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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Fabius, Recherche socialiste 18 - mars 2002
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APRES LE PASSAGE A L’EURO, VERS UN FEDERALISME BUDGETAIRE interview de LAURENT FABIUS, ministre de l’Économie et des Finances (publié dans Recherche socialiste 18 -mars 2002)
Le 25 mars 2002, par Laurent Fabius, ministre de l’Économie et des Finances a accepté de répondre à nos questions sur les perspectives ouvertes à l’Europe après le succès du passage à l’euro.
La création de la monnaie unique est la résultante d’une formidable épopée : quels en sont pour vous les points ou les moments les plus importants ? Laurent Fabius : Les Français et les Européens sont redevables à plusieurs dirigeants de la force de leur engagement européen. Le succès de l’euro leur doit beaucoup. Je crois, pour ne prendre que les dix dernières années, que le fait d’avoir voté par référendum le traité de l’Union, dont la monnaie unique est l’un des éléments, aura constitué un moment essentiel : un débat a eu lieu, et le peuple a tranché. Cela a été important pour la plus grande réforme monétaire depuis un demi-siècle. Il y a eu ensuite la définition du calendrier précis de la monnaie unique, le choix de son nom, la fixation des parités. Puis, ce fut la préparation de l’euro concret, devenu l’euro complet depuis le 18 février 2002, depuis que le cours légal des pièces et des billets a été supprimé. J’ai vécu cette préparation avec la conscience d’agir pour relever un défi historique. Ce travail s’est déroulé pendant que se forgeait une forme partagée de souveraineté. Il s’est déroulé aussi pendant que, face aux crises financières, l’effet de bouclier de l’euro devenait visible. Les aspects logistiques du passage à l’euro, qui ont exigé un travail minutieux, ont été étroitement mêlés aux transformations profondes que la monnaie unique entraîne et permet. L’essentiel a été ce travail de conviction et de partenariat.
Les principes de stabilité ont parfois été durs à accepter par les peuples européens : un tel « sacrifice» a-t-il reçu, avec la création effective de la monnaie unique, «son salaire» ? Ce n’est pas un « sacrifice ». Vous faites ici allusion à la gestion sérieuse des finances publiques, et notamment du budget de l’État, au fait de veiller à maîtriser le solde budgétaire et, partant, le poids de la dette publique. Il est vrai que nous revenons de loin et que limiter le déficit budgétaire à moins de 3 % de la richesse nationale a pu un moment paraître hors de portée. Mais, indépendamment de la monnaie unique, l’accumulation des déficits augmente le poids de la dette pour les générations futures : les déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain et il faut veiller à ce que leur poids demeure durablement supportable. Ce qui est devenu nécessaire, dès lors que nous devions abandonner nos monnaies nationales pour partager la même monnaie nouvelle, c’est une discipline partagée. Puisque nous allions chacun subir les conséquences des erreurs des autres, il fallait empêcher celles-ci, et les nôtres aussi. Je reconnais que cela n’a pas été facile à accepter, mais c’est une position durable. La bonne santé des finances publiques, c’est un bien collectif qui procure ses bienfaits à tous.
L’introduction de l’euro a été particulièrement bien acceptée par nos concitoyens : quelle est la signification principale de cette acceptation ? Le passage à l’euro concret, le 1er janvier 2002 et les jours suivants, a été un événement heureux, presque joyeux. La distribution des sachets de premières pièces, à partir du 14 décembre 2001, avait révélé l’engouement que la nouvelle monnaie suscitait. C’est l’aboutissement des efforts de plusieurs années qui, à la fin de 2001, mobilisaient déjà plusieurs millions de personnes, dans les administrations, les banques et les commerces, dans les collectivités territoriales et nombre d’associations qui ont tout mis en œuvre, autour des pouvoirs publics ou sous leur impulsion, pour rendre plus facile le passage à l’euro. Ces efforts soutenus et ce travail étaient devenus visibles de tous, notamment grâce aux médias, et l’état d’esprit général était devenu une certaine impatience d’accueillir les pièces et les billets nouveaux, en même temps que 250 millions d’autres Européens, plutôt que la crainte ou l’indifférence. Mais le passage à l’euro est aussi un commencement : il a révélé une véritable demande d’Europe et je suis convaincu qu’après ce passage de relais, l’euro ne s’arrêtera pas dans sa course, et que nous serons portés par l’élan européen qu’il incarne. Cela montre en tout cas que les Français sont beaucoup moins conservateurs et beaucoup plus européens qu’on ne le dit parfois, à condition que les enjeux soient bien expliqués : je m’en réjouis.
D’après vous, la question de l’élargissement de l’Union européenne, qui est posée actuellement, peut-elle accélérer une éventuelle réforme du Système européen de banques centrales ? Nous disposons déjà d’instances fédérales au niveau monétaire, avec le rôle confié à la Banque centrale européenne. Il nous faut plutôt renforcer la coordination de nos politiques économiques. Je plaide pour un véritable fédéralisme budgétaire et je suis favorable à l’idée de la mise en commun de certains instruments fiscaux, dès lors qu’il s’agirait d’un transfert de prélèvements et non d’une augmentation. Vous faites allusion à autre chose, au chantier de la clarification institutionnelle qui est un des objectifs de la convention qui vient de commencer ses travaux. Il s’agit d’assurer le bon fonctionnement de l’Europe élargie et, pour cela, de revoir les modes de décision entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Il s’agit aussi de permettre aux pays qui le souhaitent de renforcer leur coopération et d’aller plus loin ensemble. Je considérerais par exemple comme souhaitable le mouvement vers une armée européenne.
En cette année du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, qu’aimeriez-vous voir prolonger de l’action du député de 1848 comme de celle d’un des fidèles défenseurs de la IIIe République ? Hugo, Européen visionnaire, a appelé de ses vœux en 1855, « une monnaie continentale ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de deux cents millions d’hommes ». Un siècle et demi plus tard, son vœu prophétique s’est réalisé avec l’euro. Hugo a plaidé aussi pour l’école obligatoire. Il considérait que l’école publique gratuite, obligatoire et libérée des contraintes religieuses, était une des conditions de la démocratie. Aujourd’hui, nous devons relever le défi de la formation tout au long de la vie et des conditions concrètes d’exercice de ce droit. En ces points comme sur beaucoup d’autres, il avait tout compris… avec 150 ans d’avance. Je ne dirai donc pas, comme André Gide, « Hugo, hélas ! », mais « Hugo, bravo ! ».
propos recueillis par Jean-Michel Reynaud |
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