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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Guy Mollet/Lafon/Bergounioux
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Guy Mollet face a l’histoire par Alain Bergounioux
François Lafon, Guy Mollet. Itinéraire d’un socialiste controversé, Fayard 2006 960 p 30 €
Après le livre pionnier de Denis Lefebvre, publié en 1992, François Lafon livre une nouvelle biographie de Guy Mollet, tirée de sa thèse, appuyée par des publications intermédiaires. Ce n’est pas beaucoup en 14 années, compte- tenu du rôle que fut celui du député d’Arras dans l’histoire du socialisme !
Cela tient sans doute au discrédit qui l’a frappé dans la mémoire de la gauche française après la guerre d’Algérie – et, disons le, la « rupture » voulue par les « vainqueurs » du congrès d’Épinay en 1971. Mais, justement, ici, il s’agit d’histoire. Et d’une histoire des plus minutieuses. François Lafon a consulté toutes les archives disponibles, utilisé nombre d’entretiens depuis des années avec des acteurs et des témoins bien placés. Il a eu le souci de croiser les témoignages et les mémoires pour cerner au plus près la réalité des épisodes marquants de la vie politique de Guy Mollet – et qui sont souvent connus de manière partielle. Bref, l’étude de François Lafon fera date. Il vaut la peine de lire dans le détail les 823 pages de texte, car c’est ce détail dans l’analyse des situations qui apporte une lumière forte sur les points qui sont aujourd’hui des objets de controverse, particulièrement le congrès de l’été 1946, la guerre d’Algérie et l’expédition de Suez, évidemment, les années 1969 – 1971 avec le congrès d’Épinay.
Le militantisme syndical Mais, il y a beaucoup plus dans le livre. Particulièrement éclairantes sont les années de formation du jeune Guy Mollet. On oublie le plus souvent qu’il a adhéré à la SFIO en 1923 et que s’écoulèrent ainsi vingt deux années de militantisme avant qu’il n’atteignit une notoriété nationale en devenant maire et député d’Arras en 1945. Or, ces années ont été fondamentales. De famille fort modeste, Guy Mollet a forgé sa personnalité dans le militantisme politique et syndical – et longtemps plus ce dernier que le premier. La figure de Ludovic Zoretti est justement mise en valeur. Discrédité par son engagement dans la collaboration, il n’en a pas moins eu une influence majeure pour nombre de jeunes militants de l’entre-deux-guerres. Le socialisme profondément pacifiste du jeune Guy Mollet lui a dû sans aucun doute beaucoup alors qu’il avait vu son père, gazé en 1917, succomber à ses blessures en 1931. Les pages consacrées à son activité syndicale, dans le monde enseignant, difficile et courageuse tant les maîtres d’internat étaient peu reconnus, sont les plus neuves. C’est là que Guy Mollet a pris véritablement la mesure d’une organisation, a éprouvé sa capacité à diriger, à forger des clivages, à passer des compromis. Ce sont des leçons qu’il n’oubliera pas lorsqu’il sera à la tête de la SFIO. Avant cela, il a connu les combats minoritaires dans la fédération socialiste du Pas-de-Calais, où représentant la « Bataille socialiste », il se heurta au légitimisme de la direction fédérale. Ces années de jeunesse mettent sur la voie de deux traits de sa personnalité, incontestablement une intransigeance, forgée dans les difficultés et dans les combats politiques et syndicaux, mais aussi un désir de reconnaissance sociale pour ses mérites propres, son activité professorale, et, surtout, pour les humbles, les millions de « Petit chose » humiliés dans une société injuste. Tout à fait intéressantes sont également les analyses qui portent sur ses années de guerre. Libéré en juin 1941, lui le pacifiste, défenseur du groupe Redressement jusqu’en août 1939, il a finalement, non sans débats intérieurs, rejoint la Résistance en l’occurrence l’Organisation civile et militaire. L’influence de Jaques Piette sur Guy Mollet a sans doute été décisive. Ces années montrent en tout cas un Guy Mollet capable de revenir sur ses convictions antérieures une fois l’intérêt général discerné.
