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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Poucet/Larkin 344
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1905, la séparation en toute complexité par Bruno Poucet à propos de Maurice Larkin, L’Église et l’État en France, 1905 la crise de la séparation, avant-propos de Patrick Cabanel , préface de Jean-Marie Mayeur, Toulouse Privat 2004 284 p
Si un grand livre se juge à sa capacité à parler aux spécialistes et à l’homme cultivé, incontestablement, cet ouvrage appartient à cette catégorie. Remarquablement écrit et servi par une bonne traduction, ce livre est un classique où la touche d’humour britannique ne le cède en rien à la rigueur de l’analyse du lien religion/politique. Les portraits des principaux acteurs rappellent aussi au lecteur que l’histoire s’écrit avec la pensée et l’action d’hommes.
Le professeur Larkin, décédé depuis peu, enseignait l’histoire à l’université d’Edimbourg. Spécialiste de la France contemporaine, il avait publié il y a trente ans un livre qui n’avait pas, en son temps, trouvé d’éditeur pour le traduire en français. C’est désormais chose faite, mais dans un texte mis à jour et adapté aux lecteurs français. Une vraie traduction. Le titre l’indique bien : la loi de la Séparation s’est faite dans une crise, elle a abouti à des résultats paradoxaux puisque que ses promoteurs, qui ne souhaitaient pas la fin du concordat, mais un contrôle plus étroit de l’église catholique, ont permis aux églises d’accéder à une plus grande liberté et à un affranchissement par rapport à la tutelle de l’État. Peu, de part et d’autres, ont été capables d’en comprendre réellement les enjeux et en particulier la dimension internationale. C’est en puisant aux meilleures sources, archives romaines, archives françaises (diplomatiques, nationales, départementales mais aussi diocésaines, trop souvent ignorées) que l’auteur nous convie à mieux comprendre ce qui a été finalement un compromis bien plus avantageux qu’il ne semblait en premier lieu. Signalons enfin, ce n’est pas si fréquent, que l’on trouvera en annexe le texte intégral de la loi.
Une improbable séparation C’est en remontant en amont et en aval, que Maurice Larkin permet de bien comprendre le sens de cette loi fondatrice de nouveaux rapports entre l’État et les églises. La séparation était improbable parce que la politique de ralliement de Léon XIII avait rencontré un certain succès : les républicains, en tout cas, n’avaient pas tranché de savoir s’il fallait ou maintenir le concordat. C’est l’affaire Dreyfus qui a été le détonateur qui précipita les événements. On revînt à des débats qui ramenèrent les protagonistes aux années 1880. Et chacun de fourbir ses armes, d’organiser ses réseaux, de s’appuyer sur la presse : l’auteur souligne ainsi combien le rôle du journal La Croix a été décisif et fit basculer une opinion catholique hésitante. Ce que souligne ainsi l’auteur avec beaucoup de finesse, c’est que les catholiques étaient divisés : le Vatican souhaitait maintenir coûte que coûte le concordat et était prêt à bien des concessions, alors que les Assomptionnistes, en charge de La Croix, étaient beaucoup plus réservés. Ajoutons que l’affaire des congrégations est venu compliquer la situation et la tendre un peu plus encore, ouvrant une voie nouvelle à la séparation : beaucoup de républicains avaient leurs enfants dans les écoles catholiques. Par ailleurs, l’interdiction d’enseigner faite aux congrégations, après le régime d‘autorisation permis par la loi de 1901, a divisé le camp des républicains entre ceux qui voulaient l’instauration du monopole, et ceux qui, à l’instar de Pressensé, y étaient opposés autant pour des raisons de principe que de coût.
La paradoxale attitude de Combes Lorsque Combes parvient au gouvernement, il est de ceux qui ne souhaitent pas la séparation, mais au contraire le renforcement du concordat. Son éducation, sa vie antérieure l’incitait à cela : il sera amené, en définitive, à faire une politique qui n’était pas la sienne. Différents projets de loi de séparation avaient commencé d’être réfléchi par Pressensé, Jaurès et Briand. Combes viendra mettre la touche finale à une loi qui sera votée sous la responsabilité de son successeur. C’est dire si parler de loi Combes est, en définitive, assez mal venu. L’auteur n’enferme pas pour autant le débat dans le microcosme politique français, il souligne que l’improbable s’est produit parce que d’autres événements ont eu lieu, en particulier l’élection d’un nouveau Pape, Pie X, qui, à la différence de son prédécesseur, n’était pas prêt à faire des sacrifices pour sauver le concordat. Intransigeant, appuyé sur un réseau plus ou moins secret, la Sapinière, il n’était pas ouvert à la moindre concession, à la différence des évêques de France. Obstacle supplémentaire, la gauche radicale socialiste cherche à désarçonner Combes, en le contraignant à déposer son propre projet de loi. L’affaire des fiches – les officiers catholiques, dont les listes ont été établies avec l’aide du Grand Orient de France, devaient voir leur avancement ralenti – conduira à la chute du ministère Combes. Bref, de part et d’autre, les armes sont prêtes, au corps défendant des principaux acteurs.
La séparation, une occasion manquée C’est finalement Rouvier qui mena à bien le vote de la loi : elle se fera sur le texte modéré de Pressensé-Briand et non sur celui de Combes. Deux gros problèmes vont diviser le clergé : la propriété des biens et le traitement des anciens ministres du culte. L’auteur montre qu’en définitive les évêques et leur clergé étaient prêts au compromis des associations cultuelles, associations qui permettraient de procéder à la dévolution des biens des anciennes fabriques qui, dans le cadre du concordat, étaient le support juridique du service public du culte. Or, le Saint-Siège s’y est opposé au nom de considérations internationales. Il craignait en effet que cela ait valeur d’exemple dans les négociations en cours dans d‘autres États. Par ailleurs, l’auteur n’en reste pas aux seules perspectives politiques traditionnelles puisqu’il souligne que l’Église catholique de France a mal utilisé le processus même d’un point de vue pastoral. La carte diocésaine est restée inchangée, telle qu’elle avait été découpée par le Premier consul, et ce malgré la chute du nombre d’ordinations, les paroisses ne sont pas réformées : on se borne simplement à étendre la juridiction de curés moins nombreux. C’est donc aussi, ce que montre très bien cet ouvrage, la défaite des innovateurs. D’ailleurs, les nouveaux évêques choisis désormais librement par Rome, sapent tout possibilité de ralliement. Les années passant, les uns et les autres se rendent compte que la séparation ne peut être totale, elle ne permet pas en tout cas l’indifférence et l’absence de relations : c’est en définitive un code de bonne conduite qui s’élabore au fil des années. L’avènement de Benoit XV n’y est pas pour rien. Et l’auteur ensuite d’expliquer comment, peu à peu, jusqu’à la Cinquième République, la normalisation s’est construite. On est loin de l’ignorance réciproque, on n’est plus dans le contrôle total, on est dans le cadre d’une liberté librement consentie, d’un véritable code de conduite. C’est ce que montre avec beaucoup de brio l’auteur, même si l’on peut regretter, pour des raisons de temps, que la partie la plus récente n’ait été qu’effleurée. Cette somme permet ainsi de rendre toute sa complexité, loin de tout manichéisme, à un processus législatif qui structure les rapports de l’État et du politique en France.
Bruno Poucet |
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