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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Chambarlhac/Hohl/Duclert
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| L’histoire de la gauche à saute-moutons par Vincent Chambarlhac, Thierry Hohl, historiens (Co-directeurs avec Maxime Dury et Jérôme Malois d’une Histoire documentaire du parti socialiste en quatre tomes, parue aux EUD de 2005 à 2007.)
La fin des années 1980 eut Max Gallo comme contempteur de la gauche au pouvoir à partir de l’histoire, la fin de la décennie 2000 voit Vincent Duclert (La gauche devant l’histoire, La Seuil), reprendre la posture et attaquer la gauche de gouvernement sur son incapacité à faire de l’histoire une ressource critique de sa politique. La comparaison s’arrête ici mais démontre à quel point la gauche, singulièrement le Parti socialiste, n’en ont pas fini avec l’interpellation en provenance du champ intellectuel. La démarche de Vincent Duclert est nourrie de son expérience d’historien de la fin du 19ème siècle, fin connaisseur de la République et des affrontements nés de l’Affaire Dreyfus mais elle est celle d’un citoyen profondément inquiet des évolutions de la démocratie en France sous Nicolas Sarkozy. Ce double ancrage, intellectuel et citoyen nourrit son essai, en fait un objet quelque peu étrange pour qui le lit en historien. Sans cesse, le livre oscille entre sommation faite à la gauche, donc au PS de reprendre le fil d’une histoire délaissée en 1905, celle d’une défense de la liberté et de la démocratie, et survol historique, se voulant loin des « récits conventionnels » (p.9).
« L’histoire est la continuation de la politique lorsque celle-ci n’est plus possible. La politique est la continuation de l’histoire lorsque celle-ci est impossible (p 158). » Ces propos donnent le ton du livre : qui le lit y verra soit une charge polémique contre la gauche doctrinaire (ce que développe Laurent Joffrin dans une critique en forme d’éditorial dans Libération du 7-8 mai 2009), soit une saisie cavalière de la gauche en son siècle, au tribunal de l’histoire. On peut lire l’essai ainsi, à l’image d’Aurélie Filippetti retrouvant ici l’écho de Thucydide (voir son article « Revenir sur le passé pour mieux comprendre l’avenir », dans L’OURS 388). L’historien est dans la Cité en dreyfusard : dans cette posture, et par sa maitrise de l’Affaire en tous ses états, Vincent Duclert excelle. Il est là historien. L’essayiste ensuite, lui succède. Est-il alors légitime d’appliquer au livre la remarque plus générale de Christophe Prochasson dans L’Empire des émotions (Démopolis, 2008), notant que s’investit dans le champ historique « des positions que la politique accueillait autrefois »? Au cœur de l’écriture du livre et de sa trame, il y a l’événement qu’est l’Affaire, séminale car jaurésienne en ses suites à lire Vincent Duclert ici naturellement péguyste, à la suite de Jacques Julliard – fréquemment cité. Elle est matricielle dans l’essai, tribunal devant lequel se plaide la reconquête d’une conscience historique (éthique) pour la gauche, nonobstant la confusion entretenue entre la gauche et le parti socialiste, tour à tour confondus et disjoints. Ici se joue la force et l’ambiguïté de cet ouvrage. Qui dit tribunal dit possibilité de l’appel dont Vincent Duclert joue en orfèvre. Face à la gauche actuelle incapable de répondre aux difficultés de la démocratie française, du PS donc si l’on suit son raisonnement, il fait appel devant l’histoire, devant son histoire. Dans ce glissement se niche le problème, l’appel à l’histoire n’est appel qu’à une histoire, celle d’une gauche qui s’oublie elle-même, depuis 1905. Et ici, se retrouvent les thématiques de la « deuxième gauche », cette configuration intellectuelle, syndicale et politique. Vincent Duclert en reprend les thèmes, jugés adéquats à la situation, pour pratiquer une histoire à saute-moutons.
Au début est la charge, puis vient la distinction devant les évènements matriciels, enfin s’opère la nécessaire renaissance face à l’échec de la gauche, bureaucratique et anti-intellectuelle.