Le parti avant tout La vie politique nationale de Guy Mollet après 1945 est évidemment mieux connue. Le livre n’apporte pas de révélations au sens propre du terme. Mais il permet de mieux comprendre un itinéraire et une action qui a pesé de manière déterminante sur le destin du pays à plusieurs reprises. Il y a là dans le fond un fil directeur qui relie tous les épisodes, la volonté de Guy Mollet de privilégier avant tout le Parti socialiste, son caractère socialiste tel qu’il le comprenait, dans toutes les conjonctures politiques. « Sa force, écrit dans sa conclusion François Lafon, se résume en sa loyauté institutionnelle envers son Parti, mais ce fut aussi sa faiblesse ». Bien des épisodes s’éclairent ainsi. Porté par une vague de mécontentement divers en 1946 contre la direction de Daniel Mayer, et l’influence de Léon Blum, Guy Mollet n’a peut-être pas voulu une « rupture » interne aussi nette que le regard rétrospectif l’a dessinée, mais il n’en demeure pas moins qu’il refusait l’évolution doctrinale et le privilège donné de fait à l’ouverture démocratique, que souhaitait la direction issue de la Résistance. Le combat qu’il mena pour obtenir la démission de Paul Ramadier après le 5 mai 1947 fut illustratif de cette volonté de maintenir la spécificité socialiste partisane. On retrouve cette attitude après 1962 jusqu’en 1969, où il s’opposa fermement à la tentative de Grande fédération de Gaston Defferre, puis à l’influence acquise par François Mitterrand depuis l’élection présidentielle de 1965. Quand les circonstances, la guerre froide avec la troisième force, les alliances contre le gaullisme avec le « cartel des Non » en 1962, le rapprochement avec les communistes ensuite, la recherche de l’unité des socialistes enfin, obligent la SFIO à entrer dans des coalitions, il l’a toujours fait avec la volonté finalement de garder le parti inchangé dans ses caractères. Cela a longtemps été possible par le système de pouvoir que Guy Mollet mit en place en 1948 et pour de longues années dans la SFIO reposant sur un axe Nord–Pas-de-Calais et sur les principes et les pratiques d’une sorte de « monarchie féodale » pour reprendre une expression de l’auteur. C’est la désagrégation de cet axe après 1968 qui rend compte principalement de la défaite du congrès d’Épinay et de l’effacement de Guy Mollet. L’ouvrage rend compte ainsi minutieusement de la vie interne de la SFIO. Et le lecteur pourra mieux mesurer ce que furent ses combats internes, les rivalités et les affrontements de Guy Mollet avec Daniel Mayer, mais aussi Jules Moch et André Philip dans les années 1950, avec Gaston Defferre et, finalement, Pierre Mauroy dans les années 1960 et 1970. L’habileté du secrétaire général fut, comme il a été souvent dit, de représenter efficacement les militants socialistes, d’exprimer leur culture politique, et de privilégier l’esprit de parti, en jouant systématiquement sur les ressorts du sentiment unitaire.
Les convictions de Guy Mollet Mais, un autre intérêt du livre est de montrer avec autant de précisions ce que furent les actions de portée historique de Guy Mollet. Homme de parti s’il en fut, il a porté aussi de fortes convictions pour le meilleur et le moins bon. Européen tardif, une fois convaincu, il a porté avec détermination l’engagement européen en affrontant sans faiblesse la crise de la Communauté européenne de défense et en jouant un rôle majeur avec Christian Pineau dans l’élaboration du Marché commun et de l’Euratom. Ami d’Israel, il a fait de l’amitié avec le jeune État un axe majeur de la politique étrangère de la IVe République, en contribuant fortement à sa capacité de défense. Désireux sincèrement de rétablir la paix en Algérie, il n’a pas voulu remettre en cause la présence française en Algérie – comme la plupart des responsables politiques dans ces années, François Mitterrand comme Pierre Mendès France. Il a surtout ignoré l’importance du fait national, prisonnier d’une tradition républicaine qui n’avait pas voulu prendre la mesure de l’injustice coloniale, et interprétait l’insurrection algérienne dans une grille d’analyse de guerre froide. Guy Mollet n’a pas non plus pris la mesure de la gravité de la crise morale provoquée par l’usage de la torture. Décidé à éviter la guerre civile en mai 1958 – et René Rémond, comme d’autres, ont souligné ses qualités d’homme d’État dans cette crise où il a pris le risque de se couper d’une part de son propre parti et de la jeune génération socialiste , il a contribué à légitimer le retour au pouvoir du général de Gaulle. Il n’a eu ensuite de cesse de « parlementariser » la Ve République, mais il n’a pas saisi la dynamique politique alors mise en œuvre et a échoué dans toutes ses tentatives, en 1962 comme en 1969, dégageant ainsi la voie à une autre alternative politique qui passait par la fin du Parti socialiste tel qu’il l’avait trouvé en 1923 et contribué à façonner ensuite pendant vingt-trois années. Ce compte rendu sommaire ne peut qu’insister sur les principaux centres d’intérêt de ce grand travail d’historien. Il en laisse bien d’autres de côté comme le lecteur le verra. Aucun livre en histoire n’est évidemment définitif. Toujours d’autres questions et d’autres angles peuvent amener d’autres recherches. Mais, gageons que celui-ci occupera longtemps une place de choix dans l’historiographie du socialisme français.
Alain Bergounioux |
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