semblé préoccuper nombre de nos camarades : celui de nos relations avec le Parti communiste. Sur ce point, il ne faut pas qu’il subsiste de doute dans notre pensée.
Si ce problème tient une place à part dans nos préoccupations c’est que les rapports avec le Parti communiste sont évidemment d’une autre essence que ceux que nous avons avec les autres partis quels qu’ils soient. De même, unanimement, nous connaissons, nous les avons assez définies, les différences fondamentales entre les tenants du Parti communiste et nous. Nous ne pouvons oublier qu’une fraction importante de la classe ouvrière suit les directives de ce parti.
Le drame est le suivant : c’est qu’entre les partis de la bourgeoisie et nous, il y a une différence fondamentale de classe, même quand sur le plan de la tactique, il y a conjonction temporaire.
Entre les ouvriers qui suivent le Parti communiste, entre eux et nous, il y a communauté de classe alors qu’entre les dirigeants du Parti communiste et nous, il y a actuellement ces oppositions fondamentales.
Je dois vous avouer que quelles que soient les erreurs que les dirigeants communistes font commettre à ceux qui les suivent, je me sens plus près de l’ouvrier qui se trompe ou que l’on trompe que du bourgeois de n’importe quel parti, (applaudissements prolongés), de ces bourgeois qui se croient ou se disent libéraux et sociaux.
Notre position me paraît claire.
S’agit-il de l’unité organique ?
Il y a dans ce parti, j’en suis convaincu, unanimité pour dire que l’unité politique ouvrière demeure pour nous un objectif capital.
Il y a, j’en suis convaincu, unanimité pour être persuadé que rien de définitif ne sera fait avec une classe ouvrière divisée. Mais alors, il suffira donc que nous trouvions la même unanimité pour constater avec nous, comme nous l’avons dit dans notre texte, comme les militants responsables du Parti l’ont affirmé depuis des mois, pour constater qu’il ne sera pas possible de réaliser cette unité organique tant que les partis communistes nationaux ne se seront pas libérés de leurs assujettissement politique et intellectuel vis-à-vis de l’État russe et tant qu’ils ne pratiquerons pas une véritable démocratie ouvrière...
Quiconque, dans un congrès, recherche l’applaudissement peut se permettre de développer ces passages. Nous ne pouvons les uns et les autres apporter de l’eau au moulin de ceux qui tiennent à signaler les différences qu’il y a entre les uns et les autres. Sur ce point, nous avons affirmé une position commune.
S’agit-il donc de l’unité d’action ? Nous pensons qu’il est des circonstances déterminées où après décision prise sur le plan national et non pas en prêtant la joue à je ne sais quelle gifle, en prêtant le flanc à je ne sais quelle manoeuvre à l’intérieur de fédérations ou de sections, mais je dis que dans des circonstances déterminées et sur le plan national, il est des heures où cette solidarité dans l’action peut être une condition indispensable ou l’intérêt d’une politique conforme à l’intérêt des travailleurs.
Il convient de sauvegarder l’indépendance et l’originalité du Parti. En conséquence, il ne faut pas aller à cette unité d’action en chien battu, il nous faut au contraire prendre le maximum d’initiatives et de garanties afin de ne pas donner l’impression d’être à la remorque d’un parti qui, en fait, n’est pas révolutionnaire comme nous le sommes.
Voilà camarades, notre véritable position sur ce point. On est jamais mieux servi que par soi-même. Elle n’est ni communisante, ni non plus anticommuniste, elle est tout bonnement socialiste (Applaudissements).
En conclusion, le but a été unanime : voir, aujourd’hui, situer notre Parti. Et bien, camarades, reprenons ensemble, simplement nos statuts adoptés en février dernier (1). Alors, nous y verrons qu’aussi bien sur le plan international que sur le plan national, nous pouvons et nous devons être le Parti de la démocratie socialiste révolutionnaire (Applaudissements).
Ceci, certes, nous permettra de nous définir par rapport aux autres, par rapport à ceux qui sont démocrates et non révolutionnaires, par rapport à ceux qui sont révolutionnaires et ne sont pas démocrates.
Ce qui est important, c’est que cela nous permettra de nous définir par rapport à nous-mêmes, par rapport à notre action, par rapport à notre position.
Nos anciens, tous nos anciens, aussi bien nos grands morts que nos grands vivants, seront payés de leurs efforts et de leurs sacrifices.
Leurs fils ont compris, leurs fils ont suivi leurs enseignements.
Ils feront avancer l’heure de la révolution (Applaudissements prolongés... les congressistes, debout, chantent l’Internationale).

Note :
(1) Une nouvelle déclaration de principes et des nouveaux statuts du Parti socialiste ont été adoptés le 24 février 1946 par une Assemblée nationale du Parti ayant pouvoir de Congrès.
 

 
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