La charge, convenue, court de la mystique au politique au prix d’une singulière inflexion pour qui a lu Notre Jeunesse (1910), puisque Jaurès occupe dans ce panorama de la gauche sur le siècle une place que Péguy ne semblait pas lui décerner dans la postérité dreyfusienne… Figure héroïque, Jean Jaurès est là tout entier éthique, intellectuel, conscience donc : de proche en proche l’écriture cisèle un exemplum médiéval à l’usage des socialistes (en qui souvent se confond ici la gauche) où la part du politique – dans la quotidienneté des combats qu’elle suppose – s’estompe. Le sort fait à Léon Blum, à la SFIO de l’entre-deux-guerres tient à ce choix d’écriture. Orthodoxe dans la lignée d’une histoire intellectuelle qu’il pratique, la référence dreyfusienne n’est qu’ornement dans un essai qu’articule implicitement le discours de Michel Rocard au congrès de Nantes en 1977 sur les deux cultures. Par cette référence s’invente une généalogie, un fil tissé entre les temps « préhistoriques » du socialisme – ceux d’avant l’unité – et le devenir de cette « dissidence » démocratique jusqu’au choc d’avril 2002. La généalogie est contournée, l’auteur le reconnaît, notant que l’évidence d’une filiation du socialisme humaniste ab origine dreyfusienne mérite discussion : deux guerres mondiales, l’expérience du pouvoir, la guerre froide, la décolonisation pèsent là de tout leur poids sur le devenir socialiste et il est difficile de réunir explicitement dans une même causalité diabolique et amorale Jules Guesde, Guy Mollet, François Mitterrand. L’historien en convient, l’essayiste le reconnaît implicitement, préférant découper des moments propres à asseoir sa démonstration : les dissidences de la SFIO au moment de la guerre d’Algérie sont ainsi privilégiées. Et dans ce jeu sur la décolonisation, Mendès France prend sa place dans l’invention de la deuxième gauche ; Daniel Lindenberg objecte sans doute avec raison qu’il est pourtant davantage « jeune turc » radical que deuxième gauche (L’OURS n° 388). Chemin faisant, la démonstration ignore la fonction politique de la distinction rocardienne à Nantes : le bât blesse souvent ici. Lorsqu’il évoque Mai 68 et la gauche comme épreuve de vérité (chapitre 7), Vincent Duclert fait porter sur la seule première gauche la responsabilité de la normalisation de Mai : c’est oublier qu’à partir de 1974 (Assises du socialisme), l’ensemble du parti participe de ce mouvement qu’entérine la distinction nantaise de 1977, figeant par le jeu des majorités l’appel d’air que fut Mai 68. De ce point de vue, mai 81 qui termine l’entre-deux-mai n’est qu’écho de Nantes, lui-même coda des Assises du socialisme. La deuxième gauche, dans l’œil du parti socialiste, procède comme la première des discours d’ordre et l’on peine à discerner dans l’évolution de celle-ci après 1977 d’autres possibles. À moins de considérer qu’elle est exempte de tout rapport au pouvoir et donc, entièrement intellectuelle et éthique, hors du politique : aporie qui clôt les lignes consacrées au gouvernement de Lionel Jospin : « mobilisée dans la gauche plurielle de Lionel Jospin après la victoire des législatives de 1997, la deuxième gauche joua son rôle dans un gouvernement qui lui ressemblait trop, ou pas assez, et qui s’effondra le 21 avril 2002 (p 144) ». La critique jospinienne de l’essai s’engouffre dans cette brèche (voir L’OURS) ; l’ouvrage de Vincent Duclert trouve ainsi sa place dans le dispositif nantais, ni plus, ni moins… Une autre lecture pourtant, peut se profiler, à condition de biffer « l’histoire » du titre de cet essai pour lui préférer « l’événement ». L’Affaire est séminale dans une démonstration qui s’achève sur l’évocation du 21 avril 2002, lequel serait tombeau d’un socialisme qui a perdu ses repères, ses valeurs. L’ombre omniprésente de Jaurès dans l’écriture est dreyfusarde, éthique plus que politique ; la dissidence démocratique de la Deuxième gauche impose cette figure. Il est d’autres Jaurès, que la controverse entre Georges Lefranc et Madeleine Rebérioux par exemple, opposent. L’enjeu de la polémique, on le sait, portait sur la conversion de Jaurès au socialisme : effet de Lucien Herr et des solidarités normaliennes (selon Lefranc) ou, aussi fondamentalement, choc social de la rencontre avec les mineurs de Carmaux (pour Rebérioux) ? Choisir la seconde solution invite à déconstruire la perspective historique parcouru au pas de charge par Vincent Duclert en questionnant, par Léon Blum, Guy Mollet, François Mitterrand – en tant qu’ils symbolisent des moments du socialisme français – les conditions de possibilité d’une politique socialiste. Ici donc achoppe la démonstration de l’essayiste articulée sur une généalogie éthique d’un mouvement qui se vécut politique. Dans un essai quasi contemporain, Jacques Julliard le reconnaît : « Quand je pense à mon propre itinéraire intellectuel, je me dis avec le recul que toute la réflexion de cette génération, que l’on a parfois identifié à la deuxième gauche a péché par une sous-estimation politique(1) ».
Si le socialisme français – marges dissidentes comprises – a aujourd’hui besoin de l’historien comme le plaide Vincent Duclert, l’histoire politique qu’il faut convoquer déborde nécessairement l’histoire des intellectuels et le seul rapport au pouvoir. Deux questions donc, pour clore cette lecture. Quel statut pour l’histoire politique ? Ici Vincent Duclert amorce une réponse, il faut la développer loin des nomenclatures des partis et des élections, faire de l‘histoire politique une analyse des conditions de possibilité de la politique dans leur émergence. Soit, mais ce qui nous est proposé ici se réduit à l’héroïsme de figures éthiques devenues exemplaires. D’où cette seconde interrogation : l’essayiste, soit là l’historien dans la mêlée, ne contribue-t-il pas ici au genre littéraire qu’est le tombeau, ici appliqué à feue la deuxième gauche depuis la retraite de sa figure principale (2) ?
Vincent Chambarlhac et Thierry Hohl
(1) Jacques Julliard, L’argent, Dieu et le diable. Péguy, Bernanos, Claudel face au monde moderne, Paris, Flammarion, 2008, p 120.
(2) Après le tombeau, l’historisation devrait suivre. C’est tout du moins le vœu des participants au colloque organisé à la BNF à l’occasion du legs des archives de Jacques Julliard. Cf. Pour une histoire de la deuxième gauche. Hommage à Jacques Julliard, Paris, BNF, 2008. |
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